La fable la plus odieuse de la Première Guerre mondiale
Une série d’extraits va nous permettre de retracer l’histoire d’un des plus révoltants mensonges inventés durant la Première Guerre mondiale, sa propagation, non seulement en Grande-Bretagne mais à travers le monde, était entretenue par la presse en pleine connivence avec le gouvernement de Sa Majesté. Lancé en 1917, il n’a finalement été abandonné qu’à partir de 1925.
(La plupart des citations sont extraites du quotidien The Times, mais il faut bien avoir à l’esprit que la presse populaire donnait dans un sensationnalisme bien plus cru).
Un consul des États-Unis rentrant d’Allemagne a déclaré lors de son passage par la Suisse en février 1917, que les Allemands se servaient des cadavres pour produire de la glycérine.
The Times, 16 avril 1917
Herr Karl Rosner, correspondant sur le front de l’ouest pour le Lokalanzeiger de Berlin … a publié mardi dernier pour la première fois, l’aveu par les autorités allemandes de la façon dont les cadavres étaient utilisés.
Si on passe à Everingcourt, on sent flotter dans l’air comme une odeur douceâtre de chaux-vive qui se fait de plus en plus insistante à mesure qu’on s’approche de la grande installation de transformation des cadavres (Kadaververwertungsanstalt) du groupe d’armées. La graisse recueillie sert à faire des lubrifiants et les os sont broyés en poudre et mélangé à la nourriture pour les cochons en sorte que rien n’est gaspillé.
The Times, 16 avril 1917
The Times du 17 avril relayait un reportage long et détaillé de La Belgique (Leyden), via l’Indépendance Belge du 10 avril sur la Deutsche Abfallverwertungsgesellschaf [Société allemande de traitement des déchets], située à proximité de Coblence où des trains pleins à ras bord de fagots de cadavres dénudés de soldats allemands étaient déchargés et plongés dans des chaudrons pour en faire de la margarine et de l’huile alimentaire.
The Times du 18 avril 1917 reproduisait une lettre de C.E. Bunbury qui analysait l’information et suggérait qu’elle devait être utilisée à des fins de propagande à l’adresse des pays neutres et d’Orient où elle devrait être rédigée en sorte de provoquer une réaction d’horreur chez les bouddhistes, les hindous et les musulmans. Il songeait à des canaux de diffusion tels que le Foreign Office, l’India Office, et le Colonial Office ; d’autres lettres dans le même sens sont parues le lendemain.
The Times du 20 avril 1917 relatait l’histoire du sergent B., du Kent, selon laquelle un prisonnier lui aurait dit que les Allemands faisaient bouillir leurs morts pour en faire des munitions et des aliments pour porcs et volaille. « Ce gars me disait que les Fritz appelaient leur margarine « graisse de cadavres » parce qu’ils soupçonnaient que ça en était. »
The Times disait avoir reçu plusieurs courriers des lecteurs « attirant l’attention sur la traduction de l’allemand Kadaver selon lesquels le mot ne s’emploie pas à propos de corps humains. Sur ce point, les plus hautes autorités se sont accordées pour dire que le terme s’employait aussi pour les corps des animaux. D’autres lettres parvenaient au journal qui confirmaient toute l’histoire, il y en avait en provenance de Hollande, de Belgique et plus tard, de Roumanie.
Un article du Lancet [le même journal qui nous a si bien éclairé sur le Covid] se penchait sur l’aspect « économique » (ou plutôt sur ses aspects techniques et industriels) suscitant une réaction horrifiée de la part de l’ambassadeur de Chine à Londres et également du maharadjah de Bikanir (The Times du 21 avril 1917)
The Times du 23 avril 1917 faisait part d’une réaction allemande jugeant le rapport « immonde et grossier » et réaffirmant que Kadaver ne se dit jamais d’une dépouille humaine. The Times, citations de dictionnaire à l’appui, maintenait que si, ajoutant qu’on trouvait deux termes dans les catalogues officiels allemands : Tierkörpermehl et Kadavermehl [farine de carcasse dans les deux cas] sous-entendant par-là qu’il devait bien y avoir une différence entre les deux.
