Slate.fr (le webzine édité sous l’égide de Jacques Atali) nous avait gratifié en décembre 2017 d’un article sensé faire date (enfin le croyait-il !) en matière de cartographie du globe terrestre… Il était l’œuvre d’une journaleuse revendiquée féministe, Titiou Lecoq, qui a sévi un temps à « Libération », mais qui est qualifiée par Slate de « journaliste indépendante », et blogueuse de « Girls and geeks » : un site où la « fécalité » n’est pas qu’une option, rejoignant en cela les pires pages du torchon Charlie-Hebdo.
Un pédigrée qui vaut évidemment à cette pisse-copies les honneurs de Wikipédia… On trouvait sur le site du blog une rubrique, signée de la susdite, intitulé « le journal des chiottes » (cela ne s’invente pas !) où elle nous avait fait découvrir dans sa livraison (n°19) que dans les toilettes de l’Elysée il y a deux dévidoirs de papier toilette à côté du siège. Un scoop pour la « journaliste d’investigation » qu’elle se revendique être, qui devrait sans aucun doute la conduire au prix Pulitzer…
Elle a publié : « Libérées, le combat féministe se gagne devant le panier de linge sale » (Ed. Fayard) Le ton est donné !
Elle s’est tragiquement illustrée à ce propos lorsqu’elle a refusé d’emmener son fils visiblement souffrant chez le pédiatre. Considérant que « l’amour de son conjoint ainsi que celui de ses enfants ne sont que des prétextes pour déroger à l’égalité homme-femme », cette féministe n’a pas voulu emmener son enfant malade chez le pédiatre car « ce n’était pas à son tour de le faire mais à son père ». Ce dernier ne l’a pas fait à temps et l’enfant a eu un tympan crevé. On imagine sans peine les souffrances du bambin… Elle assume parfaitement avoir pris son gamin comme otage de son combat idéologique.
On a vu des parents se faire retirer leurs enfants, sciemment mis en danger pour moins que cela !
Elle nous livrait le 1er décembre 2017 ses émois devant sa découverte (un peu tardive, même pour une journaleuse inculte) du nouveau planisphère fruit du travail (1999) d’un architecte japonais, Haje Narukawa, qui n’avait fait que modéliser informatiquement la représentation cartographique de Fuller qui datait déjà de 1946…
Rien de bien neuf donc, sauf dans l’exploitation idéologique, inattendue, qu’on peut en faire… Et c’est là que, vous allez le voir, notre féministe de choc était intervenue.
Un peu d’histoire de la cartographie : https://fr.wikipedia.org/wiki/Liste_de_projections_cartographiques
Marin de Tyr au IIeme siècle fut le premier à utiliser une technique de projection pour représenter la surface du globe, ce qui à l’époque où la terre était encore considérée par certains comme plate se résumait à prendre une ligne équatoriale en milieu de plan, de part et d’autre de laquelle se répartissaient les terres… Mais les choses se gâtèrent quand il fut définitivement admis par le monde chrétien que la terre était ronde ce qui était connu depuis déjà cinq siècles par les Grecs. (Même si certains veulent toujours croire qu’elle est plate !)
Si la navigation était usitée dans le monde gréco-latin, la pratique en était toujours limitée à suivre les profils côtiers… Ce fut aussi le cas des phéniciens.
Rappelons à tout hasard que la première cartographie connue du monde méditerranéen est arabe : les commerçants navigateurs ‟arabes” sont les premiers entre IXeme et le XIIIeme siècle à avoir développé une activité maritime intense dans le monde méditerranéen : Ils dessinèrent donc les premières cartes où la convention considérée comme classique de placer le nord en ‟haut” et le sud en ‟bas” y est inversée ! Al Idrissi, au XIIeme siècle dessinera pour Roger II de Sicile en 1138 le « Livre du divertissement de celui qui désire découvrir le monde » avec un planisphère achevé en 1154.
Il s’agissait en fait de donner des directions ; des éléments angulaires nécessaires à définir et à retrouver pour suivre avec une certaine sureté les trajets de navigation : la cartographie marine est donc azimutale : fondée sur la conservation des angles pour renseigner la route ! Il est clair qu’on ne peut pas à la fois conserver les angles et les distances dans une projection plane d’une structure sphérique ! [C’est l’argument ultime à opposer aux allumés qui imaginent toujours une terre plate souvent d’ailleurs en invoquant des supposées références vétérotestamentaires qui ne font d’ailleurs finalement, et c’est paradoxal, nullement référence à une vision plate de la terre !]
