MACRON et Borne peuvent temporairement souffler : les deux motions de censure visant à faire tomber le gouvernement et qui étaient examinées par l’Assemblée nationale ce lundi 20 mars ont été rejetées dans la soirée : celle déposée par le Rassemblement national très largement puisqu’elle n’a recueilli que 94 suffrages, soit six de plus que le nombre de députés du groupe RN — preuve que, malgré sa stratégie de dédiabolisation et de normalisation, le parti mariniste reste encore isolé, les autres partis répugnant à frayer avec lui —, et celle du groupe centriste LIOT (Libertés, Indépendants, Outre-Mer et Territoires) qui a obtenu 278 suffrages. Il en fallait 287 pour censurer le gouvernement. Il a donc manqué 9 voix. La tête d’Elisabeth Borne a été sauvée (au moins provisoirement) grâce aux Républicains d’Eric Ciotti qui a objectivement joué le rôle de supplétif de la Macronie, lui accordant de l’oxygène artificiel. L’histoire retiendra qu’un gouvernement de centre gauche a été sauvé par la “droite” parlementaire, et tout particulièrement par son chef Ciotti dont on disait pourtant qu’il était parmi les plus radicaux de LR. Et cela, même si les députés LR ont été au final plus nombreux que prévu à voter la motion de censure déposée par le groupe LIOT : 19 sur 61, soit près d’un tiers, ce qui est un camouflet pour le président des Républicains et le chef du groupe LR au Palais-Bourbon Olivier Marleix. Les pointages indiquaient en effet que 5 à 10 députés LR seulement voteraient la censure. Or, ils ont été finalement une vingtaine. Un chiffre certes non négligeable mais toutefois insuffisant pour faire tomber le gouvernement Borne.
On voit en tout cas dans cette affaire à quel point l’image droitière de Ciotti est un mythe et une imposture puisque le député des Alpes-Maritimes se comporte en méprisable valet du pouvoir en place. Les Républicains, déjà très affaiblis et fort divisés, pourraient lourdement payer, sur le plan électoral et militant, cette honteuse allégeance à la Macronie. Après avoir perdu trois élections présidentielles successives (en 2012, 2017 et 2022), réalisant à chaque fois des résultats plus catastrophiques (échec au second tour avec Sarkozy en 2012, défaite dès le premier tour avec Fillon en 2017, effondrement à moins de 5 % en 2022 avec la calamiteuse Valérie Pécresse), les Républicains, dont l’électorat est essentiellement composé de personnes âgées voire très âgées, pourraient finir par disparaître électoralement puisqu’il ne dispose plus d’aucun espace politique et idéologique entre la Macronie et le Rassemblement national.
SI LA MOTION de censure a échoué de justesse, est-ce à dire que le gouvernement est sauvé pour autant ? La réforme des retraites est considérée comme adoptée, même si le Conseil constitutionnel qui a été saisi devra se prononcer dans le mois sur sa conformité à notre loi fondamentale. Mais il est peu probable que les “Sages” du Palais Royal en censurent les dispositions principales. Techniquement les oppositions à cette réforme repoussant l’âge légal de la retraite de 62 à 64 ans et augmentant la durée de cotisations (à 43 ans) pour disposer d’une pension à taux plein ont échoué. Et ce n’est pas la première fois qu’un gouvernement minoritaire, même à l’Assemblée, peut faire entériner des projets de loi. Michel Rocard, Premier ministre de 1988 à 1991, a ainsi utilisé 28 fois l’article 49 alinéa 3 de la Constitution pour faire adopter sans vote ses réformes et aucune motion de censure n’a jamais été votée contre son gouvernement, bien que les socialistes disposassent à l’époque, comme les macroniens aujourd’hui, d’une majorité toute relative.
Sous la Ve République, une motion de censure n’est parvenue à ses fins qu’une seule fois. C’était le 5 octobre 1962 lorsque les partis coalisés contre la réforme gaullienne visant à instaurer l’élection présidentielle au suffrage universel direct parvinrent à faire tomber le gouvernement Pompidou. Mais ce fut un succès à la Pyrrhus puisque les Français adoptèrent cette réforme par référendum, avec 62,25 % des suffrages exprimés, le 28 octobre, et le mois suivant, lors des élections législatives des 18 et 25 novembre 1962, les députés gaullistes revinrent plus nombreux qu’auparavant à l’Assemblée nationale, avec 56 élus en plus.
LE CONTEXTE est toutefois très différent aujourd’hui. Le gouvernement est impopulaire, sa réforme des retraites l’est encore davantage, 70 à 80 % de nos compatriotes, selon les études, y étant opposés. A première vue, on peut s’étonner que l’Exécutif s’entête à mettre en œuvre cette réformette qui au mieux ne fera économiser que 12 à 14 milliards d’euros alors même que le gouvernement a distribué 260 milliards d’euros pendant la crise covidesque, soit environ 20 fois plus (c’était le fameux « quoi qu’il en coûte » de Macron), que la balance commerciale accuse un déficit historique et très préoccupant de 163 milliards d’euros, ce qui témoigne de la profonde et radicale désindustrialisation de notre pays qui, pendant de longues décennies, fut pourtant un champion du commerce et des exportations, que la dette publique de la France en 2023 est de deux mille neuf cent seize milliards et huit cent millions d’euros (2 916 800 000 000 euros), soit 43 060 euros de dette publique par habitant, soit 113,3 % du PIB, que le déficit public est estimé par le projet de loi de Finances pour 2023 (donc par le gouvernement lui-même) à 165 milliards d’euros, soit plus de 6,5 % du PIB (on est loin des 3 % qui ne devaient en aucun cas être dépassés selon les sacro-saints critères de Maastricht).