The Times du 24 avril 1917 faisait paraître une lettre signée d’un certain E.H. Parker et à laquelle était jointe une copie d’un article du North China Herald du 3 mars 1917. L’article rendait compte d’une entrevue entre l’ambassadeur allemand et le Premier ministre chinois à Pékin :
Mais l’entretien a tourné court lorsque l’amiral von Hinke a commencé à dériver sur les ingénieuses méthodes employées par les techniciens allemands pour obtenir les composés chimiques nécessaires à la fabrication de munitions. L’amiral déclarait triomphant que la glycérine était extraite de leurs soldats tués ! Effaré, le Premier ministre ne voulait plus entendre parler de l’Allemagne et il devenait plus facile de le convaincre se dresser contre elle.
La séance ci-dessous de questions-réponses au parlement voit un gouvernement très évasif sur le sujet bien qu’il sache pertinemment qu’il n’y avait pas l’ombre d’une preuve dans le dossier : un bon exemple de la manière classique dont les dirigeants s’y prennent pour laisser courir de faux bruits.
Mr. Ronald McNeill demande au Premier ministre s’il prévoit de prendre des mesures pour faire connaître le plus largement possible en Égypte, en Inde, et plus généralement en Orient, que les Allemands se servent des cadavres de leurs propres soldats et de ceux de leurs ennemis dont ils rentrent en possession, comme aliment pour les cochons.
Mr. Dillon demande au chancelier de l’Échiquier si son attention avait été retenue par les rapports largement diffusés dans le pays selon lesquels les dirigeants allemands avaient monté des usines pour récupérer la graisse des soldats morts au combat; si ces rapports avaient été confirmés par des personnalités éminentes du pays comme Lord Curzon of Kedleston; si le gouvernement avait des raisons sérieuses de penser que ces accusations étaient fondées; et si dans cette éventualité, il était disposé à communiquer les informations en sa possession à la Chambre.
Lord R. Cecil : En ce qui concerne cette question et celle inscrite au nom de l’hon. député d’East Mayo, le gouvernement n’a pas d’autres informations que celles contenues dans les extraits de la presse allemande et publiés ici par notre presse. Compte tenu d’autres agissements de la hiérarchie militaire allemande, ces accusations n’ont rien d’invraisemblables. Le gouvernement de Sa Majesté a autorisé par les canaux habituels la diffusion des faits tels qu’ils sont apparus.
Mr, McNeill : Est-ce que le Right Hon. Gentleman peut nous dire si le gouvernement a l’intention de prendre toute mesure utile pour donner une large publicité en Orient de cette affaire émanant de sources allemandes ?
Lord R. Cecil : Je crois préférable pour le moment de ne pas recourir à d’autres mesures que celles qui ont été déjà prises.
Mr. Dillon : Puis-je demander si nous pouvons conclure de la réponse que le gouvernement n’a aucune preuve tangible à l’appui de cette accusation et qu’il n’a pris aucune mesure pour enquêter à ce sujet ? Et est-ce qu’il leur est venu à l’esprit qu’il ne s’agirait pas seulement d’un énorme scandale, mais que cela porterait un grave préjudice au pays d’avoir autorisé la diffusion de telles déclarations, une autorisation émanant de ministres de la Couronne, si elles sont, comme je le pense, complètement fausses ?
Lord R. Cecil : L’Hon. député a peut-être des informations que je n’ai pas. Je ne peux parler que sur la base de ce qui a été publié dans la presse. J’ai déjà dit à la Chambre que je n’avais aucune autre information. L’information, c’est ce qui a été publié et que j’ai sous les yeux (citant le Times lui-même reprenant les informations du Lokalanzeiger). C’est tout ce dont je dispose.
Mr. Dillon : Est-ce que l’attention de l’estimable Lord a été attirée sur le fait que le Frankfurter Zeitung, entre autres grands titres de la presse allemande, a fait paraître des articles décrivant tout le processus, dans lesquels on retrouve le mot Kadaver, et dont il ressort clairement que ces usines sont prévues pour traiter les cadavres de chevaux et d’animaux gisant sur le champ de bataille – (un député : « des animaux humains ! ») – et je demande au Right Hon. Gentleman si le gouvernement entend s’atteler à la recherche d’authentiques informations pour décider si toute cette histoire qu’on a laissée circuler est vraie ou complètement fausse. L’honneur de l’Humanité le commande.
