LE PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE a inauguré samedi 24 février sous les huées le Salon de l’agriculture, quatre heures et demie plus tard que prévu, en raison de heurts et manifestations à son arrivée. « Macron démission », “fumier”, « barre-toi », ont crié des paysans au moment où Emmanuel Macron a officiellement coupé le ruban, donnant le coup d’envoi de neuf jours d’un salon marqué par la crise agricole. Preuve de la véhémence de l’opposition au pouvoir, le préfet de police de Paris, l’affreux Laurent Nunez, a fait état de « huit policiers blessés, dont deux plus sérieusement touchés ». Des heurts avaient déjà éclaté plus tôt dans la journée entre des manifestants et des membres du service d’ordre du Salon de l’agriculture après que des militants des syndicats FNSEA, Jeunes agriculteurs et Coordination rurale, eurent forcé une grille et fait irruption dans l’enceinte. Des empoignades ont eu lieu entre la sécurité et des manifestants portant des signes distinctifs des syndicats, au moment où le chef de l’État commençait à s’entretenir avec des responsables syndicaux à proximité. Des CRS ont été déployés dans les allées du salon. Les échauffourées entre les agriculteurs et Emmanuel Macron ont mené à l’interpellation de trois individus.
Après une longue incertitude et dans un chaos indescriptible, le président de la République a finalement organisé avec des représentants syndicaux un débat, sa spécialité pour noyer le poisson (rappelons-nous ce qu’il avait fait au moment de la crise des gilets jaunes en 2019 : organiser un grand débat où il parlait des heures entières pour neutraliser, contourner et éteindre la colère populaire) . Emmanuel Macron est finalement resté plus de treize heures au Salon de l’agriculture et a juré ses grands dieux qu’il n’avait « jamais songé initier » une invitation au collectif écologiste radical et gauchiste des Soulèvements de la Terre à un grand débat au premier jour du Salon de l’agriculture, ce qui était une pure provocation et un véritable chiffon rouge pour le monde paysan. Le problème est que cette version des faits est contredite par le mouvement écologiste et qu’elle est en contradiction avec les propos de proches conseillers élyséens. Donc de deux choses l’une : soit Macron dit vrai et il ne contrôle pas ses troupes et ses collaborateurs, ce qui est grave. Soit il ment effrontément afin d’essayer de ramener le calme et d’apaiser la colère paysanne, ce qui est encore pire. Nous avons, quant à nous, plutôt tendance à croire à la deuxième hypothèse.
NOTRE PAYS se défait dans tous les domaines. La balance commerciale connaît un déficit record, la dette publique dépasse les trois mille milliards d’euros. Le déficit budgétaire en 2023 atteint 173,3 milliards d’euros. Ce sont des chiffres absolument effrayants. Notre pays se dévitalise, se désindustrialise et le secteur primaire (l’agriculture) connaît lui-même une situation de plus en plus préoccupante, sinon désespérée. Pourtant, avec près de la moitié de son territoire consacré à l’agriculture, soit 27 millions d’hectares, une production agricole d’une valeur hors subventions de 95,5 milliards d’euros en 2023, la France reste un des plus gros producteurs agricoles du monde. Bien que notre pays dispose de surfaces cultivables nécessaires et suffisantes pour nourrir l’ensemble de ses habitants, ce qu’il réalisait jusque récemment, la politique menée par les gouvernements successifs depuis quelques décennies nous a hélas rendus dépendants d’importations de produits alimentaires et plus généralement agricoles en provenance de pays voisins mais aussi lointains, comme le Brésil. Plus gravement, plus scandaleusement, selon l’étude individuelle nationale des consommations alimentaires, 22 % des ménages avec enfant sont en insuffisance alimentaire.
Par ailleurs, les produits agricoles et alimentaires importés équivalent, en surface cultivée, à une emprise de neuf millions d’hectares de terres, soit un tiers de la surface agricole existante. 60 % de ce que l’on trouve sur sa table en France est importé. La moitié des fruits et légumes consommés en France est importée. Pour couvrir les besoins de l’alimentation animale, la France a importé en 2018 autour de 2,8 millions de tonnes de tourteaux de soja, principalement en provenance du Brésil, soit une augmentation de 60 % par rapport à 2011, sachant que la culture du soja joue un rôle moteur dans la déforestation de l’Amazonie et des savanes arborées. Sa culture intensive en intrants chimiques et en capital contamine l’environnement, avec y compris parfois une destruction des cultures vivrières voisines, du fait de l’épandage de désherbants et pesticides.
La même année, selon les douanes, la France a acheté pour 38,4 milliards d’euros de produits alimentaires à ses voisins européens, soit une hausse de 24 % en sept ans. Or, ces importations posent le grave problème de la traçabilité et de la qualité des produits agricoles importés qui répondent à des normes souvent moins exigeantes que celles imposées en France, à la fois en termes de pratiques agricoles et de conditions de travail. De plus, la majorité des intrants utilisés dans l’agriculture française, du carburant aux fertilisants, est importée, entre autres de Russie. Notons aussi ces aberrations, mais qui permettent à certains d’arrondir leurs comptes en banque, que constituent les “voyages” des animaux à travers l’Europe et le monde, entre leur naissance et l’abattoir. C’est le cas, par exemple de ces veaux nés en Bourgogne, engraissés en Italie et ramenés en Bourgogne pour être estampillés “Charolais” !
