Vingt ans après que Frederik De Klerk ait hissé Nelson Mandela au pouvoir, la question raciale se pose avec d’autant plus de force qu’il s’agit d’un tabou empoisonnant et conditionnant tout à la fois la vie politique et les rapports sociaux. Contrairement à ce que croyaient les gogos, la pluie démocratique n’a donc pas effacé les rayures du zèbre sud-africain. Quant à l’arc-en-ciel multiracial, il s’est dissipé sous les orages.
Les élections du mois de mai 2014 – le dossier qui leur est consacré le montre d’une manière éloquente – furent d’abord raciales. Les Noirs ont en effet massivement voté pour des partis noirs, cependant que les Blancs, les Métis et les Indiens, ont non moins massivement donné leurs suffrages à l’Alliance démocratique.
Or, la fracture raciale qui est au cœur de toutes les problématiques sud-africaines va encore s’accentuer au fur et à mesure de la déliquescence de ce qui fut un pays prospère. Sans une croissance pérenne de 5 à 7 % par an, l’Afrique du Sud ne pourra en effet pas freiner un chômage qui touche désormais au moins 40 % de la population active. En 2013, cette croissance ne fut que de 1,6 %[1] et au premier trimestre 2014, le PIB a perdu 0,6 %, notamment en raison des mouvements sociaux qui paralysent les mines.
Chaque jour qui passe voit donc s’aggraver une situation à ce point catastrophique qu’il est légitime de s’interroger sur les arrière-pensées de ceux qui, en 2011, poussèrent à l’admission de l’Afrique du Sud parmi les « BRICS », ces pays à forte croissance qui ont un poids substantiel dans l’économie mondiale. Cette interrogation est d’autant plus légitime que, pour la période 2008-2012, l’Afrique du Sud dont l’économie est malade, dont le secteur moteur, les mines, est en partie obsolète, a été classée par la Commission économique de l’Afrique (ONU) et l’Union africaine[2], parmi les 5 pays « les moins performants » du continent, devançant à peine les Comores, Madagascar, le Soudan et le Swaziland…
Comment espérer voir la situation du pays s’améliorer quand les mineurs réclament plus qu’un doublement du salaire de base, soit 12 500 rands (880 euros) alors que les coûts sud-africains rendent déjà les productions nationales non concurrentielles ? Les sociétés minières ont d’ailleurs quasiment cessé d’investir dans le pays, préférant le faire ailleurs en Afrique et de par le vaste monde. Résultat : comme le secteur minier est le premier employeur privé, le chômage va donc encore augmenter.
Face à cette situation, l’Etat-parti ANC n’a que deux options :
-Chercher à redresser l’économie en empruntant une voie libérale et il provoquera alors une révolution sociale.
-Appliquer le remède « magique » consistant à accuser le bouc-émissaire blanc et tenter de faire croire que la situation est un héritage de l’apartheid, puis en nationalisant les mines et la terre.
C’est naturellement cette seconde voie qu’il va emprunter. Dans un premier temps, les mesures seront essentiellement symboliques afin de satisfaire les revendications noires sans casser l’outil économique. Mais, comme elles seront insuffisantes, il lui faudra ensuite davantage ponctionner les Blancs. Or, comme les seuls secteurs qui tournent encore sont précisément ceux que ces derniers contrôlent (agriculture d’exportation et secteurs de haute technologie), la « poule aux œufs d’or » sera tuée. Comme au Zimbabwe.
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[1] 3,6 % en 2008, -1,5 % en 2009, 2,8 % en 2010, 3,8 % en 2011, 2,5 % en 2012.
[2] Rapport économique sur l’Afrique pour l’année 2013. En ligne.