Lord R. Cecil : Il n’est pas de la responsabilité du gouvernement, ni dans ses capacités, d’ouvrir des enquêtes sur ce qui se passe en Allemagne. La suggestion de l’Hon. député est particulièrement hors de propos, quant à la citation du Frankfurter Zeitung, je n’en ai pas eu connaissance, mais j’ai consulté les déclarations du gouvernement allemand qui ont suivi la publication et je dois avouer que ses déclarations ne m’inspirent aucune confiance.
Mr. Dillon : Je prie le Right Hon. Gentleman de dire si, avant qu’un ministre de la Couronne et membre du Cabinet de la guerre ne donne son aval à la diffusion de ces rumeurs, il ne devrait pas s’assurer de disposer d’informations fiables.
Lord R. Cecil : Je pense que tout ministre de la Couronne à le droit de commenter et de faire référence à ce qui est publié dans les grands journaux. Il n’a pas prétendu, ni cherché, à prendre la responsabilité de l’information (un Hon. député: « Si, il l’a fait ! »). Non, pas d’après ce que je sais, il a dit : « Comme il en a été fait état dans la presse ».
Mr. Outhwaite: Puis-je demander à l’estimable Lord s’il a conscience que la diffusion de ces rapports (interruption) a provoqué une grande inquiétude et une profonde douleur aux parents qui ont perdu un fils à la guerre et qui sont amenés à craindre que son corps ait subi ce traitement, n’est-ce pas une bonne raison pour élucider ce qui se passe en Allemagne ?
House of Commons, 30 avril 1917
The Times du 3 mai 1917 fait paraître des extraits du Frankfurter Zeitung affirmant que la presse française considère à présent que l’histoire des Kadaver est un « malentendu ».
The Times du 17 mai 1917 rapporte que Herr Zimmermann a nié devant le Reichstag que des corps humains aient été utilisés ; il faisait remarquer que l’histoire était d’abord apparue dans la presse française. En réponse à une question posée à la Chambre des Communes le 23 mai, Mr. A. Chamberlain faisait savoir que le rapport serait mis à la disposition du public en Inde « par les canaux habituels ».
Une caricature d’usine à cadavre paraissait dans Punch :
Kaiser (aux recrues de 1917) : Et n’oubliez pas que le Kaiser vous trouvera une utilité mort ou vif. (Dans les établissements de récupération de l’ennemi, les cadavres de soldats allemands subissent un traitement chimique, les principaux produits qui en sortent étant des lubrifiants et de l’alimentation pour les porcs).
Aperçu d’une usine à cadavre depuis une fenêtre.
L’affaire a eu un retentissement mondial et la propagande un effet considérable en Orient. Il a fallu attendre 1925 pour que la vérité émerge.
Une impression pénible s’est dégagée d’un discours malheureux du brigadier-général Charteris au diner du National Arts Club et dans lequel il prétendait connaître la vérité au sujet de l’affaire des cadavres bouillis pour en retirer de la graisse pour les munitions et les engrais.
Selon le général, il s’agissait à l’origine d’une propagande destinée à la Chine. En transposant la légende d’une des deux photographies trouvées sur des prisonniers allemands, sur l’autre, on avait l’impression que les Allemands faisaient un usage monstrueux des cadavres. C’est cette deuxième photo qu’il avait fait parvenir à un journal de Shanghai. Il rappela ensuite l’histoire familière de sa parution en Angleterre et des intenses polémiques qu’elle y a engendrées. Il disait aussi que, lui-même, chaque fois qu’une question à la Chambre lui était retransmise, il répondait invariablement que de ce qu’il connaissait de la mentalité allemande, il s’attendait à tout.
Par la suite, précisa Charteris, pour étayer l’histoire, ses services avaient prévu de trafiquer un faux journal et de prétendre ensuite qu’il avait été découvert sur un cadavre par un correspondant de guerre grand amateur de carnets intimes de soldat allemands. Mais le projet n’a pas eu de suite et le journal est maintenant au musée de la Guerre à Londres.
