Pierre Lespinasse est né à Montluçon (Allier) le 2 juillet 1881.
L’ENFANCE
On ne sait pas grand-chose de son enfance et adolescence, si ce n’est qu’il est vraisemblablement éduqué dans la foi catholique et qu’il la conservera jusqu’à sa mort, puisqu’il est assassiné en se rendant à la messe, à l’âge de 62 ans, le 10 octobre 1943.
On sait seulement qu’il se passionne pour la peinture et notamment pour la « miniature » française du XVIIIe siècle et la peinture scandinave. Il publiera d’ailleurs quelques ouvrages sur le sujet : notamment un ouvrage sur « Les artistes français en Scandinavie » ou encore en 1929 « La miniature en France au XVIIe siècle » et un « Henry Marre, paysagiste ».
On est là loin de la caricature du « vichyste aux bottes cloutées » que certains essaient encore aujourd’hui d’accréditer.
LA CARRIÈRE
En tout cas, il intègre le corps de la magistrature au début du XXe siècle, sans doute vers 1906, peut-être à la faveur de la réforme du recrutement des magistrats. En effet en 1800 Napoléon avait réformé et réorganisé le système judiciaire saccagé par l’aventurisme des Révolutionnaires de 1789. Napoléon décide alors que les magistrats doivent avoir une licence de droit qui était alors d’une durée de deux années universitaires. Et après une sélection parmi les professionnels du droit ou du Barreau, les recrutés étaient tout de suite affectés sur un poste avec, en théorie, un magistrat tuteur.
À partir de 1906, le recrutement est renforcé par la création d’un examen professionnel et on trouve alors trace de la première nomination de Pierre Lespinasse comme juge suppléant à Montauban, au Tribunal de 1er instance le 10 janvier 1907.
Toute sa carrière se déroule dans le Midi toulousain puisqu’il est successivement substitut au Tribunal de 1ere instance de Saint-Gaudens en 1910, de Castres en 1913, d’Albi en 1917, de Toulouse en 1918.
Puis substitut du Procureur général de Toulouse en 1931 et enfin au prestigieux poste d’Avocat général près la Cour d’appel de Toulouse à partir du 17 décembre 1940.
Mentionnons qu’au cours de sa carrière Pierre Lespinasse est déjà distingué parmi ses collègues : il est fait chevalier de la Légion d’Honneur le 7 août 1936.
Il s’agit certainement d’une première reconnaissance non point seulement pour son activité professionnelle au sein des juridictions de la région toulousaine, mais également pour son engagement personnel particulièrement fort et déterminé sur un problème social de l’époque : l’enfance maltraité, délinquante ou en danger.
L’ENGAGEMENT DE L’HONNÊTE HOMME
En effet, au cours des années 1930, alors substitut général, il publie un livre « L’enfance coupable et moralement abandonnée » (1932). Il y milite en faveur de la protection de l’enfance en difficulté en préconisant une étroite coordination entre la justice, l’instruction publique, l’assistance publique et les œuvres privées.
Il développera beaucoup d’efforts dans ce sens dans la décennie qui suivra. Il est d’ailleurs appelé pour présider une sous-commission préfectorale sur le sujet et il en profite pour lancer la création d’un centre d’observation, de tri, de préservation et de relèvement pour les garçons délinquants ou en danger moral et pour le suivi des enfants anormaux ou déficients. Ainsi, en mai 1935 l’institution appelée « L’accueil toulousain » est créée.
On le voit, dès avant-guerre, ce substitut général de Toulouse se fait donc remarquer par ses préconisations d’avant-garde : le travail en coordination des pouvoirs publics, de la médecine et des œuvres charitables privées, c’est-à-dire ce que l’on nomme aujourd’hui l’interdisciplinarité.
Il faudra malheureusement attendre la tragédie de la défaite de 1940 pour que ses efforts en faveur de l’enfance en danger soient pleinement consacrés. On estime aujourd’hui que l’exode jette sur les routes de France près de 8 à 10 millions de personnes dont 90 000 enfants en perdition (familles disloquées, enfants errants, abandonnés ou livrés à eux-mêmes et à une forme de délinquance de survie).
Le régime de Vichy fait alors un pas décisif avec bien sûr les Chantiers de jeunesse et autres Compagnons de France mais également en prenant à bras le corps la question de l’enfance en difficulté.
Ce sont entre autre les conceptions de Pierre Lespinasse et les structures d’action auxquelles il participe en Midi toulousain qui servent de modèle à Vichy. On peut lire dans un rapport d’un inspecteur général de la Famille écrit vers 1940 que
« entre tous les projets qui avaient été élaborés avant la guerre, c’est le projet toulousain qui avait le mieux retenu l’attention sous le nom de « Projet Lespinasse », fruit de dix ans de recherche et d’expérience et qui va être réalisé maintenant ».
L’État français du maréchal Pétain décide alors la création de structures régionales chargées d’initier et de coordonner les actions en faveur de l’enfance en difficulté : les ARSEA – Associations Régionales de Sauvegarde de l’Enfance et de l’Adolescence – qui subsisteront après guerre en adoptant une autre dénomination, les CREAI – Centre Régionaux pour les Enfants et Adolescents et Adultes Inadaptés qui fonctionnent encore aujourd’hui dans la plupart des régions.
