1939, Joseph Kennedy, père de John Fitzgerald Kennedy (JFK), qui a été à 25 ans le plus jeune président de banque de l’histoire des États-Unis et qui depuis 1938 est ambassadeur des États-Unis au Royaume-Uni, utilise sa fortune pour préparer ses fils non pas à la guerre, dont il ne veut pas, mais à l’élection présidentielle, la course à la Maison Blanche.

En 1939, John Fitzgerald Kennedy, dans le cadre de cette préparation, compte déjà deux voyages en Europe et particulièrement dans le Reich, il exprime son admiration, voire, sa fascination, pour le Führer :
« Adolf Hitler fait partie des plus grands hommes, il a la confiance des vieux, les jeunes l’idolâtrent. C’est la vénération pour un héros national au service de son pays ».
En 1945, JFK, héros de guerre, fera un troisième voyage dans l’Allemagne vaincue, l’occasion de noter dans son journal :
« Celui qui a visité ces deux lieux [l’Obersalzberg et le Kehlsteinhaus] peut facilement s’imaginer comment Hitler parviendra à émerger de la vague de haine dont il est aujourd’hui l’objet pour apparaître comme la personnalité la plus importante qui ait jamais existé ». Il ajoute : « Une aura de mystère flotte autour d’Hitler, de sa vie et de sa mort, qui ira s’épaississant, il est de l’étoffe des héros de légende ».
Sa déclaration du 26 juin 1963, « Ich bin ein Berliner » ne sortira donc pas de nulle part et peut être diversement interprétée.
En 1946, sa fulgurante carrière politique est bien lancée, il devient représentant à la Chambre des Représentants. Il faut croire que sa préparation conduite par son père a été remarquablement efficace. Or, ce qu’on ignore généralement, c’est que cette préparation comptait aussi un voyage en Palestine, en 1939, JFK a alors 22 ans. L’année de ce voyage interpelle, ainsi, en 1939, un voyage en Palestine est déjà considéré comme aussi important que ce qui se passe en Europe et en Allemagne. Alors que la Seconde Guerre mondiale va éclater en septembre 1939, c’est déjà le conflit entre les Juifs et les Arabes en vue de la création de l’État d’Israël qui est au cœur des préoccupations des Kennedy.
Sans doute soucieux de montrer les progrès de sa maturité sur la voie de la présidence, suite à ce séjour en Palestine qui lui paraît une épreuve phare pour tout futur locataire de la Maison Blanche, JFK écrit une lettre à son père. Le plus stupéfiant, c’est qu’il y fait lui-même le rapprochement entre la Palestine et le Corridor de Dantzig :
« Je pensais que Dantzig était un problème inextricable, mais je n’ai jamais vu deux parties antagonistes aussi peu disposées à essayer de trouver une solution qui ait une certaine chance de succès ».
Dès les premières lignes, on comprend que lui et son père ont déjà discuté du sujet [aussi bien de la Palestine que des Juifs] :
« Cher Père, j’ai pensé vous écrire mes impressions sur la Palestine tant qu’elles étaient encore fraîches dans ma mémoire, même si vous, comme je connais les Juifs, connaissez sans doute déjà toute l’histoire [par eux]. Cela vaut la peine de l’examiner dans son intégralité [avec la version arabe et des résidents] ».
Son père était connu pour être critique du financement et de la création d’un État d’Israël aux temps modernes. Il est impossible d’imaginer toutes ces légendaires conversations autour de la table familiale sans que les opinions tranchées du père soient restées sans influence sur les enfants.
Mais attention, le point de vue de JFK semble à la fois plus équitable et plus colonialiste : il rejette la création de deux États, non pas parce que la solution serait injuste, mais parce que les deux entités seraient à la fois trop petites et trop antagonistes pour subsister après le départ de la puissance coloniale, l’Angleterre. Il préconise une vision qui reflète et maintienne la domination blanche – qui lui paraît aller de soi : créer deux districts, un juif et un arabe, avec l’Angleterre qui maintient sa présence et sa mainmise sur Jérusalem et Haïfa pour garantir la paix entre deux tribus moyen-orientales.
JFK pense en outre qu’il faut défendre la partie la plus faible, les Arabes :
« Du côté juif, on observe un désir de domination totale, ils veulent Jérusalem comme capitale de leur nouveau pays où coulent le lait et le miel, et le droit de coloniser la Transjordanie. Ils estiment que si on leur en laisse l’opportunité, ils pourront cultiver la terre et la développer comme ils l’ont fait dans la partie occidentale. Les Arabes répondent d’ailleurs à cela en disant que les Juifs ont bénéficié de capitaux qui, s’ils les avaient possédés, auraient pu accomplir des miracles comparables.»