La projection de Mercator
C’est à la suite des voyages et explorations des marins ibériques au tout début du XVIeme siècle, que Mercator publie en 1538 une première carte du monde en utilisant le système de projection qui porte son nom, fondé sur la conservation des angles du fait qu’il inscrit la sphère terrestre dans un cylindre tangent à l’équateur, coupé selon une génératrice.
Evidemment les zones de l’extrême nord et de l’extrême sud ne sont pas présentables car les distances ne sont pas du tout conservées : elles s’allongent logiquement avec l’accroissement de la latitude… Mais comme la zone intertropicale est assez fidèlement reproduite et que les angles sont conservés, cette représentation, utilisée d’abord par les navigateurs trans océaniques , est la plus communément présentée.
La Projection de Lambert
Lambert utilise non plus un cylindre, mais un cône axé sur les pôles et tangent au parallèle de latitude 45°. De ce fait il obtient une représentation hémisphérique assez fidèle autour de la latitude 45° en fait d’environ de 30° à 60° , où les méridiens sont des droites qui concourent au sommet du cône, et les parallèles des arcs de cercle concentriques.
Le planisphère se présente alors en éventail :
Ce type de projection, repris sur de petite surface, fut très utilisé pour les cartes topographiques, notamment pour les cartes au 80 000e d’état-major (artillerie) et est la base des éditions cartographiques au 1/50 000e et au 1/ 25 000e
La projection polaire
On projette depuis le pôle nord ce qui permet de donner une vision à peu près rigoureuse en vraie grandeur des continents depuis 90° jusqu’à une latitude de 60° nord.
Une projection de même nature pourrait être utilisée depuis le pôle sur pour cartographier les zones australes. Mais outre le fait que la part terrestre y est beaucoup plus faible, le continent antarctique a un contour connu avec encore une certaine imprécision, due à l’épaisseur de l’icelandsis qui ne permet pas des investigations toujours très rigoureuses en son centre !
La projection de Fuller 1946 / 1954
Fuller comprend que la projection depuis la sphère conduit à une appréciation des distances variable avec la latitude et peu satisfaisante dès qu’on s’éloigne trop de la zone tangentielle. Aussi il imaginera une surface de projection non plane : la surface latérale d’un solide à faces multiples enveloppant primitivement la sphère, et développable dans le plan.
Il utilise d’abord en 1946 un cuboctaèdre (14 faces régulières, dont huit sont des triangles équilatéraux et six sont des carrés) puis un icosaèdre en 1954 (20 triangles équilatéraux).
L’isocaèdre va se développer suivant le patron ci-joint en 20 triangles adjacents :
Chacun de ces triangles porte un morceau de la carte où évidemment les variations liées aux projections sont infiniment moins importantes que dans les représentations précédentes…
Chacun pourra comprendre que suivant les éléments utiles à son activité, les types de projections cartographiques furent multiples, suivant les éléments conservés dans la transformation sphère / plan !
Ceci pour dire qu’il n’y a pas de projection « juste » et que ce qualificatif concernant la cartographie est intrinsèquement inadéquat et n’a aucun sens, sauf à spécifier « juste par rapport à tel paramètre ».
La carte de Hajime Narukawa
Le mérite de Hajime Narukawa a été de reprendre la décomposition de la méthode de Fuller et d’en « rabouter » les morceaux grâce à la DAO, le dessin assisté par ordinateur, qui permet de produire les dessins techniques avec des logiciels informatiques. Il a ainsi constitué une carte planisphère ‟globale”, en redécoupant et en juxtaposant les éléments d’une décomposition en 96 triangles qui est effectivement plus précise point par point que celles connues jusque-là.
Une carte qu’il également présentée sans les fonds océaniques, ce qui a aussitôt suscité l’admiration béate de la rien-pensance devant une représentation aussi inusitée, et la découverte par la « gaucho-ignardise » (pléonasme) du fait, bien connu de tous, que la terre dite « planète bleue » est couverte d’eau à plus de 72%… (Il parait que là cela se voit mieux comme cela. Soit !)
Pour ce qui est de la carte de Narukawa, on y trouve deux caractéristiques liées à la rectification des distances : la taille de l’Afrique est considérablement augmentée par rapport à sa figuration habituelle et celle du Groënland considérablement réduite.
Ce qui satisfait le wokisme ambiant à propos de l’Afrique et va calmer le jeu nouveau des prétentions américaines sur le Groenland qui n’apparaît plus que comme un potentiel petit porte avion atlanto-sioniste otanien « qui ne saurait en rien menacer l’Europe ». (Le révisionnisme cartographique au secours des menées géopolitiques en quelques sortes !)
