L’OTAN n’a jamais été, contrairement à ce que prétend la propagande officielle, une organisation de défense collective au service des peuples européens. Dès son origine, elle a été pensée comme un instrument de domination, une structure destinée à empêcher toute indépendance politique du Vieux Continent et à en faire le protectorat de Washington. Lord Hastings Ismay, premier secrétaire général de l’Alliance, n’avait d’ailleurs pas pris la peine de masquer cette vérité. Sa formule est restée célèbre : « garder les Soviétiques dehors, les Américains dedans et les Allemands à terre ». Toute l’histoire de l’OTAN tient dans cette confession cynique. Il ne s’agissait pas d’un pacte défensif mais d’une prison à ciel ouvert pour l’Europe, coupée de sa profondeur géographique et culturelle à l’Est, remodelée à l’image américaine et tenue sous tutelle militaire.
En 1949, l’Europe sort brisée de la guerre. Ses industries sont détruites, ses économies ruinées, ses populations exsangues. Les États-Unis profitent de cette situation pour s’imposer comme maître d’œuvre de la reconstruction. Le Plan Marshall fournit l’argent, mais en échange d’une vassalisation politique et économique. L’OTAN est l’autre pilier de ce dispositif. Officiellement fondée pour protéger le continent contre une éventuelle agression soviétique, elle a surtout servi de carcan pour empêcher la résurgence d’une puissance européenne autonome. L’intégration de la République fédérale d’Allemagne en 1955 fut révélatrice : loin de restaurer une souveraineté nationale, cette adhésion fut organisée sous un contrôle militaire américain strict. Loin de réduire leurs garnisons, les États-Unis multiplièrent les bases sur le sol allemand, plaçant un véritable talon de fer sur la nuque du peuple germanique. Les archives déclassifiées l’attestent : Washington cherchait à « contenir simultanément Moscou et Berlin ». Le prétendu allié s’installait déjà en maître.
La crise de Suez, en 1956, marqua un tournant décisif. La France et le Royaume-Uni, en tentant de rétablir leur influence en Égypte après la nationalisation du canal par Nasser, crurent encore exister comme puissances. Les États-Unis les ramenèrent brutalement à la réalité. Eisenhower brandit la menace financière et obtint le retrait immédiat des troupes. L’Europe découvrait alors que sans le feu vert de Washington, aucune action indépendante n’était possible. Cette humiliation acheva de convaincre ses dirigeants que la désobéissance se payait cher. L’OTAN, loin de garantir la sécurité, était le fouet brandi par le maître pour maintenir l’ordre.
La chute de l’URSS aurait pu ouvrir une ère nouvelle. Le pacte de Varsovie disparaissait, la division du continent prenait fin. C’était l’occasion rêvée de bâtir une architecture de sécurité pan-européenne, autonome, respectueuse des intérêts de chacun. Les Américains promirent à Gorbatchev que l’OTAN ne s’étendrait pas « d’un pouce vers l’Est ». Mais cette promesse fut trahie sans vergogne. En 1999, Pologne, Hongrie et République tchèque furent intégrées, bientôt suivies par une longue liste d’anciens satellites soviétiques. Loin de garantir la paix, cette extension visait deux objectifs : couper toute possibilité de rapprochement stratégique entre l’Europe et la Russie, et maintenir la dépendance militaire de l’Union européenne à l’égard des États-Unis. Chaque fois que Paris ou Berlin évoquaient la création d’un système de défense propre, Washington a torpillé l’initiative. L’OTAN restait le seul cadre possible. L’Europe s’est ainsi privée de la chance historique de recouvrer son indépendance et d’établir un partenariat équilibré avec Moscou.
Les discours sur le « fardeau » porté par l’Amérique et sur les « passagers clandestins » européens ne sont que de grossières manipulations. Donald Trump comme ses successeurs aiment répéter que les Européens ne paient pas leur part. La réalité est toute autre. L’OTAN ne fonctionne pas par cotisations fixes, mais par des engagements budgétaires. Les États européens consacrent déjà des centaines de milliards à la défense, et ces dépenses profitent en réalité à l’industrie américaine. Plus des deux tiers des importations d’armements des pays européens de l’OTAN proviennent des États-Unis. Ce sont des transferts colossaux qui enrichissent Lockheed Martin, Raytheon ou Boeing, tandis que nos propres industriels étouffent. Les fameuses « normes OTAN » obligent les armées à acheter américain, et les nouveaux objectifs de 5% du PIB consacrés aux budgets militaires, imposés sous la pression de Washington, ne feront qu’aggraver cette dépendance. L’Europe se ruine pour financer les usines d’outre-Atlantique, et ce pillage institutionnalisé est maquillé en « effort de solidarité ».
La dépendance des pays membres de l’Union européenne est flagrante. Les Pays-Bas, l’Italie, la Belgique et le Danemark sont parmi les plus gros acheteurs européens de matériel américain, notamment pour leurs flottes d’avions de combat F-35. La Pologne, membre de l’UE depuis 2004, est devenue un client majeur de l’industrie US avec des contrats massifs pour les systèmes Patriot, les lance-roquettes HIMARS et les avions de chasse. La Roumanie, elle aussi, s’équipe auprès de Washington avec des systèmes de défense aérienne et des avions F-16. Même des pays qui disposent d’une industrie militaire solide, comme l’Italie, se placent sous la dépendance américaine pour des équipements stratégiques. Résultat : les budgets de défense européens profitent d’abord aux États-Unis, au détriment de l’autonomie industrielle et stratégique de l’UE.
