Notre auteur et ami Francis Goumain a interrogé le 5 février un général français qui a accepté de répondre à quelques questions sur l’état de l’armée de l’Air ukrainienne. Ses réponses :
FG – Quelques remarques et questions sur l’armée de l’air ukrainienne toujours en activité.
Général : Mes réponses. En préalable, il faut dire que les bilans de pertes donnés par les états-majors sont toujours majorés pour l’adversaire et minorés pour son propre camp. C’est une règle toujours vérifiée dans les conflits militaires. Pour avoir pu mesurer concrètement les écarts lorsque j’étais aux affaires dans les crises du Kosovo ou de la Bosnie, je peux affirmer que les occidentaux mentent bien davantage que leurs adversaires.
Ainsi par exemple, dans les bombardements du Kosovo, l’OTAN déclarait 800 matériels majeurs serbes détruits et 20 avions, la réalité (constatée aux comptages post conflit) était de 30 matériels majeurs détruits et de zéro avion détruit.
Lorsqu’on parle de pertes, il faut toujours estimer la plausibilité des pertes annoncées et se rappeler que c’est le feu qui tue lorsqu’il est appliqué aux forces de l’adversaire.
Aujourd’hui, la supériorité du feu est russe. Il y a consensus dans les deux camps pour admettre que la supériorité est de l’ordre d’au moins 8 pour 1 en faveur des Russes (Artillerie, missiles de croisière, feu d’appui air-sol, feu de protection sol-air).
Parce qu’elle a la supériorité aérienne et la supériorité dans la guerre des drones (qui permettent d’affiner la précision des feux d’artillerie), il est très plausible que les pertes humaines et matérielles soient au moins dans un rapport de 1 pour 8 en faveur des Russes. Les pertes sont proportionnelles aux FEUX.
En clair, les chiffres pour les pertes humaines devraient être autour de 150 000 tués et disparus chez les Ukrainiens pour un peu moins de 20 000 Russes. Pour les blessés, dont une partie pourra reprendre le combat, il faut multiplier par trois.
FG : Le 11 mai 2022, je passais cet article sur Ri montrant que d’après le Mindef russe, 162 avions avaient été abattus (https://reseauinternational.net/pertes-ukrainiennes-chiffrees-par-le-mindef-russe-au-75eme-jour/). Or, 160, c’était grosso modo la dotation estimée des avions disponibles de l’armée de l’air ukrainienne au début de la guerre.
Gén. : Le chiffre que vous avez donné le 11 mai dans votre article me paraît fort plausible, et en tout cas peu éloigné de la réalité. En effet, les premières frappes russes ont été appliquées sur les bases aériennes militaires. Elle visait à s’emparer d’emblée de la supériorité aérienne. Rien de surprenant à ce qu’une partie très importante de la flotte aérienne ukrainienne ait été clouée, voire détruite au sol en moins de trois mois.
D’autant que lorsqu’on parle d’avions détruits on ne les énumère pas par type d’aéronef (avions de chasse, bombardier, avions de transport, avions d’entraînement.
Par ailleurs, il faut se méfier des chiffres de dotation annoncés. Ils varient énormément selon les bases de données et selon ce qu’on inclut dans ces bases.
Par exemple selon le document suivant : https://atlasocio.com/classements/defense/equipements/classement-etats-par-forces-aeriennes-monde.php l’armée de l’air française aurait 1 055 avions. Ce chiffre est archi faux. Il donne une très mauvaise idée de la réalité.
La réalité 2022 est la suivante : 200 avions de combat, 90 avions de transport, 30 avions de surveillance, de liaison, de renseignement et de contrôle, 77 avions de formation des pilotes. Soit 400 avions au total avec une disponibilité technique opérationnelle (DTO) de 50% . Soit 200 avions disponibles à un instant T (dont 100 avions de combat seulement).
On peut y rajouter les 40 rafales de la Marine Nationale, soit 20 disponibles à un instant T avec une DTO de 50%.
FG : Comment se fait-il que ce même Mindef [Ministère de la Défense] russe, annonce aujourd’hui un compteur cumulé de 382 avions détruits – plus du double de la dotation initiale ?
Gén. : Ce chiffre me paraît plausible. En effet, tous les ex-pays de l’Est (Bulgarie, Pologne, République Tchèque, Slovaquie, Roumanie, Pays Baltes ont cédé très vite et discrètement leurs vieux appareils soviétiques à l’Ukraine pour les remplacer par des appareils US neufs.