Par conséquent, pourquoi prendre le risque de mettre le pays à feu et à sang (les manifestations de ces derniers jours ont été marquées par des mises à feux de poubelles et d’autres objets de la voirie et ont été accompagnées de violences, l’ultra-gauche, les antifas et les black blocs s’en donnant comme d’habitude à cœur joie) pour une réforme qui n’assure nullement dans la durée le maintien du système actuel de retraite et qui a de surcroît été largement vidée de sa maigre et contestable substance par toute une série de concessions, notamment sur l’âge légal prévu initialement à 65 ans et finalement baissé à 64 ? C’est tout simplement que cette réforme, aussi maigre, médiocre et incompréhensible soit-elle, est réclamée par la commission de Bruxelles et par les marchés financiers dont Macron est le zélé serviteur et le représentant officieux. On ne comprend rien en effet aux politiques menées depuis des décennies par les gouvernements successifs et qui mécontentent à juste titre le peuple dans sa grande majorité si on ne voit pas que les pouvoirs publics ne font qu’exécuter les desiderata de la finance anonyme et vagabonde. Et plus le pays est endetté (et il n’a cessé de l’être de plus en plus depuis la fin du gouvernement de Raymond Barre qui, malgré toutes les critiques fondées qu’on peut lui adresser, était plutôt un bon gestionnaire soucieux des deniers publics et de l’équilibre budgétaire), plus il est dépendant des marchés et des intérêts financiers. N’oublions pas à cet égard le rôle nocif de la loi Pompidou-Giscard-Rothschild du 3 janvier 1973 modifiant le statut de la Banque de France et ne permettant plus à l’Etat d’emprunter sans intérêt, ou à des taux d’intérêt très bas, à sa banque centrale, ce qui le conduisit à s’endetter auprès d’organismes privés, à des taux d’intérêt élevés, et ce qui le rendit très vulnérable par rapport à ses puissants créanciers qui sont aujourd’hui essentiellement des banques privées, des compagnies d’assurances ou des fonds de pension. Feu Henry Coston dénonçait dans un livre célèbre, dès les années 1950, la finance anonyme et vagabonde. Que dirait-il aujourd’hui alors qu’elle n’a jamais été aussi influente, vorace et dominatrice au détriment des hommes, des peuples et des nations ?
RESTE évidemment les conséquences politiques de ce passage en force du gouvernement sur cette réforme, même si l’usage du 49-3 n’est ni une première sous la Ve République, ni un procédé illégal puisqu’il est prévu par la Constitution. On peut toutefois s’étonner qu’un texte de loi puisse être adopté sans vote. C’est encore une anomalie de cette Constitution gaullienne décidément plus que contestable.
Que va-t-il se passer maintenant ? De deux choses l’une : soit les troubles actuels finiront par s’apaiser, par lassitude, et le gouvernement pourra alors rester en place, même s’il restera beaucoup de rancœurs et de violence rentrée au sein du corps social qui, un jour ou l’autre, finiront par rejaillir et exploser. Soit les manifestations, spontanées ou non, encadrées ou non, continuent, brassent du monde, se radicalisent, et dans ce cas il sera difficile à Macron de ne pas dissoudre l’Assemblée nationale pour provoquer de nouvelles élections législatives. Il est possible toutefois qu’il attende un peu pour le faire, espérant que le spectacle des dégradations et des destructions en marge des manifestations retourne graduellement l’opinion publique en sa faveur. C’est ce qui s’était passé lors de la crise des gilets jaunes. Le mouvement, au départ très populaire, avait été décrédibilisé aux yeux d’une partie grandissante de l’opinion à cause des violences répétées et des déprédations multiples de black blocs affublés de gilets jaunes. Macron joue la stratégie de la tension et du chaos, espérant peut-être en tirer prochainement les dividendes. Il pourrait alors apparaître comme l’homme du parti de l’ordre opposé à la chienlit qu’il a pourtant provoquée. Un comble pour un individu œuvrant à la destruction de toutes les frontières physiques et morales, s’épanouissant dans le désordre et le chaos sociétal !
Un retour aux urnes ne réglerait toutefois pas la crise actuelle, la nouvelle assemblée pouvant être encore plus ingouvernable que l’actuelle. Le scrutin majoritaire à deux tours qui créait des majorités dès lors qu’il existait deux grands blocs se faisant face (la gauche et la droite) ne fonctionne plus dès lors qu’il existe désormais trois courants principaux de force à peu près égale et qu’on imagine mal en l’état gouverner ensemble : la gauche autour des Insoumis, le centre macronien et le Rassemblement national, même si les différences idéologiques sont moins fortes entre eux qu’on ne l’imagine et qu’il y a dans tout cela une part de théâtre. Toutefois, sauf énorme surprise, on voit mal actuellement comment une majorité claire pourrait émerger des urnes, et ce quel que soit le mode de scrutin.
Le système politique est donc actuellement bloqué. Il est dans une impasse. A moins d’une recomposition dont on dessine encore mal les contours mais qui pourrait peut-être prendre prétexte de la guerre en Ukraine ou d’éventuelles émeutes dans le pays pour voir le jour et pour appeler demain ou après-demain à une fallacieuse union nationale derrière les politiciens et les partis qui ont pourtant conduit notre pays à la ruine et au tombeau.
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Source : Éditorial de Rivarol