CETTE DÉPENDANCE est d’autant plus grande qu’elle dépend aussi de leur transport, lequel, devons-nous le rappeler à “nos” écologistes patentés, sont très énergétivores et très pollueurs. En outre, cette dépendance implique une forte corrélation entre le prix de l’alimentation et celui de l’énergie, sujet très actuel ! Par ailleurs, l’essor des transports et l’orientation de la production agricole vers des marchés nationaux et internationaux, notamment avec le soutien de politiques publiques, ont accentué la spécialisation des régions selon les conditions climatiques et les infrastructures existantes. Il en résulte de vastes zones agricoles spécialisées comme l’Ouest de la France avec l’élevage intensif ou le Bassin parisien avec les cultures céréalières. Cette spécialisation complique les initiatives de relocalisation de l’alimentation promues aujourd’hui. Cette relocalisation, autrement dit la territorialisation des filières de production entre ville et campagnes, est souhaitable, tout en sachant que le potentiel agricole local des 100 premières aires urbaines ne peut couvrir que la moitié des besoins alimentaires de leur population. Elle ne peut donc être que partielle. Il faut viser à l’autonomie et non pas à l’autarcie, même si cette dernière doit être inévitablement envisagée en prévision d’un éventuel conflit grave, l’échelon de l’Europe étant le plus pertinent pour les peuples d’Europe.
Cela précisé, il ne s’agit pas d’interdire les échanges agricoles internationaux, mais de veiller à respecter les intérêts de chaque peuple et des producteurs concernés, de ne pas créer artificiellement des filières d’échanges qui servent des intérêts privés et non pas ceux des peuples.
Justement, se pose un problème majeur : celui de la mise en péril de notre capacité future à produire, notamment en évitant l’épuisement des sols. La perte de la biodiversité cultivée a affaibli la rusticité de l’agriculture. Les variétés modernes, génétiquement très homogènes et adaptées aux pratiques de l’agriculture industrialisée (irrigation, engrais minéraux, pesticides), sont beaucoup moins résistantes aux perturbations climatiques ou biologiques. Ainsi, la grande proximité génétique des variétés modernes de blé peut rendre jusqu’à 90 % des surfaces cultivées sensibles à certaines nouvelles formes virulentes de rouille, une maladie causée par des champignons, et compromettre la sécurité alimentaire. Hormis l’artificialisation, les terres subissent de très fortes dégradations avec l’agriculture conventionnelle, qui cherche à maximiser la production par l’utilisation importante d’engrais chimiques ou de pesticides.
En France, 60 % des sols sont frappés d’érosion. Nous perdons en moyenne quarante tonnes de sol par hectare et par an. A ce rythme, dans trois siècles, la France pourrait bien devenir un désert ; et sans réchauffement climatique ! A cela s’ajoutent les effets délétères des pesticides. D’après le RMQS (Réseau de Mesures de la Qualité des Sols), 20 % à 25 % des terres arables françaises subissent une érosion qui ne pourra pas être supportée durablement. Ce phénomène est concentré dans les grandes plaines limoneuses du nord du Bassin parisien, en Picardie, dans le pays de Caux, le Languedoc et dans une partie du sillon rhodanien. Mais il ne concerne pas seulement la France et les terres cultivables perdent par érosion 0,5 % par an environ au niveau mondial.
Il faudrait d’urgence mettre en place un plan de régénération de l’agriculture en France, ce qui ne peut se réaliser que dans un cadre politique visant à soustraire l’Etat aux emprises des intérêts privés qui de fait, dictent leur politique à travers les couloirs de la Commission de Bruxelles et des ministères. Le mal est endémique lorsque l’on observe l’emprise de tous les groupes de pression, ou de conseil, sur les pouvoirs publics : les affaires du type McKinsey sont le révélateur de cette très inquiétante situation. Mais cela n’est pas la préoccupation majeure des “écolos”, à savoir ces officines s’estampillant écologistes, qui développent surtout un pouvoir de nuisance, stérilisant les terres pour y implanter des éoliennes dont la fabrication et le recyclage polluent plus la planète que la production du kilowatt nucléaire, empêchant les paysans de nettoyer les fossés, d’entretenir le drainage des fonds de vallée. Les effets en sont d’ailleurs visibles avec les récentes inondations dans le Pas-de-Calais, une cause majeure en étant le non-entretien des wateringues, ces canaux drainant les polders. Les “écolos” sont trop nombreux dans les différentes commissions publiques et Théodule alors qu’ils ne connaissent rien au sujet, la plupart du temps. Ces écolo-gauchistes sont les principaux ennemis des paysans, de la nature et des traditions. Si l’on veut sauver et redresser l’agriculture française, la priorité serait de mettre fin à leur détestable pouvoir de nuisance. Mais on est loin hélas de s’orienter dans cette salutaire direction.
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RIVAROL, <[email protected]>
Source : Éditorial de Rivarol