Ce déséquilibre frappe de plein fouet l’industrie française de l’armement, pourtant capable de rivaliser technologiquement avec l’Amérique. Dassault Aviation, avec le Rafale, est marginalisé par le choix imposé du F-35 américain, acheté par presque tous les pays européens de l’OTAN. Thales, champion des systèmes électroniques et radars, voit ses solutions écartées au profit de technologies américaines standardisées. MBDA, producteur des missiles Exocet, Meteor ou SCALP, est concurrencé par les missiles Patriot ou HIMARS imposés par Washington. Naval Group a subi une attaque frontale avec l’affaire AUKUS, où un contrat historique de sous-marins fut annulé au profit des Anglo-Saxons. Safran, moteur aéronautique et défense, est fragilisé par la domination américaine dans l’aviation et l’espace. Nexter, fabricant du char Leclerc et du canon Caesar, voit ses marchés menacés par les chars Abrams et les blindés américains favorisés à l’Est. En clair, l’hégémonie de l’OTAN est un double poison : elle vide les caisses des États européens tout en asphyxiant leurs propres industries, incapables de rivaliser dans un marché verrouillé par Washington.
À ce parasitisme militaire s’ajoute le chantage énergétique. Depuis des décennies, les États-Unis voient d’un très mauvais œil le rapprochement économique entre l’Europe et la Russie, car celui-ci aurait assuré au Vieux Continent une énergie abondante et bon marché, donc une puissance économique capable de rivaliser. Le projet Nord Stream 2 représentait la clé de cette autonomie énergétique. Washington a tout fait pour le détruire. Les sanctions de 2019 puis le sabotage des gazoducs en septembre 2022 ont coupé court à cette voie. L’Europe se retrouve contrainte d’importer du gaz liquéfié américain à des prix exorbitants, et ce racket énergétique s’ajoute au racket militaire. Résultat : les factures explosent, les industries ferment, les ménages s’appauvrissent. Pendant que l’Europe se condamne à la récession, les exportateurs américains engrangent des profits records. Voilà la réalité de l’« alliance ».
On mesure cette domination en observant la carte militaire du continent. Les États-Unis disposent en Europe d’au moins quarante bases permanentes, auxquelles s’ajoutent plusieurs dizaines d’installations opérationnelles utilisées par l’OTAN : ports, aérodromes, dépôts, sites de missiles, quartiers généraux. En comptant les nouvelles implantations de l’« présence avancée renforcée » dans les pays baltes, en Pologne, en Roumanie, en Bulgarie et en Hongrie, on atteint facilement entre 80 et 120 sites majeurs sous contrôle américain ou intégrés dans la structure OTAN. L’Europe est ainsi littéralement quadrillée, occupée militairement par une puissance étrangère, et cette occupation se maintient depuis 1945 sans discontinuer. À titre de comparaison, la Russie, présentée comme une menace impériale, dispose d’environ vingt-cinq bases militaires à l’étranger, dont la grande majorité dans son voisinage immédiat, sur le territoire de l’ex-URSS ou dans des pays alliés comme la Syrie. Autrement dit, la Russie, puissance de 17 millions de km², a moins de bases hors de ses frontières que les États-Unis n’en entretiennent rien qu’en Europe occidentale et centrale. Ce simple contraste suffit à montrer qui est l’Empire, et qui cherche simplement à protéger son voisinage.
De Gaulle, une fois encore, avait vu juste. Il affirmait que l’Europe risquait de devenir le protectorat des États-Unis si elle persistait à se ligoter à l’OTAN. Nous y sommes. L’Union européenne n’est plus qu’une collection de vassaux disciplinés, prêts à se saborder pour complaire à Washington. La politique étrangère n’existe plus : elle se réduit à l’application servile de directives américaines. Du Suez à l’Ukraine, de Nord Stream aux sanctions suicidaires, le même schéma se répète : l’Europe renonce à ses propres intérêts et se tire une balle dans le pied.
Aujourd’hui, le monde bascule vers le multipolaire. L’hégémonie américaine s’effrite, de nouvelles alliances émergent, l’Asie, l’Afrique et l’Amérique latine s’affirment. Partout, les nations cherchent à reprendre leur souveraineté. L’Europe, elle, reste accrochée à un empire décadent. Elle préfère jouer le rôle de supplétif, d’éternel vassal, alors qu’elle aurait la possibilité d’être un pôle à part entière. Mais pour cela, il faut briser le carcan. Retrouver une politique indépendante, rouvrir le dialogue avec la Russie, diversifier ses partenariats énergétiques et industriels, relancer ses propres filières stratégiques, redevenir maître de son destin.
Tant que l’OTAN subsistera, rien de tout cela n’est possible. L’Alliance atlantique n’est pas une protection, mais une prison. Elle n’est pas un bouclier, mais une chaîne. Elle n’est pas la garantie de la paix, mais la certitude de la guerre au service d’intérêts étrangers. Tant que l’Europe refusera de voir cette vérité, elle restera une colonie, un terrain d’expérimentation militaire et économique pour Washington. L’histoire nous montre pourtant que les empires tombent toujours, et que les vassaux qui n’ont pas su s’émanciper disparaissent avec eux. L’Europe a encore le choix. Mais le temps presse. Il est urgent d’arracher le carcan de l’OTAN si nous voulons redevenir une civilisation libre et souveraine.