[Article publié dans la seconde version papier de Jeune nation, sous la plume d’André Gandillon]
À l’opposé d’un système financier qui met l’économie au service de la monnaie pour le plus grand profit d’une petite minorité de financiers, il faut que la monnaie soit au service de l’économie, dans le respect de la souveraineté de la personne humaine et des intérêts de la communauté nationale dans son ensemble.
On ne cesse de prédire que d’ici deux lustres, il ne sera plus possible d’assurer le paiement des retraites, de même que l’on ne pourra plus financer le système de sécurité sociale des Français. On ne peut que souscrire aux critiques adressées à ce système par les libéraux, notamment le fait que sa gestion est désastreuse et anti-économique, qu’elle transforme les Français en assistés, privés de leur liberté de choisir leur régime de retraite et de protection sociale.
Toutefois, la solution proposée par les libéraux ne constitue, à terme, qu’une fausse solution. Car le fait de substituer au système actuel de financement par répartition un système par capitalisation n’assure en rien les bénéficiaires potentiels de toucher les revenus qui leurs sont promis. Si, effectivement, le système par répartition ne peut fonctionner correctement lorsque le nombre des cotisants ne cesse de diminuer par rapport aux bénéficiaires, sauf à atteindre des taux de prélèvements tels qu’ils découragent tout esprit d’entreprise, le système par capitalisation va dépendre des marchés financiers, lesquels sont à la merci d’événements destructeurs comme nous en réserve l’aléatoire de l’histoire. Cela s’est déjà produit, notamment en 1940, lorsque les fonds de pension existants ont été ruinés : on avait alors eu recours… au système par répartition.
La monnaie n’est pas première
Face à ce débat entre soviéto-étatistes et libéraux concernant le devenir économique de nos sociétés industrialisées, il faut garder l’esprit froid et demeurer réaliste.
Indépendamment du danger mortel que fait courir à l’Europe la crise démographique actuelle, il faut voir qu’en économie, la monnaie n’est pas première. La monnaie n’est pas une marchandise mais une institution humaine, de nature politique. Il ne faut pas inverser les priorités : ce n’est pas l’économie qui est au service de la monnaie mais la monnaie qui doit servir l’économie. Seules comptent en définitive les capacités humaines et techniques d’un peuple lui permettant de produire des richesses. La monnaie n’a pas d’autre rôle que d’assurer la commercialisation de la production et de faciliter les échanges. Ce qui est physiquement possible et nécessaire au développement d’un peuple et à son bien- être et à sa défense doit être financièrement réalisable. C’est un premier point.
La seule vraie question est de savoir si l’appareil productif existant est en mesure de satisfaire les besoins de la population, active ou inactive, ce qui est le cas lorsque, en dehors de toute crise conjoncturelle ou de problèmes liés à l’emploi d’étrangers, la production n’a plus besoin du travail de tous les actifs pour croître. La question n’est pas de savoir s’il y aura suffisamment d’actifs pour payer les retraites, mais de savoir s’il y aura assez d’actifs (de qualification suffisante) pour produire ce dont les gens ont besoin.
Il est insensé de s’entendre dire que des milliers de citoyens vivent de la soupe populaire alors que l’appareil économique n’a jamais été aussi puissant et capable de produire autant de richesses. Dans ce cas, c’est le système financier qui est failli car il ne remplit plus son rôle qui est de permettre à la production de passer des producteurs aux consommateurs.
Or nous allons être toujours plus confrontés à cette situation. Jusqu’aux années 1920, une plus lente diffusion du progrès technique à travers une économie d’où était absente l’automatisation, la succession de plusieurs vagues technologiques demandeuses de main d’œuvre ont fait qu’il s’est créé globalement plus d’emplois qu’il ne s’en est détruit. Mais les années 1926-1929 ont vu apparaître aux États-Unis ce fait révolutionnaire, dû à l’effet cumulatif du progrès technique, par lequel la production croissait alors que la population active diminuait relativement. Lorsque les financiers prirent conscience de cette réalité et du décalage qui apparaissait entre production et anticipations spéculatives et boursières, ce fut la crise de 1929.
