BIS REPETITA. Après le soulèvement des gilets jaunes à l’automne 2018 au début de son premier quinquennat, Emmanuel Macron fait face à une large fronde moins de cinq ans plus tard, quasiment dès les commencements de son second mandat. La première fois, le chef de l’Etat avait réussi, non sans mal, à éteindre l’incendie en sortant — un peu — le porte-monnaie, en discréditant en partie le mouvement d’insurrection populaire avec les déprédations et les pillages des Black Blocs et en ouvrant à l’infini des débats, notamment auprès des élus locaux, ne débouchant sur rien. L’ancien banquier d’affaires de chez Rothschild parviendra-t-il une nouvelle fois à résister à la colère du pays contre lui et à ramener le calme ? Il est encore trop tôt pour le dire, mais il lui sera sans doute plus difficile cette fois de neutraliser le vaste mouvement de contestation. D’abord parce que l’Elyséen est beaucoup plus usé qu’en 2018. Ses six ans de mandat pèsent lourd dans la balance et la défiance voire la haine envers lui ont décuplé depuis. Il faut dire que ce grand bourgeois au service du capitalisme mondialisé et de la finance anonyme et vagabonde, de ce que l’ami Hannibal appelle à juste titre la révolution arc-en-ciel, a le don d’exciter les antagonismes et d’aviver les tensions. C’est à se demander s’il le fait exprès dans une stratégie délibérée d’affrontement et de chaos dont il espère au final bénéficier.
Etait-il ainsi adroit, lors de son intervention aux journaux télévisés de 13 heures de TF1 et de France 2 le mercredi 22 mars (qui se souvient encore du mouvement du 22 mars 1968 qui a commencé à Nanterre et qui a débouché sur les événements insurrectionnels de mai ?), à la veille de la journée de grève et de mobilisation organisée par l’intersyndicale, d’affirmer, contre l’évidence des faits et contre le ressenti des classes populaires, qu’on vivait mieux en étant payé au smic sous sa présidence qu’auparavant, alors même que les prix de l’alimentaire et de toutes les denrées de première nécessité ne cessent de flamber ? Etait-il pareillement nécessaire de marteler que sa réforme des retraites, désormais adoptée par le Parlement, à la suite de la rejet de la motion de censure à neuf voix près, devra impérativement être mise en œuvre, et ce dès la fin de l’année ? Lorsqu’une réforme, qui de surcroît ne fera économiser au mieux qu’une dizaine de milliards d’euros, est massivement rejetée par le pays, pour de bonnes ou de mauvaises raisons, qu’on ne trouve même pas une majorité simple à l’Assemblée nationale pour l’entériner, qu’elle met le pays à feu et à sang — même s’il y a aussi d’autres motifs à cette insurrection populaire — avec des débordements de plus en plus violents et incontrôlés, qu’on est incapable de l’expliquer et de convaincre, est-il sage, est-il raisonnable, est-il prudent de s’entêter ?
Car on ne sait pas jusqu’où peuvent aller les scènes de guérilla et de chaos auxquelles on assiste depuis quelques semaines, avec une aggravation constante de jour en jour. Le jeudi 23 mars, lors de la neuvième journée de mobilisation nationale contre la réforme des retraites, on a ainsi recensé plus de 150 mises à feu seulement dans la capitale, la porte d’enceinte de la mairie de Bordeaux a été, quant à elle, la proie d’un incendie géant et spectaculaire, le commissariat et le tribunal administratif de Lorient ont également été la proie des flammes. Dans les grandes métropoles et même dans beaucoup de villes moyennes, le mobilier urbain a été dégradé, saccagé : poubelles incendiées, surtout à Paris où la grève des éboueurs dure maintenant depuis plus de trois semaines et où les tonnes de détritus s’accumulent, ce qui donne une image catastrophique de notre pays aux touristes séjournant dans la capitale, abris-bus et kiosques détruits, magasins pillés, forces de l’ordre attaquées. A Sainte-Soline, samedi dernier, dans le cadre d’une manifestation contre une retenue d’eau dans les Deux-Sèvres, on a assisté à des scènes d’une extrême violence. On compte de nombreux blessés, dont certains grièvement, tant parmi les gendarmes que chez les manifestants.