Sous couvert de se faire l’écho des derniers événements, Kennedy laisse percer un antisémitisme qui paraît toutefois moins virulent que celui de son père :
«Treize bombes ont été déclenchées lors de ma dernière soirée, toutes dans le quartier juif et toutes par des Juifs. Le comble, c’est que les terroristes juifs, après avoir fait sauter leurs propres lignes téléphoniques et leurs propres stations électriques, le lendemain, n’ont rien de plus pressé que d’appeler les Britanniques pour qu’ils viennent réparer… La sympathie des gens sur place semble aller aux Arabes. Non seulement parce que les Juifs ont eu, du moins chez certains de leurs dirigeants, une attitude arrogante et intransigeante particulièrement déplacée, mais aussi parce qu’ils estiment qu’après tout, le pays est arabe depuis plusieurs siècles…».
Mais en dehors de cette lettre, nous savons que JFK parlait aussi aux Juifs, voire, les défendait ou s’alliait avec eux. JFK est quand même le seul président à notre connaissance à avoir eu un livre édité par l’ADL, A Nation of Immigrants, ce livre a d’ailleurs été en fait rédigé par Myer Feldman, un Juif qui deviendra son conseiller à l’agriculture. JFK, à l’instigation de l’élite intellectuelle juive, agira en faveur des droits civiques et de l’abrogation des quotas d’immigration par race.
Le 4 avril 1948, JFK condamne le virage de la politique américaine en Palestine et demande par écrit au Président Truman la levée de l’embargo sur les armes pour que les Juifs puissent se défendre contre les Arabes.
On peut également rappeler ce discours du 29 avril 1956 au Yankee Stadium à l’intention des Juifs, dans lequel il déclare dès le début :
« Nous sommes ici pour célébrer la création d’Israël ».
Mais, endossant peut-être le rôle qu’il voyait jadis pour la puissance coloniale déchue, la Grande-Bretagne, plus tellement grande, nous savons aussi que le président Kennedy était, au moment de son assassinat, engagé dans une bataille en coulisses avec le président israélien David Ben-Gurion. JFK était furieux après le programme nucléaire israélien.
En outre, JFK et son frère, le procureur général Bobby Kennedy, avaient rendu enragé les dirigeants sionistes en soutenant une enquête menée par le sénateur William Fulbright (que Kennedy avait essayé sans succès de nommer secrétaire d’État) visant à inscrire l’American Zionist Council sur la liste des « agents étrangers », prévue par la Loi FARA sur l’enregistrement des agents étrangers (Foreign Agents Registration Act), qui aurait pratiquement réduit à l’impuissance sa division du lobbying, l’AIPAC.
Et en tant que sénateur, John F. Kennedy avait soutenu sans équivoque le nationalisme arabe en 1957, inversant la politique étrangère d’Eisenhower dans un sens pro-Nasser, et engageant les États-Unis à soutenir la résolution 194 de l’ONU concernant le droit au retour des réfugiés palestiniens. Cela représentait une menace majeure pour les intérêts des sionistes qui s’étaient au contraire attachés à faire de Nasser un ennemi des États-Unis.
Quoi qu’il en soit, nous retiendrons de ce séjour et de cette lettre que déjà en 1939, la Palestine était un point de passage obligé dans le cursus d’un futur président Américain, avec la préoccupation sous-jacente que non seulement le « Problème Juif » ne serait pas résolu en Europe et aux États-Unis par l’auto-proclamation d’indépendance et la création de l’État d’Israël, mais qu’il serait poussé à son paroxysme au Moyen-Orient et en Occident, comme en témoigne quotidiennement l’actualité depuis bientôt 80 ans.
Pour cette raison, nous donnons ci-dessous la transcription de cette lettre dont on trouvera un photostat ici, et, plus bas, une traduction française.
Dear Dads,
I thought I would write you my impressions on Palestine while they are still fresh in my mind, though you undoubtedly, if I know the Jews, know the « whole » story. It is worth while looking at it in its entirety.
In discussing Palestinian questions, one virtually goes back to before the war. Palestine was at that time under Turkey, inhabited by Moslem Arabs with a scattering of Christians. There were also a few thousand Jews, though at that time the Zionists’ movement had not assumed great proportions. During the war, the British government, desiring both the assistance of the Jews and the Arabs, made separate promises to both, one in the MacMahon, the other in the Balfour declaration. The terms in the MacMahon letters guaranteeing an independent Arabic state were quite vague and the territorial delineation was equally vague. The Balfour declaration was also quite indefinite, giving with one hand what he took back with the other.