The Times, 22 octobre 1925 de son correspondant à New York.
On peut fournir quelques déclarations utiles d’hommes politiques.
Lloyd George : L’histoire m’est parvenue de diverses manières, je n’y croyais pas alors et je n’y crois toujours pas. Elle n’a jamais fait partie de l’arsenal du British Propaganda Department, en fait, nous l’avons proprement rejetée.
Mr. Masterman : Nous n’avions évidemment pas gobé l’histoire et je ne connais aucun haut responsable de l’époque qui y ajoutât foi. Rien d’aussi douteux n’a jamais été utilisé par notre propagande, nous ne passions que des informations dûment vérifiées.
Mr. 1. Macpherson : J’étais au War Office à l’époque. Nous n’avions pas de raison de douter de l’authenticité de l’histoire lorsqu’elle a surgi. Elle était étayée par les ordres divisionnaires pris à l’armée allemande en France et nous avions l’impression qu’elle était soutenue par le Foreign Office sur la foi d’extraits de la presse allemande. Nous ne soupçonnions pas que l’histoire avait pu être inventée, si nous avions eu un doute, en aucun cas nous ne nous en serions servi.
Un correspondant de New York a directement appelé le général Charteris et a cherché à en savoir plus, lui disant que si toute l’histoire était une invention, il fallait en parler au New York Times.
Ce à quoi il aurait énergiquement répondu qu’il ne pouvait être question de contester le rapport étant donné que l’erreur n’avait plus qu’une importance anecdotique.
Daily News, 5 novembre 1925
The Times présentait un article citant le New York Times qui défendait bec et ongles la véracité de sa version du discours.
Le journal [le New York Times] faisait judicieusement observer que dans son démenti, le général n’est pas revenu sur ses aveux selon lesquels il s’était abstenu de dire la vérité lorsqu’il était interrogé sur le sujet par la Chambre des Communes ni à propos du faux carnet qui devait venir étayer l’histoire de l’usine à cadavre et qu’on était censé découvrir sur la dépouille d’un prisonnier – une manœuvre qui n’a été abandonnée que parce qu’on craignait que le pot aux roses fût découvert.
Le brigadier- général Charteris, rentré d’Amérique en fin de semaine, a rendu visite hier au War Office où il a eu un entretien avec le secrétaire d’État à la guerre (Sir Laming Worthington-Evans) au sujet des assertions contenues dans son discours à New York sur la propagande de guerre. On croit comprendre que le War Office considère que l’incident est clos et qu’il n’y aura probablement pas une nouvelle enquête.
En fin de journée, Charteris partait pour l’Écosse, à son arrivée à Glasgow il faisait la déclaration suivante :
« À mon arrivée en Écosse, j’ai eu la surprise de constater que, en dépit du démenti publié par moi à New York auprès de l’agence Reuters, l’intérêt du public pour la retranscription entièrement inexacte de mes remarques lors d’un dîner privé à New York n’avait pas faibli. Je crois nécessaire, dans ces conditions, d’apporter à nouveau un démenti catégorique des déclarations qui me sont attribuées. Certaines conjectures au regard de l’origine de l’affaire des Kadaver qui ont déjà paru dans These Eventful Years (British Encyclopedia Press) ou ailleurs, ne sont que pures spéculations – lesquelles – sans doute involontairement, mais néanmoins malheureusement – sont reprises comme des déclarations que j’aurais réellement faites.
« S’il devait subsister le moindre doute, laissez-moi vous dire que jamais je n’ai inventé cette histoire de Kadaver ni modifier la légende d’une quelconque photo, pas plus que je ne me suis servi de documents contrefaits dans des buts de propagande. Ces allégations ne sont pas seulement inexactes mais elles sont en outre absurdes étant donné que le G.Q.G France où j’avais la charge du renseignement militaire ne comptait nullement la propagande dans ses attributions. Je suis tout aussi intéressé que le grand public de connaître la véritable origine de cette histoire. Le G.Q.G France n’est entré en jeu qu’au moment où un carnet fictif à l’appui de l’affaire des Kadaver lui a été soumis. Lorsqu’il est devenu patent qu’il s’agissait d’un faux, il a été aussitôt rejeté.