ON OBSERVE encore une fois en grandeur nature que lorsque la gauche et l’extrême gauche manifestent, il y a quasiment toujours beaucoup de violences contre les biens et les personnes. Le ministre de l’Intérieur, Gérald Moussa Darmanin, a mis en cause des groupes d’extrême gauche, d’ultra-gauche qui veulent « casser du flic », tuer des policiers. Pour le coup, c’est parfaitement exact. Mais comment se fait-il alors que, jusqu’à présent, le titulaire de la Place Beauvau n’a dissous, par dizaines, que des groupements et des associations dits d’extrême droite qui ne représentaient objectivement aucun danger pour la sûreté de l’Etat, qui n’avaient commis aucune violence, aucune dégradation, aucun acte de guérilla urbaine ou de terrorisme, aucun assaut contre les forces de l’ordre ou contre des bâtiments publics ? Le préfet de police de Paris, le calamiteux Laurent Nunez, avait ainsi interdit de manière préventive début février une marche pacifique aux flambeaux pour commémorer les événements tragiques du 6 février 1934 dans la capitale, en arguant du fait que le mouvement organisant cette manifestation, Les Nationalistes, faisait sienne une idéologie anti-républicaine mettant en danger l’Etat et l’ordre public. De qui se moque-t-on ? Qui aujourd’hui sème partout le chaos dans le pays, sinon des groupes d’ultra-gauche, les antifas, les autonomes, les anarchistes et les Black Blocs ?
Comment se fait-il que tous ces groupes dont on connaît pourtant l’extrême dangerosité et l’activisme débridé n’ont jamais fait l’objet de la moindre surveillance sérieuse ni d’une quelconque mesure d’interdiction ? Jusqu’à présent les media faisaient largement état du danger prétendument extrême représenté par l’extrême droite qui fomenterait des complots (tout à fait fantasmés) visant à renverser par les armes le régime actuel et en revanche ne soufflaient mot de la violence, elle bien réelle, de l’ultra-gauche ? On notera d’ailleurs l’extrême complaisance des grands media audiovisuels envers les violences d’une partie des manifestants radicalisés et, à l’inverse, la dénonciation très appuyée de supposées violences policières. Il en va tout autrement lorsqu’il s’agit de la droite et de l’extrême droite, toujours coupables, toujours suspectées des pires crimes. Pourtant, que l’on sache, les manifestations de 1983-1984 en faveur de l’école libre ou celles de 2012-2013 de la Manif pour tous contre la loi Taubira instaurant le “mariage” homosexuel n’ont jamais été accompagnées de la moindre violence, du moindre débordement. Il n’y a jamais eu aucun pillage, aucune destruction de biens, aucun assaut contre les forces de l’ordre. De même, lorsque le Front national, ou d’autres groupements de droite nationale, défilaient chaque année dans les rues de la capitale, à l’occasion de la Fête de Jeanne d’Arc, il n’y a jamais eu de scène de guérilla ou de pillage ou d’attaque contre les forces de l’ordre. Contrairement à ce qui se passe quand la gauche et l’extrême gauche manifestent car ce courant de pensée est, qu’on le veuille ou non, consubstantiel au désordre, à la chienlit et à l’anarchie. Même les gilets jaunes des ronds-points en 2018 ne se livraient pas à des violences, si ce n’est parfois contre quelques radars automatisés persécutant les automobilistes. C’est l’intrusion des Black Blocs dans le mouvement qui en a changé l’âme et en a hélas assuré l’échec.
ALLONS PLUS LOIN : la réalité, c’est que tous ces groupes antifas et consorts sont paradoxalement les chiens de garde du régime actuel, du capitalisme mondialisé, les alliés objectifs de la Macronie. Les Black Blocs qui cassent tout et donnent une image catastrophique au mouvement de contestation contre la réforme des retraites, d’autant que les images de leurs méfaits sont très médiatisées et longuement commentées, notamment sur les chaînes d’information continue, servent objectivement Macron qui peut apparaître, aux yeux d’une partie de la population apeurée voire traumatisée par ce spectacle, et notamment beaucoup de gens âgées qui, eux, votent à toutes les élections, comme le garant de l’ordre et de la légalité. Ce qui est un comble quand on voit ce qui se passe actuellement. Le président de la République a même été contraint au dernier moment d’annuler piteusement la visite du roi d’Angleterre, Charles III, car sa sécurité n’était pas assurée.