In considering the whole questions now, it is useless to discuss which has the « fairer » claim. The important thing is to try to work out a solution that will work, not try to present a solution based on these two vague, indefinite and conflicting promises. This is my objection to the White Paper. It theoretically presents a good solution, but it just won’t work. Returning to the background from 1922 when mandate was given favoring the establishment of a national home for the Jews, the situation has been difficult, however, it really assumed serious proportions during the depression and the growth of the refugee problem. With the coming of these new Jewish immigrants, new capital poured into Palestine. This capital, while economically a poor investment as it only brought in a fraction of a percent on the original, nevertheless enabled the Jews to acquire about 15% of the land which included the most fertile. The Arabs naturally objected to the Jewish encroachment. They felt that the Jews, if permitted, would dominate in their country numerically as well as economically. The British endeavored to settle the situation and sent out several commissions.
A partitioning plan was presented in 1936 which advocated the break up of Palestine into two independent states, with Jerusalem and those cities such as Haifa with an approximately equal Arabic and Jewish population, and incidentally the territory through which the oil from Iraq flows; all this was to be under British control. Because of the difficulties that this presented, because both sides refused it, because the fact that it would leave two small states which would not be able to subsist independent of England, and lastly, and probably most importantly, because Mussolini objected to this change in the status quo, this plan was not put through. In 1939 a conference was held in London in which the two groups tried to reconcile the differences. As this was impossible, the British government stated that it felt free now to present its own solution. This they did in the White Paper which was rejected by both sides. The Jews were particularly angry as they saw all their hope of their Zion’s state disappearing, and their indignation was increased by the fact that the problem had a religious as well as an economic background. They felt that the Jews were now fated to be a minority and that now that the immigration was going to be limited they felt that the Zion’s movement might collapse and that the funds which were pouring in any support of this would be stopped, bringing economic disaster, for these funds are the only method by which Palestine can come anywhere near balancing her exports and imports.
The Arabs’ objections to the White Paper are (1) the objections to the indefiniteness of the period that the British government will hold control, as the formation of an independent state depends on Jewish cooperation, something they believe impossible; and (2) they say that there is no provision for an elected assembly under their own leadership which has been the first step in Iraq towards the formation of an independent state. They also want all immigration stopped; they feel that the Jewish problem is not their problem. They also fear that while there are 450,000 Jews in Palestine, only 250,000 of them have become citizens. Why therefore should they be entitled to be counted as members of the state?
However, while these are for purposes of publication the chief objections ot the two groups, there are fundamental objections which, while they are not stated publicly, are nevertheless far more important.
On the Jewish side, there is the desire for complete domination, with Jerusalem as the capital of their new land of milk and honey, with the right to colonise in Transjordan. They feel that given sufficient opportunity they can cultivate the land and develop it as they have done in the Western portion. The Arab answer to this is incidentally that the Jews have had the benefit of capital, which had the Arabs possessed, equal miracles could have been performed by them. Though this is partly true, the economic set up of Arabic agricultural progress with its absentee landlords and primitive methods of cultivation could not under any circumstances probably have competed with the Jews. However, this very fact lies in the background of the Arabic objection to the Jews. They realise their superiority and fear it.
The political angle of the Arabic objection to the White Paper is that it does not permit the return of the Grand Mufti, the religious and political leader made, incidentally, that, by the British, who is now in exile in Syria. He naturally wishes to return and therefore is unwilling to compromise and, as the minority group of Arabs, composed of about 100,000 Christians and moderate Moslems, constitute a weak opposition at the present time, it looks as if the situation will continue.
I see no hope for the working out of the British policy as laid down in the White Paper. As I said above, theoretically it sounds just and fair, but the important thing and the necessary thing is not a solution just and fair but a solution that will work. As the British interest must and will be naturally safeguarded, and bearing in mind the pressure that has been given privately by the Arab states and publicly by the various Jewish organisations to the press and radio, it seems to me that the only thing to do will be to break the country up into two autonomous districts giving them both self-government to the extent that they do not interfere with each other and that the British interest is safeguarded. Jerusalem, having the background that it has, should be an independent unit. Though this is a difficult solution yet, it is the only one that I think can work. This is a development of the British proposal of 1936 favoring partition. At present, situation still seems to be difficult as far as outrages and bombings.
