C’est en 1898 que va naître le terme « Socialiste-nationaliste » sous la plume d’un des grands théoriciens français du nationalisme, Maurice Barrès. L’écrivain donnera un nom à une doctrine qui en réalité, était déjà en gestation depuis au moins une dizaine d’années.
Dix ans plus tôt, le phénomène boulangiste émergeait. Ralliés autour du projet de révision constitutionnelle de la centrale figure de ce mouvement, le général Boulanger, des personnalités issues de tendances multiples, de l’extrême gauche à l’extrême-droite, se présentent aux élections législatives. Et en 1888, trente députés boulangistes arrivent à la Chambre. Certains sont blanquistes, d’autres viennent de la droite nationaliste, comme Déroulède. C’est dans le sillage de celui-ci qu’évolue Barrès.
L’échec puis le suicide du général Boulanger ne font pas disparaître les idées qui avaient pu trouver un débouché politique via le boulangisme. Certains vont rejoindre Maurice Barrès, qui va alors créer un journal, La Cocarde, en septembre 1894.
Le but de ces hommes est de porter un désir de renouvellement. Des traditions en apparence opposées, et qui ont pu s’affronter historiquement, seront fondues afin de dépasser les oppositions traditionnelles.
Quelles sont les plumes qui participent à cet ambitieux projet ? Celles d’Eugène Fournière, universitaire et futur membre de la SFIO, de Clovis Hugues, poète, de Camille Pelletan, futur ministre de Clemenceau, de Fernand Pelloutier, anarchiste et syndicaliste à l’origine des bourses du travail, de Frédéric Amouretti, journaliste et félibrige, de Camille Mauclair, entre autre historien de l’art, mais aussi celles de futurs grands acteurs politiques du XXe siècle, comme Charles Maurras, Léon Daudet, Jules Soury ou le marquis de Morès.
« Formé d’éléments divers, la Cocarde fut malgré tout fédéraliste et nationaliste » si on en croit Maurras.
Quelles sont les grandes idées émanant de La Cocarde ? Le refus du « monde bourgeois », du parlementarisme, de l’encasernement, de l’éducation et de la société de tradition bourgeoise plus généralement, et le refus de la « médiocrité bourgeoise ». Un sentiment de décadence les habite. L’Université, qui entretiendrait cette déchéance, est à ce titre considérée comme l’un des piliers de l’ordre établi.
Dans la pensée barrésienne, le boulangisme est associé à 1789, à 1848, et à la Commune. Et les divers contributeurs de La Cocarde se considèrent comme les héritiers de la « sainte canaille » ayant tenté de renverser l’ordre établi en ces grandes occasions. La Bourgeoisie victorieuse est l’ennemie, et a mené la France à sommeiller dans une « brume » mortifère. Ce sentiment de décadence est aussi l’expression d’un doute, d’inquiétude face à un « monde où semblent s’éteindre toutes les forces vives de l’humanité ».
La pensée « cocardienne » est aussi économique et sociale : Dans un article daté de 1890, Barrès affirmait déjà promouvoir « la lutte entre capitalistes et travailleurs ». De façon en apparence paradoxale, l’alliance entre capital et travail est pourtant souhaitée, mais c’est par volonté d’harmonie entre les classes, en excluant les rentiers, et qui accepteraient de collaborer sans s’oppresser l’une l’autre.
La Cocarde juge nécessaire que le peuple sache reconquérir sa « liberté chérie ». C’est la classe ouvrière, et non la bourgeoisie, qui est la « partie saine du pays », mais scandaleusement réduite à un « servage ».
Barrès se réclame volontiers du socialisme, mais non du collectivisme, et en ce sens il affirme : « L’idée socialiste est une idée organisatrice si on la purge du poison libéral qui n’y est pas nécessaire. » Ses conceptions sont très proches d’un grand nom du nationalisme, Déroulède, lui aussi favorable à l’association du capital et du travail.
Barrès s’inscrit à La Cocarde dans la lignée de sa propre action politique, passée comme future, et prône le protectionnisme, la baisse des impôts des producteurs, tout comme de permettre aux ouvriers et aux paysans d’organiser des coopératives. C’est aussi l’opposition à toute forme d’immigration de travail pour empêcher le chômage des travailleurs nationaux. Il fallait alors préserver le « corps social » de la France. Le marquis de Morès affirmera qu’il faudra : « Supprimer le prolétariat », et pour Barrès il fallait lier cet actuel prolétariat « à l’idée de patrie ».
La Cocarde prône l’idée du devoir de la société à l’égard de ses éléments les plus faibles. Il faut protéger le « menu peuple du peuple gras » dit encore Barrès, pour qui il faut encore procéder à la « suture de l’ancienne France dans la démocratie et le socialisme ».
Le but ultime de La Cocarde était de faire de la France le pays de l’entente des classes laborieuses.
L’expérience doit finalement prendre fin en mars 1895.Elle aura donc duré moins d’un an. Barrès en effet est retourné en province pour rejoindre l’arène électorale, et le journal ne lui survivra pas. Les divers contributeurs se dispersent et connaissent des sorts divers. Barrès quant à lui va continuer sa vie politique jusque dans les années 1900, mais l’échec de ses ambitions va l’amener à favoriser sa carrière littéraire au détriment d’objectifs électoraux, et à devenir un conservateur bon teint. Il sera alors temps qu’une nouvelle génération relève le flambeau du « socialisme-national »…
Nous retrouvons dans La Cocarde toutes les bases intellectuelles qui motivent le combat de ces nationalistes qui se veulent aussi les défenseurs d’une haute idée de la justice sociale, et du bien commun de façon plus générale. Il serait utile, pour tous ceux qui souhaitent nourrir leur réflexion quant au combat à mener, de (re)lire Barrès et les contributeurs de la Cocarde.
Source : Rébellion