Quelle humiliation pour la France, d’autant que le successeur d’Elisabeth II va finalement réserver son premier voyage officiel à l’Allemagne ! Comment le chef de l’Etat et le gouvernement peuvent-ils prétendre assurer l’ordre public, la paix et la concorde civiles, alors même qu’ils sont incapables de sécuriser le séjour dans notre pays d’un souverain ? Il est toutefois plus sage dans les troubles actuels d’avoir reporté cette visite, en principe au début de l’été, car d’éventuels débordements sur le passage du roi eussent été calamiteux pour l’image de notre pays dans le monde, image déjà fortement dégradée par les événements présents, les télévisions du monde entier montrant les images d’une France prenant feu de toutes parts, au propre comme au figuré. Et le spectacle d’un dîner de gala à Versailles, affichant un luxe et un apparat ostentatoires, avec Macron et Charles III buvant une coupe de champagne devant un parterre d’invités triés sur le volet au milieu des dorures du palais de nos rois, eût agi comme un chiffon rouge accroissant encore la colère des manifestants. Car si le report de l’âge de départ à la retraite, de 62 à 64 ans, et l’allongement des annuités de cotisation pour bénéficier d’une pension à taux plein, ne sont pas forcément insupportables en soi pour des professions intellectuelles et pour des actifs étant rentrés tard sur le marché du travail, en revanche, ils le sont pour des millions de salariés et même d’indépendants exerçant des métiers manuels et pénibles, souvent peu rémunérés, qui ont de surcroît commencé à travailler très jeune et qui, à la soixantaine, ont déjà souvent le dos cassé, des tendinites et ne tiennent fréquemment qu’à force d’analgésiques et d’anti-inflammatoires. Pour eux, travailler deux ans de plus, sans espérer au final une meilleure retraite, est un douloureux sacrifice d’autant plus difficile à accepter qu’au sommet de l’Etat règnent le cynisme et l’arrogance d’un petit marquis poudré au service exclusif des marchés financiers.
RESTE à savoir comment cette crise peut désormais évoluer. Se dirige-t-on vers un nouveau Mai 1968 ? Ce n’est pas totalement impossible. A cette différence près que Macron n’est pas De Gaulle et que, contrairement à ce dernier, il aura bien du mal à obtenir une majorité absolue en cas de dissolution de l’Assemblée. De plus, en cinquante-cinq ans, l’état du pays s’est considérablement dégradé et on voit mal actuellement qui pourrait le redresser. Un gouvernement de la NUPES, par sa politique gauchiste et encore plus immigrationniste et LGBTiste que la Macronie aggraverait encore les choses et détruirait nos ultimes et maigres lambeaux de liberté. Quant à un gouvernement du Rassemblement national, outre qu’il y aurait en son sein un manque criant de compétences, il ferait certainement face à des troubles très grands dans le pays, la gauche et l’extrême gauche n’acceptant pas cette situation et le faisant savoir haut et fort sans ménagement.
De toute façon, de nouvelles élections législatives déboucheraient très probablement sur un Parlement encore plus fracturé et ingouvernable, le pays étant divisé entre trois courants politiques de force à peu près égale et incapables pour l’heure de s’entendre entre eux. Et on n’aperçoit pas davantage d’homme providentiel à l’horizon. Lequel d’ailleurs ne se décrète pas mais se sécrète. Quant à l’Armée, il semble vain de compter sur elle pour rétablir l’ordre et surtout pour instaurer un régime conforme au bien commun et à la morale naturelle. C’est dire qu’à vue humaine, les perspectives n’ont rien de réjouissant même si on ne sait jamais avec certitude ce qui peut au final déboucher du chaos actuel, de ce qu’il faut bien appeler une crise de régime, car l’histoire est par définition le théâtre de l’imprévu et de l’inconnu.
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RIVAROL, <[email protected]>
Source : Éditorial de Rivarol
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