On sait comment la Seconde Guerre mondiale et ses funestes conséquences, notamment la destruction de l’Europe sous les bombardements et la longue reconstruction qui s’en est suivie, permirent de masquer ce phénomène jusqu’aux années 1970, époque où il réapparût. Et il faut savoir qu’en l’absence de nouvelles vagues technologiques d’une ampleur telle qu elles suscitent en grande quantité de nouveaux secteurs d’activité capables d’absorber toute la main d’œuvre disponible (à condition que son savoir-faire soit suffisant pour assurer la mise en œuvre de ces nouvelles activités), on verra la production croître alors qu’un nombre croissant de personnes sera rejeté de l’activité productive. Car, pour créer des emplois, la croissance doit être supérieure à la productivité.
Il faut donc envisager un système financier qui tienne compte de cette réalité et qui assure à tous les membres de la communauté nationale un revenu minimal issu de l’effort productif de l’ensemble des citoyens. Exposons-en les grandes lignes.
Pour cela, il importe d’analyser comment fonctionne factuel système financier, lequel est tributaire de contingences historiques et d’empirisme.
La création monétaire repose actuellement sur la duplication monétaire par laquelle les banques prêtent plus de signes monétaires qu’ils n’en ont en caisse par suite des dépôts qu’elles ont reçus, ou encore les États qui financent leur propre déficit budgétaire. Les banquiers se fondent sur le fait que tous les déposants ne viennent pas retirer tous en même temps les fonds qui leur ont été confiés.
Pour limiter ce pouvoir de création monétaire du réseau bancaire et réduire les risques de désordre liés à l’indiscipline de ces banques, le pouvoir d’État, dépossédé en fait de son droit régalien de battre monnaie, a introduit des mécanismes d’intervention sur le marché monétaire, tel le système des réserves obligatoires.
L’économie se finance conjointement, soit par appel au marché financier, moyen le plus employé aux États-Unis, soit par la création de monnaie ex-nihilo, par recours au crédit bancaire.
Quant aux États, ils se financent de la même manière, soit en empruntant sur le marché financier les fonds dont ils ont besoin, soit en émettant des obligations, système retenu par les États- Unis, dont les bons du trésor sont la principale source de création de dollars, lesquels, de par la position dominante des États- Unis, servent de base de création monétaire internationale, par duplication.
Cela contraint d’une part les Banques centrales mises devant le fait accompli à réescompter les traites de banques commerciales, d’autre part à tenter d’organiser par l’instauration d’une autorité supranationale, le marché mondial des capitaux errants et toujours source potentielle de désordres.
En créant de la monnaie en contrepartie d’une distribution de crédits, le réseau bancaire transfère un pouvoir d’achat aux bénéficiaires de crédits sans que, simultanément, quelqu’un renonce à un pouvoir d’achat correspondant Ce système est donc vicié. Il crée de faux droits puisqu’il anticipe la création d’une potentielle prospérité. Ainsi, les moyens de paiement créés par la banque centrale sont une dette car ils n’ont pour contrepartie que des promesses à payer ultérieurement.
Les mécanismes du circuit monétaire
La théorie économique classique pèche sur un point important : elle postule que l’échange a été, est, sera toujours possible. Or, si l’économie exclut pour le seul motif du progrès technique les travailleurs du processus productif, l’échange n’est déjà plus possible dans la mesure où, non seulement le travailleur ne peut plus échanger son travail mais, ne disposant plus de revenus, il est incapable d’acheter la production qui ne trouve plus d’acheteur solvables. C’est la crise.
En outre, il est un mécanisme du système économique qui échappe aux économistes classiques et qui provoque automatiquement un déséquilibre entre prix globaux des marchandises offertes et pouvoir d’achat, empêchant de solvabiliser la production. Si une production a coûté 5 unités de masse salariale distribuée, et si le producteur prend un bénéfice de 1, le prix de vente du produit, égal à 6, fera que jamais les consommateurs ne pourront acheter la totalité de la production. Pour écouler la production, il sera nécessaire de trouver des débouchés extérieurs au circuit économique, lesquels fourniront de l’extérieur la monnaie suffisante pour solvabiliser le 1/6e restant : on comprend pourquoi l’exportation est un enjeu vital de l’économie.
Par ailleurs, il faut savoir que. du point de vue de la politique de régulation monétaire, seule compte la monnaie vivante, celle qui a pouvoir de règlement et que l’on désigne comme étant l’agrégat monétaire M1 et qui recouvre les moyens de paiement en circulation et de liquidité immédiate.
Les agrégats M2 (M1 + placements liquides à court terme) et M3 (M2 + placements à terme) définissent la quasi-monnaie, autrement dit la monnaie potentielle qui n’a pas de vie, qui ne sert pas aux transactions, ce que l’on appelle parfois des « gisements financiers ».