La totalité des appareils cédés à l’Ukraine représente plus que la dotation initiale de l’Ukraine. Cette nouvelle armée de l’Air Ukrainienne s’est faite détruire entre mai 2022 et Février 2023, d’où le chiffre de 382.
On ne voit d’ailleurs quasiment plus d’avions militaires ukrainiens dans le ciel de l’Ukraine.
FG : Rappel, l’Ukraine ne produit pas d’avion, un appareil écrasé ne peut pas être réparé, il n’y a eu aucune livraison d’avions occidentaux jusqu’ici.
Gén. : C’est faux ! S’il n’y a pas eu de livraison d’avions de conception occidentale moderne, il y a eu transfert discret des matériels de type soviétique ancien en provenance des ex-pays de l’Est déjà cité. C’est vrai des avions et c’est vrai pour les blindés. Un coup de peinture et l’avion ou le char polonais ou tchèque devient ukrainien.
FG : Il peut y avoir eu récupération d’avions soviétiques dans l’ancien pacte de Varsovie ou dans des pays d’Afrique, d’Amérique du Sud ou en Asie, mais, à part la Pologne, je n’ai pas entendu parler de tels transferts, par exemple, ni l’Algérie, la Syrie ou le Venezuela, pro-russes, n’accepteraient un tel transfert.
Gén. : C’est exactement ce qui s’est passé discrètement avec la Roumanie, la Pologne, la République Tchèque, la Slovaquie, la Bulgarie, les pays Baltes. Bien évidemment, ces pays l’ont fait sur pression des USA, mais ne s’en sont pas vantés par crainte de représailles russes. Ce n’est pas parce qu’on n’en a pas entendu parler que ça ne s’est pas produit…
FG : Ceci pose clairement la question de la crédibilité des chiffres du Mindef, le cumul des pertes annoncées est maintenant au niveau de ce qui est en dotation dans tout l’Otan, USA compris: 1000 LRM, 8 000 chars, 4 000 canons et mortiers pour prendre les exemples les plus frappants.
Gén. : Ces chiffres ne me choquent pas outre mesure, sans doute sont-ils exagérés, mais sans plus. «A total of 382 Ukrainian warplanes, 206 helicopters, 3,021 unmanned aerial vehicles, 403 surface-to-air missile systems, 7,737 tanks and other armored combat vehicles, 1,007 multiple rocket launchers, 3,996 field artillery guns and mortars and 8,262 special military motor vehicles have been taken out since the special military operation began in Ukraine». Il ne faut pas faire dire à ces chiffres ce qu’ils ne disent pas. À aucun moment on ne parle de 8 000 Chars. On parles de 7 737 Chars et véhicules blindés (qui peuvent être à chenille ou à roue, évidemment. En clair, tous les véhicules de transport de troupes, blindés (de type VTT, VAB, auto-mitrailleuses)
Il ne faut surtout pas prendre le MINDEF Russe pour un imbécile. Il ne publierait pas des chiffres stupides qui seraient immédiatement contestés par l’Occident.
Le Mindef Russe sait qu’il est ou sera opposé à l’ensemble des matériels anciens du pacte de Varsovie stocké depuis des années dans les pays ex-membres, passés à l’OTAN et qui viennent renforcer discrètement l’Armée ukrainienne.
FG : Ces pertes annoncées ne se traduisent jamais par des avancées significatives sur le terrain, ce qui n’arrange pas leur crédibilité.
Gén. : La Russie prend son temps pour hacher menu les forces Armées Ukrainiennes et détruire, jour après jour, les matériels et mercenaires envoyés par l’Occident à dose homéopathique. S’agissant de crédibilité, seul le résultat final fera foi. Lorsque Napoléon ou Von Paulus sont entrés en Russie, la croyance en une victoire Russe n’était pas très élevée et pourtant…
Le temps joue aujourd’hui en faveur de la Russie dans le volet économique du bras de fer mondial, si l’on en croit les données du FMI du 31 janvier 2023 et un rapport de la Rand Corporation qui met en garde les USA contre une guerre longue qui porterait sérieusement atteinte à l’économie US.