There were 13 bombs set off my last evening there, all in the Jewish quarter and all set off by Jews. The ironical part is that the Jewish terrorists bomb their own telephone lines and electric connections and the next day frantically phone the British to come and fix them up. Incidentally I have become more pro-British down there than I have been in my other visits to England as I think that the men on the spot are doing a good job. This roughly, in fact very roughly, is an outline of the situation. It will be interesting to see it develop and see what form the solution takes, as a definite solution has not been found yet. I thought Dansig was a tough problem, but I have never seen two groups more unwilling to try and work out a solution that has some hope of success than these two groups.
The sympathy of the people on the spot seems to be with the Arabs. This is not only because the Jews have had, at least some of their leaders, an unfortunately arrogant, uncompromising attitude, but they feel that after all, the country has been Arabic for the last few hundred years, and naturally feel sympathies. After all, Palestine was hardly Britain’s to give away. The question is further complicated by the fact that both groups are split among themselves. There is the strongly orthodox Jewish group, unwilling to make any compromise, who wished to have a government expressing this attitude; there is the liberal Jewish element composed of the younger group who fear these reactionaries, and wish to establish a very liberal, almost communistic form of government, and there are the in betweens who are willing to make compromise. There are even further lines cutting these groups, but they do manage to present a united front now; if and when they get their claims, then the break up will start. As for the Arabs, while most of them are heartily sick of the whole business which is playing hell with their economic life, yet so strong is the hold of the Mufti by reason of his religious grip and because of the strength of the new nationalism, that it is going to be extremely difficult to effect a solution without bringing him back. He of course feels that if the Arabs accepted the White Paper he would be all through, as the Paper calls for the Arab officials to be appointed by the British during the transition period, and they will naturally appoint Arabs that will be in their camp. That is why they insist on an elected assembly, although considering the general standard of the country, it would naturally be a farce. That is what makes the whole situation impossible.
All three sides have such great interests all in a great measure conflicting, and all three sides having great means of putting pressure. Poor Malcolm McDonald. Thus as I have said, the only thing to do now that a theoretically fair and good solution has been presented and is failing, after a period of time, they can say that they have done the best they could under the circumstances and then arbitrarily force the partition plan to be accepted.
Leaving now for Bucharest. Love to all,
JACK
Cher Père,
J’ai pensé vous écrire mes impressions sur la Palestine tant qu’elles étaient encore fraîches dans ma mémoire, même si vous, comme je connais les Juifs, connaissez sans doute déjà toute l’histoire [par eux]. Cela vaut la peine de l’examiner dans son intégralité [avec la version arabe et des résidents].
Si on aborde la question palestinienne, il nous faut remonter à avant la guerre [ = la Première Guerre mondiale]. La Palestine était alors sous domination turque, essentiellement peuplée d’Arabes musulmans et d’une minorité chrétienne éparse. Il y avait aussi quelques milliers de Juifs, même si à l’époque le mouvement sioniste n’avait pas encore les proportions que nous lui connaissons aujourd’hui.
Durant la guerre, la Grande-Bretagne, soucieuse d’obtenir à la fois l’aide des Juifs et celle des Arabes, fit des promesses à chacune des deux parties : par la déclaration de McMahon pour les Arabes, par la déclaration de Balfour pour les Juifs.
Les termes de la correspondance de McMahon [une série de dix lettres échangées de juillet 1915 à mars 1916 avec Hussein], garantissant un État arabe indépendant étaient assez vagues, notamment sur la délimitation territoriale. La déclaration Balfour était tout aussi floue et ambiguë, donnant d’une main ce qu’elle reprenait de l’autre.
S’agissant à présent d’examiner le problème dans son ensemble, il est inutile de chercher à savoir laquelle des deux a les prétentions les plus fondées. L’important est de trouver une solution efficace, et non de présenter une solution sur la foi de deux promesses imprécises et contradictoires. C’est le reproche que j’adresserais au Livre Blanc : en théorie elle représente une solution équitable, en pratique, elle ne fonctionnera tout simplement pas. Si on en revient au contexte de 1922, au moment où mandat fut donné [aux Britanniques] en vue de la création d’un foyer national pour les Juifs, la situation était déjà difficile, mais c’est avec la Grande Dépression et l’afflux de réfugiés qu’elle entraînait qu’elle prenait des proportions réellement préoccupantes.