En effet, la création de monnaie a son contraire : la destruction de monnaie. Et l’excès de signe monétaires en circulation, source d’inflation résulte d’une création plus abondante que la destruction. La monnaie de règlement va effectuer plusieurs transactions au cours de sa vie, dont le nombre va déterminer la vitesse de circulation de la monnaie. C’est cette monnaie de règlement qui importe car, si elle devient inerte dès qu elle rentre en Banque, elle sert de base à de nouvelles émissions de signes monétaires. Ainsi, toute politique monétaire devra porter sur le contrôle de M1, autrement dit des moyens de paiement en circulation et de leur vitesse de circulation, c’est-à-dire la monnaie dont on a besoin pour solvabiliser la production.
Dans la situation actuelle, le système financier international ne cesse de fabriquer des signes monétaires, notamment par le biais de la spéculation. Et cet argent n’est pas source d’inflation aussi longtemps qu’il demeure de la quasi-monnaie et qu’il n’est investi que dans des activités entrant dans le circuit marchand. Seulement, cet argent n’est utilisé qu’en fonction de l’intérêt de ces financiers, notamment du taux de profit espéré de tels investissements, mais en aucun cas dans celui des peuples. La question du manque de moyens financiers dont on ne cesse de nous parler est donc artificielle, mais cette “industrie financière” explique pourquoi certains libéraux proposent de financer les retraites par des fonds de pension capitalisés, lesquels participeraient activement au système comme cela se pratique aux États-Unis… jusqu’au moment où une crise fera disparaître ces capitaux comme neige au soleil.
La solution : le crédit social
Dans le système proposé, dont l’initiateur fut Clifford H. Douglas dans les années 1930, ce n’est plus la dette, qu’elle prenne l’aspect d’une création monétaire ex-nihilo ou d’émission de titres obligataires, qui finance les besoins de l’économie. C’est le niveau de l’offre du prix global des biens consommables dans le pays qui détermine le montant de la monnaie à émettre, si elle est inférieure à ce niveau, ou à annuler si elle lui est supérieure. La monnaie créée intervient comme le solde de l’échange, le régulateur du marché, le stabilisateur des prix.
Si, sur une période déterminée, par exemple mensuelle, il apparaît que le pouvoir d’achat global disponible est inférieur à l’ensemble des prix des biens produits offerts à la vente, parce que les gens ont épargné beaucoup ou que l’économie n’a pas engendré suffisamment de moyens de paiement par suite de la mise à l’écart de la production d’une partie de la population active, la banque doit émettre de nouveaux moyens de paiement en complément pour ajuster pouvoir d’achat et prix collectifs. La création monétaire n’est plus anticipée mais simultanée à la renonciation d’un pouvoir d’achat correspondant. Dans le cas où le pouvoir d’achat est supérieur aux biens offerts, il faut retirer de l’argent. C’est une situation de crise car la production ne suit pas la demande de la population ; l’appareil productif est déficient et doit être d’urgence modifié.
Dans ce système, la création monétaire vient compléter les moyens d’achat déjà en circulation pour équilibrer la demande au niveau de l’offre existante. La duplication monétaire, la création de monnaie ex-nihilo, est supprimée. Les organismes de crédit sont dessaisis de leur usurpation du droit de création de monnaie scripturale, de signes monétaires ; ils sont tenus de ne prêter que ce qu’ils ont en caisse : c’est le « 100 pour cent monnaie ». La banque centrale doit retrouver son rôle de contrôle a priori de la création monétaire. Seul l’État doit battre monnaie. Le crédit est un bien commun, il ne peut être la seule propriété des banques d’intérêt privé.
Dans une économie où le nombre des inactifs ne va cesser de croître par rapport aux actifs, alors que la production va continuer de croître, il importe de dissocier, pour une partie, revenu et emploi.
Ce système, fondé sur la souveraineté de la personne humaine, membre d’une communauté nationale, repose sur un système de dividendes. Un dividende est le revenu que l’on reçoit comme fruit de l’activité d’une société lorsque l’on en est actionnaire, donc propriétaire d’une fraction.