« J’ai ce matin vu le secrétaire d’État et je lui ai présenté tous les détails et j’ai son aval pour déclarer qu’il en est pleinement satisfait ».
The Times, 4 novembre1925
Lieut.-Commander Kenworthy demandait au secrétaire d’État à la guerre si au vu du regain d’intérêt éveillé en Allemagne au sujet des rumeurs de soi-disant usines de transformation des cadavres installées à l’arrière des lignes durant la dernière guerre, il pouvait fournir une quelconque information quant à leur source originelle et dans quelle mesure le War Office y avait prêté foi.
Sir L. Worthington-Evans : Étant donné la durée qui s’est écoulée depuis cette lointaine époque, je ne pense pas qu’il soit encore possible de remonter avec certitude à la source de la rumeur. Les dires au sujet d’installations allemandes de récupération des cadavres sont apparus pour la première fois le 10 avril 1917 dans le Lokalanzeiger de Berlin et dans l’Indépendance Belge et La Belgique, deux journaux belges paraissant en France et en Hollande. Ces dires ont été repris par notre presse avec comme commentaire qu’il s’agissait de la première reconnaissance par les Allemands au sujet de la manière dont ils récupéraient les dépouilles.
Des questions furent posées à la Chambre des Communes le 30 avril 1917 auxquelles le sous-secrétaire d’État pour les affaires étrangères a répondu au nom du gouvernement en disant qu’il n’avait pas d’autres informations que celles qui étaient parues dans la presse allemande. Mais peu de temps après, on mettait la main en France sur un ordre de l’armée allemande qui contenait les instructions pour la livraison des corps aux établissements mentionnés par le Lokalanzeiger cet ordre a été transmis au War Office, qui, après l’avoir attentivement examiné en a autorisé la publication.
Les termes de l’ordre étaient tels, que, rapprochés des articles du Lokalanzeiger et des deux journaux belges ainsi qu’aux rumeurs qui circulaient déjà, il apparaissait au War Office comme un élément de preuve venant corroborer l’histoire. Les preuves montrant que le mot Kadaver s’employait aussi pour les humains et qu’il n’était pas exclusivement réservé aux carcasses animales ont été tirées des dictionnaires allemands et des ouvrages d’anatomie en sorte que l’objection soulevée par les Allemands concernant ce terme n’a pas été retenue. Compte tenu des informations en sa possession à l’époque, le War Office n’avait, semble-t-il, aucune raison de douter de la véracité de l’histoire.
Lieut. -Commander Kenworthy: Je suis très reconnaissant envers le Right Hon. Gentleman pour sa réponse si complète. Ne pense-t-il pas qu’il serait souhaitable que le War Office devrait se décider à infirmer cette histoire et dissiper les doutes à son sujet ?
Sir L. Worthington-Evans : Je ne pense pas qu’il serait de l’intérêt public de revenir sur cette affaire. J’ai donné à la Chambre les plus complètes informations en ma possession dans l’espoir que les Hon. députés en seraient pleinement satisfaits. (Hon. Députés : Hear, hear.)
Lieut.-Commander Kenworthy : Le Right Hon. Gentleman ne pense-t-il pas qu’il serait souhaitable, même à présent, d’enfin reconnaître la fausseté de la version initiale de l’histoire, ne serait-ce qu’en vertu de l’esprit des accords de Locarno ?
Sir L. Worthington-Evans : Il ne s’agit pas de savoir si l’histoire est vraie ou fausse, ce qui importe, ce sont les informations sur lesquelles s’est basé le War Office alors. Bien entendu, le fait qu’il n’y ait eu aucune confirmation depuis change la nature de l’affaire, mais il faut s’en tenir aux informations dont les autorités de l’époque disposaient.