D’ailleurs, à l’époque, le secteur de Toulouse est choisi, avec un certain nombre d’autres, comme sites-pilotes pour expérimenter cette action et avec l’abbé Plaquevent (autre acteur local à la forte implication), s’ouvre à Toulouse, le 15 octobre 1942 une école de cadres et le 9 janvier 1943 un établissement d’enfants associé à cette école. Pierre Félix Lespinasse est alors membre du bureau de l’ARSEA de Toulouse et vice-président de l’association de l’abbé Plaquevent « L’essor occitan ».
Ainsi, pendant plus d’une dizaine d’années, Pierre Lespinasse a joué un rôle prééminent dans le groupe de notabilités toulousaines œuvrant en faveur de la protection de l’enfance française en danger.
Et en s’inspirant de son action, le régime de Vichy sera, dans ce domaine comme dans beaucoup d’autres, pionniers des solutions d’après-guerre que les communistes et gaullistes du CNR s’attribueront honteusement.
L’ASSASSINAT
En août 1941, pour faire face aux attentats frappant des soldats allemands entraînant de graves représailles contre des Français, le régime de Vichy prend ses responsabilités. Le ministre de l’Intérieur, Pierre Pucheu, et le ministre de la Justice, Joseph Barthélémy, mettent en place une juridiction spécialisée. Ces « Sections spéciales » chargées de réprimer les actes de terrorisme communiste et anarchiste, sont instituées auprès des tribunaux militaires en zone « libres » et auprès des Cours d’appel en zone occupée.
Pierre Lespinasse, ne se dérobe pas. Il est ainsi à Toulouse l’Avocat général chargé de requérir devant la Section Spéciale de Haute-Garonne contre Marcel Langer.
Mendel Langer (prononcé « langueur » en yiddish) dit « Marcel Langer » est né en Pologne, à Szezucin, le 13 mai 1903. Il est le fils d’Alter Langer (membre du Bund, le Parti socialiste juif) et de Rosa Eiger qui ont émigré en Palestine en 1920. Marcel langer sera un militant du Parti Communiste Palestinien luttant contre les Anglais. Puis il viendra en France, à Paris, puis à Toulouse, à partir de 1931, où il travaille comme fraiseur-ajusteur. Il adhère à une section de la MOI, organisation alors créée au sein de la CGTU (Confédération générale du travail unitaire) pour réunir les travailleurs immigrés.
En 1936, c’est l’engagement en Espagne dans les Brigades internationales. D’abord dans une brigade polonaise, puis dans la 35e division de mitrailleurs. Avec la défaite des républicains, il retourne en France.
Avec l’occupation en 1942 de la zone Sud par les Allemands, la MOI devient un mouvement de résistance militaire affilié aux FTP (francs-tireurs et partisans). Marcel Langer dirige, le premier, la 35e brigade formée dans la région toulousaine et nommée ainsi en souvenir de la 35e division des Brigades internationales.
Une vie de juif révolutionnaire au service de « l’idéal » stalinien en quelque sorte…
Le 5 février 1943, il est arrêté gare Saint-Agne, à Toulouse, alors qu’il réceptionne une valise remplie de dynamite. Pierre Lespinasse n’hésite pas sur la nécessité de punir ce « sans-patrie » pour l’exemple et pour éviter les prises d’otage par les Allemands. Il réclame et obtient sa tête. Langer est guillotiné le 23 juillet 1943 non sans s’être entretenu avec un rabbin avant son exécution.
La vengeance aveugle des prétendus « résistants » s’abat sur Pierre Lespinasse qui est froidement assassiné, le 10 octobre 1943, non loin de chez lui dans le quartier des Demoiselles, alors qu’il se rendait à la messe, par Enzo Lorenzi dit « Robert le blond » de la 35e brigade FTP-MOI.
Assistant aux obsèques de Roger Barthelet, intendant régional de police à Toulouse, lui aussi abattu par la Résistance quelques jours après Lespinasse, René Bousquet, secrétaire général de la Police, représentant le maréchal Pétain, dira :
« Ainsi, à quelques jours d’intervalles, deux hommes tombent sous les coups de balles terroristes. Hier, c’était l’un des plus grands espoirs de la magistrature française, l’avocat général Lespinasse. Je veux flétrir un tel crime que rien ne saurait expliquer, que rien ne peut justifier et que rien ne peut faire pardonner. Ils sont morts pour avoir aimé et pour avoir voulu servir une France idéale dont consciemment ou inconsciemment, nous avons au fond de nous les germes de son redressement. »
Pierre Félix Lespinasse est fait officier de la Légion d’Honneur le 9 octobre 1943 (à titre posthume et rétroactivement) et cité à l’ordre de la nation le 10 octobre. Il figure toujours sur l’annuaire des magistrats « morts pour la France » et « victime de son devoir » comme cela est gravé sur sa tombe !
Pierre Félix Lespinasse ? Présent !