En ébénisterie, le premier meuble réalisé garde toujours une certaine valeur, minimalement sentimentale, pour celui qui l’a façonné. On y voit les premiers essais, les premiers coups de rabot, les premières erreurs, mais aussi un style qui, souvent, s’esquisse en arrière-plan. Et puis, titre personnel oblige, bien que conscient de ses lacunes profondes, cet objet n’en est pas moins un trophée, un symbole de fierté : par celui-ci, nous nous sommes élevés, nous avons créé, nous sommes devenus. Ce travail marque une césure : il met fin au « avant » ; désormais, la technique et le style ne peuvent que se peaufiner.
C’est en gardant ces considérations en tête que j’ai lu Les Vacances, premier roman écrit par Robert Brasillach à l’âge de 19 ans, un âge où bien peu se lancent dans une telle aventure. Le roman est nécessairement imparfait et l’auteur lui-même n’hésitait pas à parler de « semble-roman », tant on n’y trouve qu’un long panorama de vacances estivales vécues par un duo d’amis, Jean et André, et de la petite bande de copains rencontrée à l’improviste. Aucune péripétie, aucun rebondissement : l’auteur suit les réflexions de ses protagonistes, prenant soin de ne jamais les brusquer ni les écorner.
Alors pourquoi lire ce livre? Le lirait-on si l’auteur n’était pas Brasillach? Bien sûr que non. Mais on ne le lit pas non plus par idolâtrie : on le lit parce qu’il permet de mieux comprendre l’auteur et son œuvre. Bref, si vous ne devez lire qu’un seul roman de Brasillach, évitez Les Vacances ; mais si vous l’avez déjà tout lu, ce texte sera bienvenu pour mettre en relief le reste de son œuvre.
On y découvre la matière première de Brasillach, ce qui fut jusqu’à Fresnes son innocence. C’est en ce sens que ce roman, demeuré inédit jusqu’à aujourd’hui, prend toute sa valeur. Il s’agit du premier jet d’un artisan, d’un artiste qui ne cessera jamais d’emprunter cette voie. Jamais il ne dérogera, même en peignant l’amour, à cette ligne de l’innocence, de la jeunesse candide qui ne le quitta pour ainsi dire jamais. Sa postérité a conservé les traits de cette enfance émerveillée dont il semblait toujours animé, malgré les années et un engagement politique fougueux.
Même l’amour, dans ce qu’il a de plus charnel, est abordé de façon naïve, à des milliers d’années-lumière de la pornographie soft qui envahit les rayonnages des grandes surfaces. Tout n’est que pureté sous la plume de Brasillach, et le désintéressement total des protagonistes n’a d’égal que leurs bons sentiments. Nulle mesquinerie, nul égoïsme chez ces petits bourgeois passant l’été à se prélasser : ils sont mus par l’amitié, la curiosité, le désir de plaire et d’autres sentiments difficilement condamnables.
Voilà peut-être l’un des griefs que l’on pourrait adresser à l’auteur, à moins, au contraire, de considérer que cette innocence omniprésente constitue précisément la plus grande force du roman : la possibilité de fuir quelques instants un monde miné par l’appât du gain, la recherche de plaisirs vénaux et la satisfaction constante des besoins primaires. On s’élève un moment en suivant ces jeunes gens, porteurs d’une jeunesse qui n’existe plus que dans les livres, évoluant dans une existence où la cupidité et la méchanceté n’ont aucune emprise.
Brasillach explore aussi le passage à l’âge adulte, thème central de Comme le temps passe. C’est la fin de l’insouciance, des camaraderies tissées au gré des circonstances, et l’entrée dans un monde plus morne, avec ses exigences, ses responsabilités et ses rêves perdus.
On découvre enfin, au fil des pages, un Brasillach grand lecteur. Comme le souligne Alain Lanavère dans son excellente postface, les références, emprunts et inspirations pullulent : style un peu proustien, figures empruntées à Jules Romains, passages paraphrasés de Giraudoux… Brasillach n’hésite pas à puiser ici et là dans les textes qui l’ont marqué. Ces appropriations relèvent moins du plagiat que d’une volonté de s’inscrire dans la continuité d’auteurs qu’il admirait.
Il est sans doute trop tard pour glisser cet inédit sous le sapin. Mais s’offrir à soi-même ce livre que Brasillach avait conservé précieusement malgré ses imperfections, c’est s’évader le temps d’une lecture dans la jeunesse même de l’auteur : une jeunesse ensoleillée, somme toute banale, tout en contribuant à permettre aux Sept Couleurs — maison d’édition des Amis de Robert Brasillach — de poursuivre leur devoir de mémoire, dans un monde où cette expression est trop souvent détournée.
Robert Brasillach, Les Vacances, Édition Les Sept Couleurs, 2025, 240 p.
Disponible sur Livres en Famille




























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