Il s’agit sans doute de l’image de l’Holocauste la plus mémorable de toutes : un petit garçon terrorisé du ghetto juif de Varsovie emmené avec les autres vers son sort, les bras levés sous la menace de soldats allemands en armes.
Dans une récente parution, Erwin Knoll, l’éditorialiste du The Progressive, l’influent mensuel, a bien résumé tout ce qu’évoque dans l’esprit du public cette photo : (1)
« C’est la photo qui ressort pour symboliser l’Holocauste, un petit garçon juif terrorisé, les yeux baissés et les mains levés, cerné par des soldats nazis. C’est la rafle finale des Juifs durant le soulèvement du ghetto de Varsovie en 1943 avant leur exécution programmée, on les voit suivre à la file à l’arrière-plan, les bras également en l’air. On se dit en voyant la photo qu’ils seront tous bientôt morts. La photo resurgit régulièrement dans les archives et les expositions, dans les magazines et les journaux, dans les documentaires à la télévision et dans les livres d’histoire, pour illustrer l’Holocauste. J’ai dû l’avoir sous les yeux des centaines de fois… »
La photographie fait partie des plusieurs dizaines de photos que contient le rapport officiel d’avril -mai 1943 des SS sur l’Aktion contre le ghetto de Varsovie. (2) Elle a été invariablement resservie après-guerre comme une sorte d’illustration générique dans d’innombrables livres, magazines et films. Des versions agrandies ont fait leur apparition dans les expositions du monde entier.
On a laissé croire à des millions de personnes que le petit garçon au regard éperdu qui se trouvait sur la photo avait été assassiné peu après que cette image poignante ait été fixée sur la pellicule. « La photographie est déchirante» commentait le Washington Post, «parce qu’on sait que ce garçon sera l’un de ces millions de Juifs à mourir aux mains des nazis ». (3)
En 1979, pour faire la promotion d’un livre contenant une série de récits à sensations sur l’Holocauste, un hebdomadaire américain de premier plan publiait la photo avec la légende suivante: (4)
« Il s’appelait Arthur Chmiotak. Il aurait eu 42 ans en mai, mais il est mort gazé dans un camp de concentration nazi avant même d’atteindre ses dix ans. Pourquoi? Parce que c’était un indésirable, une mauvaise herbe dans le jardin idyllique parsemé de fleurs aryennes d’Hitler, il n’était que l’un des six millions qui allaient être éliminés… »
En Allemagne, un manuel scolaire très répandu commente la photo pour ses jeunes lecteurs en ces termes : « Varsovie, mai 1943 : liquidation du ghetto juif et déportation de ses occupants vers les chambres à gaz du camp de Treblinka ». (5)
Toutefois, en dépit de la légende, « le garçon du ghetto » n’a pas été tué, il a survécu à son internement à Varsovie et dans les camps pendant la guerre.
Des années plus tard, un médecin de New York, Tsvi C. Nussbaum, révélait qu’il était le gars sur la fameuse photo : « Je me rappelle qu’il y avait un soldat en face de moi, et qu’il m’a ordonné de lever les mains ». Suite à l’intervention de son oncle, le petit garçon de sept ans avait été autorisé à rejoindre le reste de sa famille. Avec les siens, le jeune Nussbaum a été déporté vers le camp de Bergen-Belsen en Allemagne de l’Ouest. Après la libération à la fin de la guerre, il est parti en Israël, et de là, a émigré aux États-Unis en 1953. En 1990, il vivait dans le comté de Rockland, à New York. (6)
Le récit de Nussbaum a tenu tous les examens critiques, du reste, même après toutes ces années, sa ressemblance avec le garçon de la photo est frappante.
D’après le New York Times, les historiens juifs de l’holocauste n’ont pas été particulièrement enchantés par les révélations de Nussbaum : « Ils tenaient la photo pour une sorte de document sacré et ils étaient convaincus que le pouvoir symbolique de l’image serait amoindri si le garçon qu’on y voyait avait survécu ». Nussbaum pour sa part se montrait surpris par ces considérations : « Je n’avais jamais réalisé à quel point tout le monde faisait peser le poids de six millions de Juifs sur cette seule photographie » expliquait-il. « Pour moi, ce n’était rien de plus qu’une péripétie de ma vie, voilà tout ». (7)
Le Dr. Lucjan Dobroszycki de l’institut Yivo, un centre de documentation en histoire juive de New York, avertissait que « cette icône de l’événement le plus dramatique qui soit, l’Holocauste, exigeait des historiens qu’ils fassent preuve d’une grande responsabilité: elle était bien trop sacrée pour qu’on laisse les gens en faire ce qu’ils veulent ». (8) En d’autres termes, Dobroszycki sous-entendait qu’il ne fallait pas laisser la vérité historique venir ternir la valeur émotionnelle de l’image.