Il n’y a rien d’autre à en dire, sauf à lire le commentaire éclairant de notre gaucho-fémino-fécaliste :
« Évidemment, il ne faut pas trop faire circuler cette carte. Vous vous rendez compte pour des personnes déjà fragilisées dans leurs certitudes, qui croyaient il y a encore un mois que le sexisme n’existait plus, que le racisme était exceptionnel et que la langue française était immuable, pourraient basculer dans des troubles psychologiques graves :
Ah bah voilà! Après l’écriture inclusive, les anti-racistes féminazies ont inventé une planète inclusive et dans leur haine de la France ils en ont fait un tout petit pays riquiqui. Quand cette folie s’arrêtera-t-elle? Il existe une République, une langue, une géographie, un planisphère.
En plus, dans leur nouveau truc, on dirait qu’il y a plus d’eau que de terre! Ridicule ! »
C’est vrai que mes certitudes ont été effectivement fortement ébranlées, notamment toutes celles, fruits de mes études scientifiques, qui m’avaient conduit à penser qu’une femme, même féministe, était forcément dotée d’un cerveau… Cette pauvre acéphale n’avait pas compris que cette carte, hormis la convention d’orientation de sa présentation, ne change évidemment absolument rien – sauf une certaine augmentation de la précision dans les distances – aux données classiquement connues de la géographie et qui sont retranscrites sur les cartes depuis des lustres.
Mais le coup de la « planète inclusive », on ne me l’avait pas encore fait… ( Je vous le fais donc partager !)
Le coup de la « connerie inclusive » non plus, mais grâce aux rédacteur.e.s de Slate.fr, j’en avais eu un solide aperçu…
Mais Slate remet aujourd’hui le couvert :
« En étirant l’Europe et l’Amérique du Nord, la projection de Mercator a donné aux nations blanches un sentiment de suprématie», s’indignera l’historien et cartographe allemand Arno Peters dans les années 1970. Il ne faut pas oublier que les cartes revêtent une connotation éminemment politique. Ce n’est pas un hasard si les mappemondes chinoises cannibalisent Taïwan ou que les cartes indiennes intègrent le Cachemire, qui fait pourtant l’objet d’une vieille dispute entre l’Inde, le Pakistan et la Chine. Nous-mêmes, Européens, avec notre Vieux Continent trônant au centre du planisphère, sommes-nous exempts de tous reproches ? »
L’auteur, Nicolas Méra commence son article par un morceau de bravoure :
« Lequel de ces territoires est le plus vaste: le Royaume-Uni ou Madagascar ? La bonne réponse: Madagascar. S’étendant sur 587.000 kilomètres carrés, la quatrième île du monde est plus de deux fois plus étendue que le Royaume-Uni (près de 247.000 km2). Ce qui signifie que l’on pourrait par exemple y loger confortablement l’Italie, la Grèce, la Suisse et le Portugal réunis. »
Ceci est déjà arithmétiquement faux ; mais la question n’est même pas là ! Il ose écrire :
« Ne vous blâmez pas: aucune carte du monde n’est exempte d’erreurs. Les premiers atlas connus mélangeaient des lieux réels avec des repères mythiques –l’emplacement du paradis, par exemple– et comblaient les vides de leurs cartes en y représentant des dragons, sirènes, krakens ou rhinocéros de mer. »
Ce malheureux ne comprendra jamais qu’à toutes les époques on faisait avec ce qu’on avait, et qu’on ne peut conserver à la fois les distances et les angles dans la projection d’une sphère sur un plan !
Pour résoudre ce débat, plusieurs projections alternatives ont été proposées, à l’instar de celle de l’Écossais James Gall en 1855, ressuscitée par Arno Peters (1916-2002) un siècle plus tard, en 1973. Celle-ci entend ‟rendre” aux îles et continents leurs superficies réelles, au détriment accepté et reconnu de leurs formes.
On comprend tout de suite l’intérêt majeur de cette rectification par rapport au modèle de Mercator : une valorisation extra-européenne purement idéologique ! On ‟ valorise” ainsi visuellement l’Afrique en l’allongeant et on pourra utiliser cette représentation pour satisfaire tous les apologistes de la négritude et les antiracistes qui mélangent peuples et territoires.
On diminue considérablement la représentation du Groenland, « petite île » au nord-est de l’Islande… De quoi faire admettre que les prétentions de Donald Trump de l’acheter pour en faire un porte avion otanien face aux forces euro-asiatiques ne concernent pas un territoire considérable ! De quoi minimiser les protestations européennes (notamment du Danemark) sur la question du Groenland !
Au lendemain de l’attaque israélienne sur l’Iran, pousser à une vision de l’implantation atlanto-sioniste otanienne colonisant le nord de l’Europe face à la Russie est une démarche médiatique certainement pas innocente de la part de Slate !