Le conflit qui se mène entre l’entité ukrainienne issue de la dissolution de l’URSS et la fédération de Russie depuis le 24 février 2022 est une guerre hybride qui engage bien d’autres États et armées, principalement au soutien des forces armées ukrainiennes.
L’une des facettes de cette guerre est celle du renseignement et de la cyber-guerre. En témoigne la « fuite » de documents révélés par un groupe de hackers issus la République populaire du Donbass unifiée à la Russie connus sous le nom de « JokerDPR ».
Le groupe a publié ces dernières semaines des documents extrêmement intéressants et de très grande valeur : la communication du renseignement militaire US à destination de l’armée de Kiev pour certaines semaines d’avril à juillet au moins. Un total de 1 860 pages pour les échantillons rendus publics à ce jour. Les documents ont été trouvés lors du piratage de l’application en ligne « Delta » développé par les États-Unis pour que l’armée de Kiev puisse renseigner l’emplacement de ses unités ainsi que celles estimées de la Russie.
Cette fuite document et le piratage de l’application montre que les Russes savent contre qui ils se battent : si les mains sont à Kiev, la tête pensante est à Washington ! Les documents montrent surtout la capacité de renseignement militaire américain, ainsi que celle de l’interprétation et du partage de l’information.
Les documents sont disponibles en intégralité sur : https://telegra.ph/NATO-dayot-VSU-koordinaty-celej-CHast-2-11-24-2
Le 2e document du premier lot est un échantillon intéressant qui permet de résumer ce qu’on trouve dans l’ensemble des documents. Voici en gros quelques extraits de ce qu’on peut y lire :
La première page rend compte des destructions infligées à un dépôt de munitions russe dont les coordonnées ont été fournies préalablement. On constate que l’armée russe a déployé de très nombreux brouilleurs, dont des brouilleurs GPS, d’autres radiofréquences, etc. L’armée américaine les voit tous immédiatement au mètre près et en fait une cible prioritaire.
Les batteries de SAM (systèmes de missiles sol-air de défense aérienne) sont particulièrement listées, parmi les cibles prioritaires. Cela confirme la très grande importance de la mobilité des batteries plusieurs fois par jour, de plusieurs kilomètres. Confirmation est donnée aussi que les États-Unis et l’OTAN fournissent de quoi établir des couloirs d’accès aux aéronefs ennemis en basse altitude.
Page 25 : description de trains de 871 mètres et de 473 mètres de long transportant depuis la Russie, au nord de la Mongolie et du Kazakhstan, des dizaines de véhicules dont les types sont précisés. La page 26 donne d’autres informations sur le suivi détaillé du chargement de véhicules clairement identifiés sur des plateformes ferroviaires. Les rotations de personnels et de matériels sont également indiquées, avec grandes précisions, jusqu’au marquage sur les véhicules.
Page 46 : les attaques russes à venir, page 47 les champs de mines installés par l’armée russe, page 48 les bases militaires et usines d’armement qui seront attaquées prochainement par missiles de croisière russes (de sorte que Kiev puisse s’y préparer en minimisant les conséquences), page 52 une interprétation des mouvements russes à Izyum et le changement dans le déploiement de leurs unités, page 54 la position de QG russes.
Page 56, l’état des nouvelles sorties de stock des matériels militaires en Russie, au nord du Kazakhstan, et le transfert vers les lignes de front.
Page 59, une liste de radars de contre-batterie russes, avec leurs coordonnées.
Page 65, le suivi très minutieux des munitions russes sorties du dépôt de Neya au nord-est de Moscou (à la « verticale » du Caucase) transportées par train, avec la quantité à la tonne près, le type des munitions (la longueur des roquettes permet d’en déterminer le type).
Page 78, une analyse détaillée de la surveillance du port de Berdyansk, une photo satellite est fournie. Avec les angles, les ombres et la date, il serait possible de connaître quel satellite a capturé l’image.
Page 89, l’armée de Kiev est informée que l’armée russe se prépare à attaquer d’une seconde à l’autre 5 véhicules lance-missiles « Himars » (système de lance-roquettes multiples monté sur camion) aux 5 coordonnées indiquées.
Page 90, coordonnées de dépôts de munitions russes établis la veille près de Balakleya.
Page 91, les déploiements sur les aérodromes russes, avions, munitions reçues etc.
Page 150 et suivantes, une liste d’artilleries, de postes de commandement, de dépôts de munitions, de véhicules divers et variés précisément identifiés, leurs coordonnées, la durée de déploiement et la probabilité que l’information soit toujours valable (incitation au tir).
Page 185 : des générateurs de fumée dont certains avec marquage « Z » sont repérés, leur mouvement est suivi avec minutie et grand intérêt plusieurs fois dans la journée, car ils peuvent masquer la vue depuis les satellites des alliés de des forces armées ukrainiennes qui ont une qualité de vue extrêmement importante pour arriver à lire une lettre sur une portière, comme les KH-11 (famille de satellites américains de reconnaissance) avec leur miroir primaire de 3 m et leur miroir secondaire mobile permettant des angles de vue inhabituels.
Page 186 entre autres, la Russie déploie de très vieux Antonov-2.
Page 208, résumé de l’activité aérienne russe, chasseurs, bombardiers, avions-radars…
Page 212, les offensives russes pressenties pour le jour.
Page 214 « according to a reliable source » : un espion dans les rangs de l’armée russe.
Page 242 : un espion informe que l’armée russe sait que des artilleries et des troupes ont été déployées au nord d’Artemovsk.
Page 263, le suivi des mouvements russes, les chemins utilisés etc.
Page 269, le 18 juillet, des centaines de véhicules russes dont les types sont précisément indiqués, arrivent depuis le 13 juillet à côté d’Urazovo où l’on apprend qu’un grand atelier de réparation russe est situé, au nord de l’Oskol, en Russie. Ils forment un nouveau groupe de combat. Dans le même temps, des caisses de roquettes et de bombes non guidées sont livrées sur les aérodromes frontaliers, les quantités sont parfois précisées.
L’avant-dernière page explique qu’entre Saint Pétersbourg et la Finlande, à Kirillovskoe, 4 moyens d’artilleries autopropulsées de 152 mm sont chargées sur un train de 581 mètres de long, avec un certain nombre d’autres véhicules, et qu’il est probable que cela soit à destination des troupes russes en Ukraine.
Les documents permettent de comprendre à quoi fait face la Russie : à un véritable « Big Brother » militaire auquel peu de choses échappent.
Source : JokerDPR