En considérant, sous son aspect économique, la nation comme une entreprise de création de richesses, il est possible de verser à chaque citoyen, de sa naissance à sa mort, en contrepartie de son devoir de contribuer au renforcement de la nation, un dividende social constituant un revenu minimal. Celui-ci correspond au droit que chaque citoyen a de recevoir une part de l’héritage commun légué par les générations précédentes et une part de l’effort national de production de richesses nouvelles.
Ce dividende constitue un pouvoir d’achat additionnel aux revenus que chacun peut obtenir par son activité personnelle ; il garantit un revenu minimal assurant la couverture des périodes d’inactivité, de la scolarité, de la formation, de la retraite, des maladies… Toutefois, afin de palier l’imprévoyance de certains, on peut envisager d’affecter obligatoirement certaines parties de ce dividende à des dépenses telles celles de santé et d’éducation.
Il s’agit donc d’effectuer un contrôle national de la monnaie, dans le cadre d’une économie orientée, de telle façon que en tout temps, le crédit social distribué à chaque citoyen reflète la richesse véritable du pays sans que l’on entrave la liberté d’entreprendre et de se constituer un patrimoine.
Par conséquent, cette émission de monnaie nouvelle, – correspondant à l’accroissement de la production d’une période sur l’autre et également répartie à chacun des citoyens –, doit parvenir directement aux consommateurs, franche d’intérêt et de dette, sous la forme d’un crédit social distribué de deux manières :
-un dividende versé à chaque citoyen,
-l’Escompte compensé, c’est-à-dire une baisse de x pour cent du prix d’un bien proposé aux consommateurs par les producteurs, cette baisse étant compensée aux producteurs par la banque centrale, qui équilibrera le pouvoir d’achat global existant face à la production offerte. Cette technique permet de traiter une hausse du prix d’un bien de production, tel le pétrole, sans provoquer de dérèglements monétaires.
Ces signes monétaires ne sont pas obtenus par taxation comme cela se pratique actuellement. Au contraire, ce système permet de supprimer les actuels systèmes sociaux de redistribution qui pénalisent le travail : retraite, santé, chômage, RMI, lequel est en quelque sorte l’amorce d’un tel revenu social. Par là même, en réduisant les charges fiscalisées qui étouffent l’esprit d’entreprise, on dynamise l’activité économique. Dans le même temps, les citoyens sont responsabilisés.
Pour ce faire, conjointement au dividende versé en fonction de l’accroissement de la production, il suffira de mettre en place un système de rétrocession des prestations sociales existantes, lequel constituera la phase de transition vers le système de crédit social. Dans le même temps, le passage du système actuel au système créditiste nécessitera de changer les contreparties monétaires : une caisse d’amortissement de la dette publique sera chargée de convertir la monnaie émise jusqu’alors par crédit bancaire ex-nihilo par de la monnaie banque centrale, émise en contrepartie de titres, ne portant ni intérêt ni échéance.
Ce système permet de créditer tous les citoyens de moyens financiers de telle manière qu’ils existe une demande solvable suffisante pour permettre à la production de s’écouler.
Par ailleurs, afin d’œuvrer au renforcement de la puissance nationale, lorsque existent des facteurs de production inemployés, main d’œuvre et biens de production, alors que nombre de besoins souvent vitaux demeurent insatisfaits, il est possible de créer sous forme de traites affectées à tel ou tel type de production des signes monétaires permettant de mettre en œuvre les productions désirées, dynamisant ainsi l’économie. Le contrôle de la monnaie de règlement par le processus création monétaire/destruction monétaire permet d’éviter que la monnaie se déprécie par émission de signes monétaires en surnombre par rapport à la production offerte.
Il n’est donc pas impossible de financer les retraites ou les soins des générations à venir. Le problème n’est pas d’ordre monétaire mais d’ordre matériel. Seule se pose la question de savoir s’il y aura suffisamment d’actifs pour produire assez de biens afin de satisfaire la demande de consommation. Les signes monétaires peuvent s’ajuster en conséquence. Mais la monnaie doit être administrée en fonction de l’intérêt des peuples et non pas en fonction d’intérêts particuliers. Avant d’être techniques, les problèmes monétaires sont politiques. Toutefois, la crise annoncée du financement des prestations sociales révèle un péril gravissime : la dénatalité qui frappe l’Europe. Et si du seul point de vue économique et monétaire, ce phénomène n’est pas rédhibitoire comme on veut le faire accroire, la dénatalité pose le problème crucial de la survie des peuples européens. Car il n’est de richesses que d’hommes. Notre avenir passe par la destruction du veau d’or.