Le revirement est passé quasiment inaperçu. Il est pourtant spectaculaire. Le Front national a renoncé à sortir de l’euro et de l’Union européenne. On comprend mieux maintenant pourquoi Philippot a été poussé vers la sortie. Comme il voulait continuer à défendre la souveraineté nationale, et donc la souveraineté monétaire, il n’était plus persona grata dans un parti qui devient tout à coup européiste, euroréformiste. Depuis la défaite de Marine Le Pen à la présidentielle, on sentait une évolution du discours de certains dirigeants et de la présidente du mouvement sur la question de l’euro et de l’Union européenne. Convaincus qu’ils avaient perdu l’élection à cause de leurs positions européennes, ils ont décidé de changer de discours et de convictions. Ce qui démontre un cynisme tout à fait méprisable. Car lorsqu’on est convaincu d’avoir raison sur une question que l’on juge essentielle, on ne change pas tout à coup de discours à 180 degrés au motif que sa position n’est pas majoritaire ou qu’elle suscite ici et là de fortes oppositions ou des incompréhensions. On s’attache à mieux l’expliquer, à davantage la défendre, on s’emploie à convaincre en travaillant sur la qualité de l’argumentaire mais on ne capitule pas en rase campagne. On ne change pas de programme ou de doctrine parce que le chef a raté un débat crucial. C’est le chef qu’il faut changer, pas le programme. Ce n’est pas parce que la poissonnière Marine Le Pen a été incapable d’être claire, cohérente et convaincante sur la sortie de l’euro et de l’Union européenne, sujets que manifestement elle ne maîtrise pas ni n’a jamais maîtrisés, que le Front national doit se convertir à l’européisme bruxellois.
Et pourtant c’est bien ce qui est en train de se passer. Dans son discours de Poitiers, le 1er octobre, Marine Le Pen a insisté sur le fait que son parti était européen, ce qui dans le cadre de l’actuelle construction européenne est pour le moins équivoque, et surtout elle a appelé à un traité simplifié, comme Sarkozy l’avait fait pendant la campagne présidentielle de 2007. On a vu ce que cela a donné : le traité de Lisbonne négocié dans le dos des peuples et trahissant le non des Français à la Constitution européenne en 2005. Parler de renégociation des traités européens, de réforme de l’intérieur de l’Union européenne, comme se met à le faire tout à coup le Front national, est un leurre et un mensonge. Voilà trente ans que tous les gouvernements, de droite comme de gauche, nous font le coup. Jospin se faisait fort de renégocier le traité d’Amsterdam, Hollande le traité de Lisbonne, Sarkozy voulait réformer Schengen. Aucun de ces trois politiciens, une fois aux responsabilités, n’a changé quoi que ce soit. Tout simplement parce que les règles de fonctionnement de l’Union européenne rendent toute renégociation, toute réforme impossible puisqu’il faut l’accord préalable et explicite des vingt-huit pays de l’UE. Tout nouveau traité doit en effet être validé par les Parlements de tous les États membres de l’Union ou par référendum dans les pays où la Constitution le prévoit. Autant dire que c’est une procédure longue, complexe, pleine d’embûches qui garantit l’immobilisme. Et on a vu avec le référendum de 2005 comment la volonté des peuples était contournée et bafouée quand elle n’allait pas dans le sens des eurocrates bruxellois. PLUS FONDAMENTALEMENT, on ne voit pas comment on peut mener une politique nationale dans le cadre de l’Union européenne. Comment mener une politique indépendante sans maîtrise de ses frontières, de ses lois, de son budget, de sa monnaie ? Comment maîtriser voire inverser les flux migratoires sans rétablissement des frontières nationales, et donc sans sortie de l’Union européenne ?
En affirmant qu’on restera dans cette structure destructrice de la souveraineté, de l’identité et de la liberté des nations qui la composent, on s’interdit dans les faits de mener une politique alternative. On ment aux Français en leur faisant croire que dans ce cadre supranational on pourra agir conformément aux intérêts nationaux, au bien commun et qu’on pourra sauver la France du désastre. Dans Valeurs actuelles du 12 octobre, Marine Le Pen déclare ouvertement que la sortie de l’euro et de l’Union européenne n’est plus « un préalable ». Autrement dit ce projet est bel et bien enterré. D’ailleurs, ajoute la présidente du FN, « dans de nombreux domaines, on peut améliorer la vie quotidienne des Français sans quitter l’Europe ni l’euro ». Elle tenait un discours radicalement différent pendant la campagne présidentielle : elle promettait alors un référendum sur la sortie de l’Union européenne. Et si les Français répondaient «non», elle prévoyait de quitter le pouvoir. « Je partirai parce que si le résultat est «non», à peu près 70 % de mon projet ne pourrait pas être mis en œuvre », affirmait-elle en mars sur Europe 1. C’est dire à quel point cette sortie de l’UE était pour elle capitale. Elle conditionnait la réussite de son projet pour la France au point qu’elle promettait de quitter l’Elysée si les Français ne la suivaient pas dans sa volonté de Frexit. Qu’en l’espace de quelques semaines on change à ce point de discours, sans explication, que l’on dise même tout à coup le contraire de ce que l’on a professé avec une tranquille assurance est d’une parfaite indignité intellectuelle, politique et morale. C’est d’une insupportable démagogie. Car de deux choses l’une : soit la sortie de l’Union européenne et de l’euro n’était pas nécessaire, et alors on s’est trompé pendant des années en faisant de ces mesures l’alpha et l’oméga du programme du FN, soit elle est indispensable pour recouvrer notre indépendance et notre souveraineté — ce qui est évidemment le cas — et c’est un reniement de plus à mettre au passif de Marine Le Pen. En toutes hypothèses, ce soudain et brutal revirement démontre l’affligeant amateurisme et l’absence de conviction, de colonne vertébrale et de cohérence de la présidente du FN.
Avant qu’il ne se convertisse au marinisme alimentaire, Nicolas Bay avait dénoncé en 2004 « le vide doctrinal sidéral » de Marine Le Pen. On en a en ce moment une manifestation particulièrement spectaculaire. Voilà qu’elle abandonne l’un des rares points du programme historique du FN auquel elle semblait être restée fidèle. Et elle le renie essentiellement à cause de sa piètre prestation le 3 mai dernier face à Macron ! Voilà à quoi se joue la défense de la souveraineté nationale. L’incompétence et l’insuffisance de Madame Le Pen conduisent le parti à se renier, à trahir son ADN et à se saborder. Il est logique dans ces conditions qu’il change de nom. S’il n’est plus national, il n’a plus à s’appeler Front national. Mais que tout cela est consternant !
VINGT-CINQ ANS après le RPR qui devint définitivement européiste au moment du traité de Maastricht sous la houlette de Chirac, Balladur et Juppé alors qu’il se faisait fort de défendre jusque-là l’indépendance nationale (que l’on songe au fameux discours de Cochin du 6 décembre 1978), voilà que le FN abandonne à son tour la défense de la souveraineté nationale. Sans l’avouer ni l’assumer pleinement. En usant de stratagèmes, de dérobades et de circonvolutions. En mentant sur le sens des mots. A l’instar des dirigeants du RPR de l’époque. Mais c’est la même trahison, la même forfaiture. Au lieu de résister à la pensée unique, on choisit l’esprit de facilité et d’abandon. Celui qui souvent permet aux traîtres de faire carrière en récompense de leur crime mais qui conduit inexorablement notre nation et notre peuple à l’abîme.
Éditorial de Rivarol n° 3301 du 18/10/2017
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