Généralement considérée comme l’une des images les plus saisissantes du siècle, cette photo témoigne effectivement du sort tragique des Juifs d’Europe durant la Seconde Guerre mondiale, mais pas dans le sens qu’on voudrait.
Mark Weber
Traduction : Francis Goumain
Source : The Journal of Historical Review, March-April 1994 (Vol. 14, No. 2), pages 6-7, The ‘Warsaw Ghetto Boy’ (ihr.org)
Notes :
- Erwin Knoll, “The Uses of the Holocaust,”The Progressive, July 1993, p. 15.
- La légende de la photo dans le «rapport Stroop» [Le rapport Stroop est un rapport officiel de soixante-quinze pages écrit en mai 1943 par Jürgen Stroop, membre de la Waffen-SS et commandant des forces allemandes qui liquidèrent le ghetto de Varsovie] indique: «Tirés de force des bunkers». Le «rapport Stroop» a été soumis comme pièce à conviction au Tribunal de Nuremberg en 1945 -1946, il fait partie du tome 26 des 42 volumes «bleus» des archives du TMi avec la cote: 1061-PS (USA-275). Un facsimile du rapport avec traduction et commentaires en anglais est disponible sous le titre The Stroop Report: The Jewish Quarter in Warsaw Is No More! (New York: Pantheon, 1979).
- C. Harris, “Warsaw Ghetto Boy: Symbol of the Holocaust,”The Washington Post, Sept. 17, 1978, p. L 1.
- Advertisement by the Pleasant Valley Press of Pittsburgh for a 13-volume set of books by Christian Bernada. National Enquirer, April 3, 1979; A 1993 Associated Press caption describes this photograph: “A group of Jews, including a boy identified as Arthur Schmiontak, is escorted from the Warsaw ghetto by German soldiers in 1943.” See: Orange County Register, April 18, 1993, p. 23, and, Savananah News-Press, April 18, 1993.
- Cité dans:D. National-Zeitung(Munich), April 16, 1993, p. 11.
- D. Margolick, “Rockland Physician Thinks He is Boy in Holocaust Photo on Street in Warsaw,” The New York Times, May 28, 1982, pp. B1, B2; P. Moses, “Haunting Reminder,” New York Post, Feb. 20, 1990, p. 5; In 1978 a London businessman named Israel (Issy) Rondel claimed to be the “Warsaw ghetto boy.” See: J. Finkelstone, “‘Ghetto boy’ lives here,” Jewish Chronicle(London), August 11, 1978, pp. 1, 2; C. Harris, “Warsaw Ghetto Boy: Symbol of The Holocaust,” The Washington Post, Sept. 17, 1978, pp. L1, L9. This claim later proved to be untrue. See: E. Kossoy, “The boy from the ghetto,” The Jerusalem Post, Sept. 1, 1978, p. 5.
- D. Margolick,The New York Times, May 28, 1982, pp. B1, B2. (déjà cité).
- The New York Times, May 28, 1982, pp. B1, B2.
On trouvera ici le témoignage d’une autre Juive en photo dans le rapport Stroop et qui après être passée à Majdanek s’est mariée et a vécu en Israël.
http://www.ihr.org/jhr/v14/v14n2p-7_Weber.html
Quelle différence avec les enfants palestiniens, aujourd’hui? Je n’en vois pas:.
à l’époque, il n’y avait qu’eux qui étaient confinés,
maintenant, ce sont eux qui confinent tout le monde.
Édifiant !
ce sont des victimes de la religion créee par un cerveau malade et dont les résultats les plus tangibles sont de créer des divisions et des tensions dans la société
Si jeune homme moise ou bien Abraham avaient eu des accidents de dromadaire en croisant une charrette de passage on serait bien tranquille aujourd’hui…
Comment vaincre le typhus en pays Slaves si on ne supprime pas les poux?
L’exception qui confirme la règle des six millions?