Avec l’arrivée de ces nouveaux immigrants juifs, de nouveaux capitaux affluèrent en Palestine. Bien que constituant un investissement économiquement peu rentable, puisqu’il ne rapportait qu’un maigre pourcentage de l’apport initial, ces capitaux permirent néanmoins aux Juifs d’acquérir environ 15 % des terres, dont les plus fertiles. Les Arabes se sont naturellement opposés à ces empiétements. Ils comprenaient que les Juifs, si on les laissait faire, en viendraient à dominer leur pays, numériquement et économiquement. Les Britanniques s’efforçaient de faire face en envoyant des commissions.
Un plan de partage fut présenté en 1936 qui préconisait la division de la Palestine en deux États indépendants, avec Jérusalem et les villes comme Haïfa ayant une population arabe et juive à peu près égale, et, accessoirement, le territoire traversé par le pétrole d’Irak, restant sous contrôle britannique. En raison des difficultés que cela présentait, parce que les deux parties le refusaient, parce que cela laisserait deux petits États qui ne pourraient pas subsister indépendamment de l’Angleterre, et enfin, et probablement le plus important, parce que Mussolini s’opposait à ce changement du statu quo, ce plan n’a pas été mis en œuvre.
En 1939, une conférence se tint à Londres, au cours de laquelle les deux parties tentèrent de concilier leurs divergences. Face à l’impossibilité de le faire, les Britanniques déclarèrent qu’ils se sentaient désormais libres de proposer leur propre solution. C’est ce qu’ils firent dans le Livre blanc, qui fut aussitôt rejeté par les deux parties. Les Juifs étaient particulièrement furieux, voyant s’évanouir tout espoir de voir un jour leur État de Sion sur pied, et leur indignation était d’autant plus grande que cet État avait pour eux une dimension à la fois religieuse et économique. Ils se voyaient désormais condamnés à rester une minorité et, à présent que l’immigration allait être limitée, craignaient que le mouvement sioniste ne s’effondre, que les fonds qui affluaient pour le soutenir cessent, entraînant un désastre économique, ces fonds étant en effet la seule manière par laquelle la Palestine pouvait se rapprocher de l’équilibre entre ses exportations et ses importations.
Les objections des Arabes au Livre Blanc sont 1) l’indétermination quant à la durée de la période pendant laquelle le gouvernement britannique détiendra le contrôle, puisque la formation d’un État indépendant dépend de la coopération juive, ce qu’ils croient impossible ; et 2) l’absence de disposition en vue d’une assemblée élue sous leur propre direction, ce qui a été la première étape en Irak vers la formation d’un État indépendant. Ils souhaitent également l’arrêt de toute immigration ; ils estiment que le problème juif ne les concerne pas. Ils alertent également sur le fait que sur les 450 000 Juifs vivant en Palestine, seuls 250 000 sont devenus citoyens. Pourquoi, dès lors, devraient-ils être considérés comme membres de l’État ?
Cependant, bien que ces objections constituent pour la façade les principaux griefs, il en existe d’autres, qui bien que non avouées, n’en restent pas moins les plus fondamentales.
Du côté juif, on observe un désir de domination totale, ils veulent Jérusalem comme capitale de leur nouveau pays où coulent le lait et le miel, et le droit de coloniser la Transjordanie. Ils estiment que si on leur en laisse l’opportunité, ils pourront cultiver la terre et la développer comme ils l’ont fait dans la partie occidentale. Les Arabes répondent d’ailleurs à cela en disant que les Juifs ont bénéficié de capitaux qui, s’ils les avaient possédés, auraient pu accomplir des miracles comparables. Bien que cela soit en partie vrai, le système agraire arabe, avec ses propriétaires absents et ses méthodes de culture primitives, n’aurait en aucun cas pu concurrencer les Juifs. Cependant, ce fait même est à l’origine de l’opposition arabe aux Juifs. Ils sont conscients de leur supériorité et la craignent.
Politiquement, la principale objection des Arabes au Livre blanc réside dans le fait qu’il ne permet pas le retour du Grand Mufti, chef religieux et politique nommé, soit dit en passant, par les Britanniques, actuellement en exil en Syrie. Il souhaite naturellement rentrer et refuse en attendant tout compromis. La minorité arabe, composée d’environ 100 000 chrétiens et musulmans modérés, constituant actuellement une faible opposition, il semble que le blocage doive perdurer.