House of Commons, 24 novembre1925
On voit qu’il s’agissait en permanence d’éviter un démenti franc et massif. C’est finalement à Sir Austen Chamberlain qu’est revenu la tâche de mettre un point final à l’affaire. Le 2 décembre 1925, en réponse à Mr. Arthur Henderson qui lui demandait s’il n’avait une déclaration à faire sur l’histoire des fameux Kadaver, il dit :
Oui sir ; mes Right Hon. Friend, le secrétaire d’État à la guerre disait à la Chambre la semaine passée comment l’histoire est parvenue au gouvernement de Sa Majesté en 1917. Le Chancelier du Reich m’a autorisé à vous dire, avec l’aval du gouvernement allemand, qu’elle est dépourvue du moindre fondement. C’est à peine si j’ai besoin d’ajouter au nom du gouvernement de Sa Majesté que j’accepte ce démenti et que j’espère qu’on ne reviendra plus sur ces fausses accusations.
Le malaise produit par cet épisode et d’autres cas de propagande en Amérique est bien illustré par un éditorial du 6 décembre 1925 du Times-Dispatch de Richmond.
Les bureaux de propagande dont disposent désormais toutes les armées des grandes nations ne sont pas la moindre des monstruosités de la guerre moderne. Ce n’est pas non plus un signe très encourageant pour un éventuel avènement de la paix sur terre. La fameuse affaire des Kadaver, qui a poussé à son paroxysme en Amérique et chez les Alliés la haine des Allemands durant la guerre, a été officiellement reconnue devant la Chambre des Communes comme étant un mensonge. Voici quelques mois, le monde apprenait les détails de sa conception et de sa diffusion par les officiers du British Intelligence Service. Nous apprenons à présent que tout imprégné de l’esprit du pacte de Locarno, Sir Austen Chamberlain est montée à la tribune de la Chambre pour dire que le Chancelier allemand a démenti l’histoire et que ce démenti avait été bien reçu par le gouvernement britannique.
Il y a quelques années, la manière dont le Kaiser réduisait les cadavres en matière grasse avait provoqué chez les citoyens des nations civilisés une vague de fureur et d’indignation. Tous les hommes normaux ont serré les poings de rage et se sont précipités vers le plus proche sergent recruteur. Et voilà qu’on leur dit qu’en fait, ils se sont laissé berner comme des nigauds, que leurs propres officiers les ont délibérément conduits à l’état d’excitation voulu en se servant d’un mensonge ignoble, tout comme un grand frère aurait susurré à son cadet qu’un de ses amis était en train de le posséder.
La maigre consolation qu’on peut retirer de cette révulsante affaire, c’est de constater que l’homme moderne n’est plus prêt, de lui-même, à se jeter sur commande à la gorge de son frère, il faut lui asséner une bonne dose de propagande pour réveiller ses instincts.
Pour la prochaine guerre, il faudra que la propagande soit plus subtile et recherchée que ce qu’on a vu lors de la Guerre Mondiale. Les aveux complets d’un gouvernement en qui on avait toute confiance ne seront pas oubliés de sitôt.
Arthur Ponsonby
Traduction : Francis Goumain
Source : The Corpse Factory (ihr.org)
Cet article est un chapitre du livre Falsehood in Wartime, d’Arthur Ponsonby, paru pour la première fois en Grande Bretoagne en 1928. Ce chapitre a été réimprimé dans The Journal of Historical Review, été 1980 (Vol. 1, No. 2), pages 121 -130.
Au sujet de l’auteur
Arthur Ponsonby (1871-1946), est un homme politique britannique et un écrivain engagé. Il est élu pour la première fois au parlement en 1908. Avec d’autres éminentes figures de la scène politique anglaise, il s’oppose en 1914 à l’entrée de son pays dans la Première Guerre mondiale. Après sa défaite aux élections de 1918 il est resté quatre ans sans mandat. Mais en 1922 il est réélu député sous l’étiquette du Labour. Il est fait baron en 1930 et a été chef du Parti travailliste à la Chambre des Lords à partir de 1935. Il démissionne de ce poste en opposition à la politique de sanctions du Parti contre l’Italie suite à l’invasion de l’Éthiopie.
Reamarques du traducteur :
1 – Malgré la reconnaissance que l’histoire était fausse, le cadre mental qu’elle a créé est resté intact, à savoir que les Allemands sont des monstres, ce cadre à pleinement joué au cours de la Seconde Guerre mondiale, même l’histoire du savon contre laquelle le public était censé être vacciné est ressortie.
