Auda Isarn, 12 €
Sur les 30 000 prisonniers, détenus au printemps 1946, pour faits de collaboration, une trentaine, à peine, nous a légué, en tout, 8 recueils de poèmes analysés dans le présent essai. Ils constituent le fonds d’une poésie carcérale opiniâtrement ignorée des anthologies. Cette poésie pénitentiaire est née à Fresnes, plaque tournante de l’Épuration, avec Robert Brasillach, figure tutélaire des épurés qui versifièrent, eux aussi, et souvent clandestinement, leur détention dans les sinistres centrales.
Jean-Hérold Paquis, fusillé en octobre 1945, et Jean Mamy, exécuté en mars 1949, ont laissé, chacun, un recueil de poésies des plus pathétiques. D’autres épurés, condamnés aux travaux forcés, libérés en 1950, 1951, s’acquirent une grande notoriété. Robert Julien-Courtine entra au Monde dont il fut, sous le pseudonyme de La Reynière, un influent critique gastronomique, Lucien Combelle devint un chroniqueur réputé sur Europe 1…
La création poétique des années d’Épuration, hantée par la mort, est empreinte d’une ferveur religieuse évoquant celle des martyrs de la Terreur en 1793. Elle puise aussi son inspiration à de multiples sources : l’être aimé, la cellule, la solitude, le temps carcéral, la nuit, l’hiver… Toute d’émotions et de lyrisme, cette expression poétique est également un acte de résistance, de défi à l’asservissement et à l’avilissement, un moyen de survivre.
L’Anthologie de la poésie carcérale française sous l’Épuration (1944-1954) n’a pas, à ce jour, d’équivalent.
Docteur en histoire, Pierre-Denis Boudriot est l’auteur de L’Épuration 1944-1949 (Grancher), L’Ennemi intérieur de la III e République 1938-1940 (Chiré), Bagnes & camps de l’Épuration française 1944-1954 (Auda Isarn).
Disponible sur Auda Isarn
Comme vous avez parlé récemment de l’attentat du Petit-Clamart et que l’un des conjurés dûment mentionné par Alain Decaux y était présent, il ne serait pas inopportun de promouvoir également la poésie produite par ledit conjuré pendant son incarcération. Il serait temps de lui rendre justice. Ce dernier est un grand lettré et un illustre poète, sans doute un des plus grands du XXe siècle dans la mesure où la poésie lui est familière et naturelle. Rien n’est pis qu’un savoir, une science ou un talent superficiellement acquis d’autant plus qu’il est très difficile mystifier la multitude dans ce domaine. On peut lire Castiglione ou Gracián, qui, même s’ils ont atteint les sommets de la civilisation avec respectivement le Courtisan et le Criticon, n’en laissent pas moins d’enseigner une certaine dissimulation, mais non ici. Pindare a à ce propos quelques vers que je goûte beaucoup dans une de ses épinicies, notamment la deuxième Olympique, 94-96: Σοφὸς ὁ πολλὰ εἰδὼς φυᾷ·μαθόντες δὲ λάβροι παγγλωσσίᾳ, κόρακες ὥς, ἄκραντα γαρύετον, « celui-là est vraiment sage que celui qui tient de la nature son grand savoir; ceux qu’une étude pénible a formés se perdent en vaines paroles et sont semblables à des corbeaux qui croassent vainement ». Je pense derechef au fils de cultivateur ardéchois Joseph Monneron dans l’Etape de Paul Bourget, trop vite instruit (mais bien toutefois, on était sous la IIIe République, rien à voir avec les bons à rien actuels au sommet de l’Etat) et sans recul (Bourget dit qu’il a fait sienne la grande culture trop vite) pour ensuite détruire la société et le pays dont il est issu une fois impétrant.
On a l’exemple contraire chez Louis de Condé, il n’a point acquis son savoir pour faire carrière, il était naturel, il est poète d’instinct, c’est une vocation qu’il a épanouie depuis son enfance en lisant les plus grands poètes de sa patrie et c’est pendant sa réclusion après l’attentat manqué du Petit Clamart qu’il a mis à profit les loisirs forcés que cette dernière lui procurait pour rédiger ses poèmes à l’instar de tant d’autres avant de Boèce à Chénier en passant par Charles d’Orléans. N’eût-il jamais été emprisonné qu’il n’aurait peut-être jamais rédigé de poèmes, ce qui signale ici un désintéressement certain. En tout cas, sa poésie est remarquable est classique, c’est vraisemblablement le seul à l’heure actuelle à être capable de rédiger en vers un marivaudage entier en moyen français tardif de 37 p. (je vous exhorte vivement à les acquérir pour vous donner une idée: http://www.librairiefrancaise.fr/fr/poesie/5571-vers-galans-louis-de-villefollet-de-conde.html).
J’ai aussi rédigé un commentaire de son oeuvre dans quatre numéros des Ecrits de Paris: août-septembre 2016; octobre 2016; novembre 2016; février 2017. Elle peut être une bonne introduction.
Les vrais poètes sont malheureusement peu lus et signe des temps, la poésie n’est plus un genre littéraire très prisé, on ne peut que le déplorer, car par les transports qu’elle nous procure grâce au goût et à la beauté, elle peut contribuer à former le coeur et l’esprit.
J’ai bien aimé les poèmes de Fresnes. Ils m’en avaient inspiré un: Poète de Fresnes.
Ils ont donc osé! Dans le matin blême,
j’entendis cracher les odieux fusils.
J’entendis la mort comme un anathème
Passer sur l’humus et les troncs pourris
Ils ont donc osé, ces pantins sinistres,
Exécuter l’ordre odieux du tyran.
J’entendis rouler sous les nuées bistres
Les détonations comme un ouragan.
Ils ont donc osé, ces tristes cloportes,
Tuer le poète aux ailes de feu.
J’entendis mourir dans les feuilles mortes
Son esprit encore gorgé de ciel bleu.
Mais vous répondrez, juges des justices,
Et vous répondrez, bourreaux des slogans,
Des exécuteurs pris dans vos milices,
De l’exécution de ces jugements.
Car vous l’avez tué, le pauvre poète,
Vous l’avez jugé, le roi de l’azur,
Par un jugement pris dans votre tête,
Par votre fusil de soldat impur.
Et tu répondras, pantin ridicule,
Des forfaits commis sous ton consulat,
En plus de la triste et laide macule
Que tes faux serments ont fait sur ton bras.
Un jour, tu paieras pour tes impostures
Dans le ciel de Mai et le ciel de Juin,
Pour les assassins et pour les ordures
Que tu fais germer sur notre chemin.
Un jour tu paieras pour nos oriflammes
Jetées dans la boue aux pourceaux moqueurs,
Et pour le sourire horrible des femmes
Egorgées de frais par les bons tueurs.
Pour le coeur léger dont tu fais les larmes,
Pour l’enfant tué sur le trottoir gris,
Pour le fellaga qui garde ses armes
En te marchandant le sort du pays,
Pour les généraux sous les portes closes,
Pour les lycéens qu’on traque la nuit,
Et pour Brasillach, et pour d’autres choses,
Tu devras payer, tu paieras, maudit. François Volff. Poèmes de rage et de paix.