Il y a trois mois, le maréchal Khalifa Haftar, âgé de 75 ans et commandant en chef de l’Armée Nationale Libyenne (ANL), a lancé une succession d’offensives militaires depuis son fief dans l’Est de la Libye et s’est entre autres emparé d’un champ pétrolifère stratégique dans le Sud. Cet assaut annonçait une attaque sur la base du pouvoir rival, l’autoproclamé gouvernement d’union nationale installé à Tripoli dans l’Ouest, qui est reconnu par les Nations-Unies.
Le 4 avril dernier l’opération vers Tripoli est déclenchée : le maréchal a lancé ses troupes dans une offensive militaire qui sème le désarroi dans les rangs des diplomates tandis que les Nations-Unies appellent vainement à une trêve.
Au lendemain des élections de juin 2014, le pays s’était retrouvé divisé quand la Chambre des représentants s’était repliée à Tobrouk, alors qu’une alliance de dirigeants mettait en place un gouvernement concurrent à Tripoli. Cette rupture est le reflet de la scission historique entre la Cyrénaïque, à l’Est de Benghazi, et la Tripolitaine à l’Ouest. Mais le pouvoir est aussi divisé entre des villes essentiellement côtières, des tribus et des groupes armés, certains de tendance islamiste, d’autres non. Rien qu’à Tripoli, on recense au moins quatre milices en activité.
La seule institution qui fonctionne effectivement dans l’ensemble du pays est la National Oil Corporation, la compagnie pétrolière nationale, qui a peu à peu repris la production et reste la principale source de revenus.
Le maréchal Khalifa Haftar
Haftar s’est d’abord fait remarquer en tant qu’officier proche de Mouammar Kadhafi et a pris part au putsch qui a installé ce dernier au pouvoir en 1969. En 1987, il tombe en disgrâce, et passe les vingt années qui suivent en exil aux États-Unis, dont il revient en 2011 pour participer au soulèvement contre Kadhafi avec le soutien de l’OTAN.
Néanmoins, il parait plus animé du désir de rétablir la sécurité que la démocratie, ce qui évidemment n’est pas pour réjouir les forces mondialistes ayant conduit le pays dans cet abîme, pour mettre à bas un régime qui n’était pas particulièrement favorable au sionisme. Le « Guide de la révolution », Mouammar Kadhafi, avait longtemps défendu une vision proche du nationalisme arabe et tenté d’ériger une « alliance révolutionnaire dans le but de déjouer les intrigues impérialistes et sionistes ».
Haftar est accusé d’user de méthodes brutales pour écraser la dissension dans des villes comme Derna et Benghazi, et de protéger des officiers recherchés pour crimes de guerre par la Cour pénale internationale. Il est cependant parvenu à interdire l’Est libyen aux différentes milices islamistes et ses alliés en Égypte voisine espèrent qu’il ramènera la stabilité et mettra fin à l’influence des Frères musulmans.
L’irresponsable intervention franco-britannique
La Libye n’a pas de tradition démocratique, elle est passée du pouvoir colonial italien à une monarchie faible sous le roi Idris, puis à vingt ans de règne de Kadhafi. L’intervention militaire internationale, emmenée par le régime de Sarkozy pour la France et celui de David Cameron pour le Royaume-Uni, profitant de la confusion résultant des « Printemps arabes », ces révolutions colorées à l’orientale, a abouti à faire tomber le régime de Kadhafi.
Ce dernier avait pourtant opéré un infléchissement diplomatique, devenant un partenaire des partisans du Nouvel Ordre Mondial dans leur prétendue « guerre contre le terrorisme » après 2001. Il avait fait plusieurs gestes en leur direction pour tenter de sortir son pays de l’ostracisation : reconnaissance de la responsabilité dans l’attentat de Lockerbie ; lutte contre l’immigration clandestine vers l’Europe ; renoncement à son programme d’armement nucléaire ; libération des infirmières bulgares ; libération de prisonniers politiques… Khadafi en fut bien mal récompensé puisque le mandat donné par l’ONU pour l’intervention en Libye fut largement violé et dépassé : Khadafi fut tué en octobre 2011.
L’après Khadafi
Les efforts de l’OTAN pour former ensuite une « démocratie » unifiée ont évidemment échoué pour l’essentiel et en dépit d’un embargo, les armes ont proliféré. Et depuis 2011, en plus des affres de cette instabilité politique et sécuritaire, les civils subissent les conséquences d’une forte inflation et d’une devise en chute libre, ils connaissent des coupures de courant, des queues interminables et des violences sporadiques. Toutes choses qui avaient disparu sous le régime de Khadafi.
Et conséquence tragique pour l’Europe, comme un retour de boomerang : l’explosion de l’invasion migratoire vers notre continent ! Belle réussite de la « communauté internationale » qui a réussi à ouvrir ainsi un nouveau point de passage vers l’ancien monde au moment où elle poussait la Syrie dans la tourmente islamo-terroriste.
Comme la Syrie et le Yémen, la Libye paie le prix des rivalités régionales. La Turquie et le Qatar soutiennent clairement les forces de l’Ouest du pays, alors que les Émirats Arabes Unis, l’Arabie Saoudite et l’Égypte appuient l’Est. L’Italie, la France et les Nations-Unies ont défendu des plans de paix souvent concurrents, qui reflètent parfois des intérêts commerciaux.
Quant à la Russie, comme en Syrie mais sans prendre directement partie jusqu’à présent, elle profite du chaos engendré par les forces mondialistes pour proposer ses bonnes œuvres et avancer ses pions. Elle a patiemment construit ses relations avec le maréchal Haftar qui a déjà été reçu à deux reprises en Russie en 2016. Les géants Gazprom et Taftneft négocient avec la National Oil Company libyenne pour reprendre leurs activités interrompues en 2011 et Rosneft a déjà trouvé un accord pour investir dans le pétrole libyen.
Selon le résultat de l’opération militaire lancée par Haftar, le pays pourrait rester engagé sur une chancelante et chaotique voie tentant de faire cohabiter des institutions divisées sous l’égide de l’ONU, ou basculer au contraire dans une sorte de régime militaire comparable à l’Égypte. Avec, pour l’une ou l’autre hypothèses, les conséquences opposées que l’on peut imaginer non seulement sur la vie politique libyenne, mais aussi sur la sécurité en Méditerranée et les flux migratoires vers l’Europe.