Seconde Guerre mondiale sur une recension de Carlos Porter relayée par le FNS Front National Suisse (hautetfort.com):
Utilisation de graisse humaine bouillante pour incinérer les corps à l’extérieur:
Höß, dans: M. Broszat (éd.), op. cit. (note 71), p. 130; H. Tauber, dans: J.-C. Pressac, op. Cit. (note 17), p. 489f.; F. Müller, Sonderbehandlung, Steinhausen, Munich 1979, p. 207f., 217 et suiv.; H. Langbein, Menschen à Auschwitz, op. Cit. (note 152), p. 148; B. Naumann, op. Cit. (note 142), p. 10, 334f., 443; S. Steinberg, selon : Französisches Büro des Informationsdienstes über
Kriegsverbrechen (éd.), Konzentrationslager Dokument 321, Reprint 2001, Francfort-sur-le-Main 1993, p. 206 ; et bien d’autres.
Production de savon à partir de graisse humaine par les nazis, enterrement cérémoniel du savon :
Wiesenthal, Der neue Weg (Vienne), 15/16 & 17/18, 1946 ; les Soviétiques voulaient en faire l’une des charges à l’IMT (pièce n° 393), mais ce plan échoua en raison des autres Alliés ; cf. Härtle, Freispruch für Deutschland, Schütz, Göttingen 1965, pp. 126 et suiv. ; le cimetière Greenwood d’Atlanta (Géorgie, États-Unis) n’est pas le seul site à se vanter d’une pierre tombale commémorative de l’Holocauste pour 4 barres de « savon juif ». Cf. aussi les corrections suivantes : R. Harwood, D. Felderer, JHR 1(2) (1980), p. 131 à 139; M. Weber, JHR 11(2) (1991), p. 217 à 227.
Production de saucisses à partir de chair humaine dans les crématoriums SS :
David Pressac, dans J.-C. Pressac, op. Cit. (note 17), p. 554, quatrième colonne, lignes 17 à 22.
Un pot de savon humain : réf. IMT VII 597-601 (= codification du Tribunal Militaire International), source également Carlos Porter, reproduit ici : Faurisson : le révisionnisme gagnera-t-il un jour ? – Jeune Nation (jeune-nation.com)
2 – La seule façon pour les Allemands de détruire ce cadre aurait été de gagner la guerre, mais les Alliés ont gagné, comme dit Churchill, avec leurs yeux et leurs oreilles, il a oublié : et leur grande gueule.
Aujourd’hui, l’Allemagne a une chance de rendre la monnaie de sa pièce à l’Angleterre : si elle s’accorde avec la Russie en vertu de ses intérêts les plus primaires – ne pas se geler cet hiver – qu’elle réussit à entraîner dans son sillage la France, alors, l’Angleterre aura enfin perdu sa capacité à dresser, comme le disait déjà Hitler, les puissances du continent contre la puissance montante du moment.
L’Angleterre n’aura alors plus qu’un rôle stratégique secondaire d’excroissance américaine.
Malheureusement, cela viendrait trop tard et ne changerait plus rien : là-bas comme sur le continent, l’homo sapien album aura disparu.
3 – En cent ans, la bêtise du public n’a rigoureusement pas varié, il est frappant de voir comme dans les échanges ci-dessus rapportés, il serait très facile de remplacer les noms par Raoult et Véran, par exemple.
Quant aux polémiques sur ce qui est dit par les médias en connivence avec le gouvernement au sujet de l’ennemi, le jeu est encore plus facile, le public est toujours prêt à projeter ses propres penchants malsains sur l’adversaire. De la part du public, il ne s’agit plus alors de bêtise, mais de complaisance pure et simple. Cela fait vraiment de la peine à voir.
Moralité, l’espoir exprimé en conclusion du Times-Dispatch s’est avéré vain.
« Affabulation » aurait peut-être mieux convenu que « fable »: une fable, c’est gentil, une affabulation, c’est méchant –> mais on comprend quand même.