« Quand on représente une cause (presque) perdue, il faut sonner de la trompette, sauter sur son cheval et tenter la dernière sortie, faute de quoi l’on meurt de vieillesse triste au fond de la forteresse oubliée que personne n’assiège plus car la vie s’en est allée ailleurs. » (Jean Raspail, Le roi au-delà de la mer (2000) 1925 – 2020)
Antoine Thounem est né le 12 mai 1825 à La Chèze en Dordogne dans une famille de paysans dont l’aisance relative lui permet de faire quelque étude et d’acheter une charge d’avoué à Périgueux.
Son père, Jean, obtient, en appel, un jugement en date du 27 juillet 1857 de la cour impériale de Bordeaux autorisant sa famille à rectifier son patronyme en « Tounens » et à y ajouter une particule. Son nom devient alors de Tounens. Les actes d’état civil de sa famille mentionnaient le nom de Tounens de la fin du XVIIe siècle au milieu du XVIIIe siècle, ce nom ayant été altéré et ayant perdu la particule dans les actes ultérieurs.
Antoine de Tounens vend sa charge d’avoué en cette même année 1857 et sa famille contracte un emprunt de 25 000 francs auprès du Crédit foncier de France en vue d’une expédition qu’il projette.
Il débarque au Chili le 28 août 1858 à Coquimbo, à 400 kilomètres de Santiago. Il gagne la province d’Arauco en 1860, où il promulgue une constitution le 17 novembre. Ayant pris le nom d’Orllie-Antoine Ier (ou Orélie-Antoine Ier), il est proclamé roi d’Araucanie et de Patagonie le 20 novembre 1860, revendiquant ainsi l’extension de son royaume au-delà des Andes, jusqu’à l’Atlantique et au détroit de Magellan. Il s’appuie sur les tribus Puelches et Tehuelches, qui lui restent fidèles par la suite, mais est fait prisonnier par les troupes chiliennes le 5 janvier 1862, puis condamné à l’internement dans un asile de fous.
L’intervention du consul général de France lui permet de regagner la France et il embarque le 28 octobre 1862 à Valparaiso à bord du Duguay-Trouin.
Durant la période 1860-1862, le Royaume d’Araucanie et de Patagonie a eu, dans une certaine mesure, une existence effective. Mais les ministres Lachaise et Desfontaines dont on voit les signatures au bas d’actes royaux n’existent pas : le nom du premier correspond au La Chèze (ou La Chaise) où naquit Antoine de Tounens et celui de second à Les Fontaines, un hameau proche du précédent…
La Bibliothèque nationale conserve la trace d’une souscription organisée en sa faveur, notamment à Bordeaux, à partir de l’été 1866 ; il trouve ainsi un appui, et monte une seconde expédition en 1869. De retour en France, il lance une nouvelle expédition en 1874.
Sur place, il est immédiatement arrêté, emprisonné puis libéré sur intervention de l’ambassade de France. Sa dernière tentative échoue en 1876.
Revenu malade de sa dernière expédition il se retire chez son neveu Jean dit Adrien (1844-1889), établi à Tourtoirac comme boucher ; il y meurt le 17 septembre 1878, après de dures souffrances, tout près de son lieu de naissance.
Bien qu’ayant a une époque été affilié aussi à la franc-maçonnerie, à sa mort il demande les secours de la Sainte Église Catholique apostolique et romaine et confesse sa faute, mourant en bon chrétien et sera inhumé à Tourtoirac.
Il mourut sans alliance ni descendance. Ses dernières volontés furent-elles de désigner Achille Laviarde pour lui succéder sur le trône ? En tout cas ses proches par le sang préférèrent travailler au rétablissement d’une situation financière compromise. Le neveu secourable, Monseigneur Adrien-Jean de Tounens (1844-1889), était devenu l’héritier à la mort de son père Jean (1805-1881), l’aîné des neuf enfants Tounems-Jardon ; il renoncera en 1882 en faveur d’Achille Ier et ses enfants s’appelleront simplement Thounens. Après Achille Laviarde, la succession sera ensuite légalement transmise devant notaires avec le titre de Prince d’Aracanie, reconnu par la République française.
Tout ceci constitue une occasion perdue par la France — qui n’accorda aucune aide publique à Antoine de Tounens — pour s’implanter dans cette région du monde qui n’appartenait alors à aucun État, l’empereur Napoléon III était alors, il est vrai, engagé dans l’expédition du Mexique (1861-1867) pour soutenir l’empereur Maximilien.
Il reste connu en France car sa vie a fait l’objet notamment d’un ouvrage de Saint-Loup, Le Roi blanc des Patagons. C’est en 1950, au terme de trois années de voyages en Amérique du Sud, que Saint-Loup découvre, par l’intermédiaire de l’historien Armando Braun Menéndez, l’existence d’Antoine de Tounens. Il décide alors de « faire connaître la vie de ce cadet de Gascogne, ce Cyrano de Tourtoirac qui a, comme l’autre son voisin de Bergerac, donné sa vie pour des rêves ». Le roman qu’il consacre à ce « véritable saint de l’aventure » se veut fidèle à la réalité historique.
Le musée du Périgord, à Périgueux conserve un buste d’Antoine de Tounens, sculpté par Jean-Baptiste Baujault.
De Saint Loup avec »Le Roi blanc des Patagons » à Jean Raspail dans son mythique »Moi, Antoine de Thounens, roi de Patagonie » tant d’écrivains se sont inspirés d’un homme dont la seule folie fut celle d’être porteur d’un grand destin.
Il suivra ses rêves toutes sa vie, en dépit des échecs, des trahisons, des sarcasmes qui peupleront son existence…
Là-bas, en Patagonie, l’homme devient roi.
Sa longue nuit s’illumine.
Pour aller plus loin :
– De Jean Raspail : Moi, Antoine de Tounens, Roi de Patagonie (Albin Michel, 297 pages, 20 €)
Et c’est le moment de rappeler « Le jeu du roi »… Autre chef d’oeuvre de Raspail dont le talent ouvre la porte au rêve… A lire absolument…
C’est aussi le moment de rappeler que Tounens fut ce qu’on appelle un cryptarque et il est vraiment dommage que ces hommes, ces Ulysse des temps modernes ne soient pas plus considérés et pris au sérieux dans l’opinion publique, on incline trop à les prendre pour de doux rêveurs qui se repaissent constamment de leurs chimères. Ce sont vraiment des hommes de grande qualité et il est très louable de perpétuer leur mémoire.