Si l’on observe les réactions mondiales, hors pays de l’OTAN, la crédibilité de la Russie a toujours le vent en poupe. L’Afrique nous chasse désormais pour se donner à la Russie. Le monde émergeant refuse de nous suivre malgré les pressions et les menaces. Aujourd’hui, c’est la crédibilité de l’OTAN qui semble mise à mal.
FG : Pour en revenir à l’armée de l’air ukrainienne, autre mystère, quel est l’intérêt pour elle de faire voler les appareils dont elle dispose ? Je pense qu’ils sont systématiquement abattus par l’aviation russe, Su57 et Su35 qui patrouillent avec des missiles air – air qui touchent à 300 km, de plus, le système défensif antiaérien des Russes est impressionnant, à la fois en qualité, en quantité, et pas son organisation en couches.
Gén. : La stratégie et la tactique ukrainiennes ont des aspects suicidaires difficiles à comprendre et donc à expliquer même pour un spécialiste.
FG : D’autant que pour leur part, les Russes ont l’air de craindre le reliquat de défense aérienne des Ukrainiens, leur aviation d’attaque au sol ne se montre pas beaucoup, de temps à autre, on a droit à une vidéo avec deux malheureux SU25 qui lâchent trois flèches et qui décrochent dans un nuage de leurres thermiques, ce n’est vraiment pas impressionnant. Idem pour les hélicoptères Ka 52, travaillant en mixte avec les Mi28 (ce dernier portant le radar de détection et de désignation, semble-t-il) ; les Ka52 sont même tellement prudents, qu’ils cabrent leur appareil à 40° pour augmenter la portée de leurs roquettes et éviter de rentrer dans la zone de défense.
Gén. : Les Russes semblent vraiment travailler à l’économie selon le vieux principe : l’Artillerie conquiert, l’Infanterie occupe. Ils veulent minimiser leurs pertes et maximiser celle de l’adversaire. Ils feront probablement une offensive plus spectaculaire dans les jours qui viennent pour rassurer leur population, mais ils s’arrêteront probablement de nouveau pour ne pas conclure cette année. Ils laisseront l’Occident s’affaiblir en s’empêtrant dans les sanctions boomerang.
Lorsqu’ils voudront terminer l’affaire, ils le feront en mobilisant les personnels et les matériels nécessaires. Ils ont encore d’immenses réserves qui n’ont pas été engagées.
Entretien par courriel du 5 février 2023.
Malgré tout, on garde l’impression que tout ça est bien truqué des deux côtés, avec mon esprit tordu, je ne suis pas loin de penser que ce sont les Russes qui fournissent des vieux SU27 et Mig29 aux Ukrainiens pour leur faire des cibles et faire durer la guerre.
(On se souvient de la blague amère des Berlinois pendant la guerre: si les bombardiers anglais cherchent des cibles, il va falloir qu’ils les emmènent avec eux …)
Pour l’instant, c’est le calme plat sur le front depuis presque une semaine, le Mindef ne se donne même plus la peine de faire sa capsule quotidienne. Si quand même, aux dernières nouvelles, les Ukrainiens sont en train d’évacuer Kupyansk, donc de recéder une partie du terrain conquis en septembre.
Si on veut donner un sens à cet immobilisme, les Russes ne se décidant toujours pas à manœuvrer, on peut distinguer deux phases:
1 – une guerre de mouvement précédée d’une efficace vague de missiles, cette phase était en bonne voie et aurait pu se conclure, mais les Russes auraient voulu voir la population ukrainienne se rallier à eux, cela n’a pas été le cas.
2 – Les Russes optent alors pour une guerre d’usure, en fait, il s’agit d’exterminer toute la génération « Otan », que les Russes jugent définitivement perdue et irrécupérable. D’où l’absurdité apparente de s’en prendre bêtement et uniformément à toute la ligne de défense adverse alors qu’ils ont les moyens de l’encercler. C’est un peu comme si Hitler avait décidé, non seulement de percer la ligne Maginot, mais de l’attaquer sur toute sa longueur, ou comme si les Alliés avaient débarqué sur tout le littoral entre Calais et Brest.
Belle photo en illustration, mais elle doit dater:
on voit une végétation et un paysage d’été,
surtout, le SU27 est entier, ce qui n’est certainement plus le cas aujourd’hui ;-)
10 février 2023
Zelensky a demandé à la Slovaquie de fournir à l’Ukraine des avions MiG-29 déclassés