Je ne vois aucun espoir de voir la politique britannique telle qu’exposée dans le Livre blanc aboutir. Comme je l’ai dit plus haut, cela paraît théoriquement juste et équitable, mais l’important et le nécessaire n’est pas de trouver une solution juste et équitable, mais une solution efficace. Comme les intérêts britanniques doivent et seront naturellement préservés, et compte tenu des pressions exercées en privé par les États arabes et publiquement par les diverses organisations juives dans la presse et à la radio, il me semble que la seule solution consistera à diviser le pays en deux districts autonomes, leur conférant à chacun une autonomie, dans la mesure où ils n’interfèrent pas entre eux et où les intérêts britanniques sont préservés. Jérusalem, compte tenu de son histoire, devrait être une entité indépendante. Bien que cette solution soit encore difficile à mettre en œuvre, c’est la seule qui, à mon avis, puisse fonctionner. Il s’agit d’une évolution de la proposition britannique de 1936 en faveur du partage. À l’heure actuelle, la situation semble encore tendue en raison des attentats à la bombe.
Treize bombes ont été déclenchées lors de ma dernière soirée, toutes dans le quartier juif et toutes par des Juifs. Le comble, c’est que les terroristes juifs, après avoir fait sauter leurs propres lignes téléphoniques et leurs propres stations électriques, le lendemain, n’ont rien de plus pressé que d’appeler les Britanniques pour qu’ils viennent réparer. D’ailleurs, je suis devenu plus pro-britannique là-bas que lors de mes précédents séjours en Angleterre, car je trouve que les hommes sur place font du bon travail. Voilà un aperçu, très abrégé, de la situation. Il sera intéressant de la suivre et de voir quelle solution prendra forme, car pour l’instant, aucune solution définitive n’a été trouvée. Je pensais que Dantzig était un problème inextricable, mais je n’ai jamais vu deux parties antagonistes aussi peu disposées à essayer de trouver une solution qui ait une certaine chance de succès.
La sympathie des gens sur place semble aller aux Arabes. Non seulement parce que les Juifs ont eu, du moins chez certains de leurs dirigeants, une attitude arrogante et intransigeante particulièrement déplacée, mais aussi parce qu’ils estiment qu’après tout, le pays est arabe depuis plusieurs siècles et que ce n’est pas aux Britanniques, présents depuis peu, d’en décider. La question est d’autant plus complexe que les deux groupes sont eux-mêmes divisés. Côté Juif, il y a les ultra-orthodoxes, peu enclins au compromis et qui souhaitent un gouvernement à leur image, il y a l’élément gauchisant, composé de jeunes Juifs que ces réactionnaires effraient et qui souhaitent instaurer un gouvernement très à gauche, presque communiste, et il y a les intermédiaires, prêts au compromis. Il y a encore d’autres lignes de fracture, mais ils parviennent pour le moment à présenter un front uni ; si jamais leurs revendications sont satisfaites, la scission pourra démarrer.
Quant aux Arabes, même si la plupart sont profondément las de toute cette affaire qui affecte leur vie économique, l’emprise du Mufti est si forte en raison de son aura religieuse qu’il sera extrêmement difficile de parvenir à une solution sans son retour. Lui pense bien sûr que si les Arabes acceptaient le Livre blanc, il aurait partie gagnée, car le Livre blanc prévoit que les responsables arabes seront nommés par les Britanniques pendant la période de transition, et ils nommeront naturellement des Arabes qui seront dans leur camp plutôt que des nationalistes. C’est bien pourquoi ces derniers insistent sur une assemblée élue, même si, compte tenu de la situation générale du pays, ce serait naturellement une farce. C’est ce qui rend toute la situation impossible.
Les trois parties ayant des intérêts si importants et si largement contradictoires, disposant en outre de moyens de pression si considérables, que, pauvre Malcolm McDonald, comme je l’ai dit, la seule chose qui reste à faire maintenant qu’une solution théoriquement juste et satisfaisante, mais vouée à l’échec à brève échéance, a été présentée, c’est de dire qu’elles ont fait de leur mieux compte tenu des circonstances et d’imposer arbitrairement un plan de partage.
Je pars pour Bucarest. Amitiés à tous,
JACK
Sources :
- Renegade Tribune – The Kennedys vs The Jews
- Slate – Quand John F. Kennedy était fasciné par l’Allemagne nazie
- PHOTOS. John Fitzgerald Kennedy intime : sa vie avant JFK
- Remarks by Senator John F. Kennedy at Yankee Stadium, New York, New York, on April 29, 1956 | JFK Library
- Young John F. Kennedy Condemns Harry Truman’s Reversal to Support the Partition of Palestine | Shapell Manuscript Foundation
- Lettre de Palestine de JFK à son père en 1939 | JFK Library