Un témoignage de l’action policière et judiciaire contre de jeunes français scandalisés par le meurtre de Thomas à Crépol, interpellés quelque part en France en collant des affiches « Thomas tué par des barbares »…
Tout commence avec le meurtre du jeune Thomas. Un jeune français de 16 ans, qui sort aux bals de villages, c’est exactement moi il y a dix ans. Autant vous dire que je me suis vite identifié à lui et ai été particulièrement révolté.
Ne faisant partie d’aucun mouvement, mes possibilités sont limitées. Je trouve en ligne un modèle d’affiche que j’imprime en quelques centaines d’exemplaires, j’achète de la colle et des pinceaux dans un magasin de bricolage, et je convaincs quelques amis de se joindre. On se retrouve donc dans un bar en attendant que tout le monde arrive, et l’on part coller. Deux heures à sillonner la ville pour coller nos affiches.
Vers 23h30, la Police nous tombe dessus. On est pas des racailles, on coopère, on reste polis et on ne résiste pas. On s’attend à un simple contrôle d’identité et une confiscation du matériel de collage.
Finalement ça part en GAV, on pense être libérés très vite, au pire le lendemain matin. Je n’ai donc pas prévenu ma famille, mais seulement mon travail.
Première fois en cellule, je découvre sans joie ma résidence pour les 2 nuits à venir.
C’est assez propre malgré une odeur persistante d’urine. Il fait froid, je perds vite la notion du temps qui passe, et je m’ennuie. Je dors, il n’y a que ça à faire. Heureusement, j’avais prévu des vêtements chauds. Je sais que certains de mes camarades ont souffert du froid, de leur côté. Au matin, deux petits beurres et un jus de pomme, et je pars en audition.
On me demande alors si j’ai pris part à la manifestation interdite qui avait lieu peu avant notre collage, dans le centre de la ville. Je comprends alors le lien qu’ont fait les policiers, sauf que non, on y était pas. Je réponds tout de même aux questions ; responsable de notre action, je cherche à prendre sur moi. Il y a avec nous des garçons de moins de vingt ans, et aussi un jeune papa. Je veux leur éviter de finir connus de la justice pour ça.
On me reproche donc « incitation à la haine » et « dégradation de biens privés ».
Je vous laisse juger par vous-même. Aucune communauté n’est ciblée sur nos affiches, mais peut-être que certains se sont sentis offensés par le terme « barbares » ?
On me soumet ensuite au fichage ; photos sous différents angles, prise d’empreintes, photos de mes tatouages, relevé ADN, tout y passe. On me demande de déverrouiller mon téléphone, sachant que refuser serait une infraction de plus. Je n’ai donc pas vraiment le choix
Les auditions s’enchaînent toute la journée, ce qui me permet de me dégourdir les jambes en dehors de ma cellule et d’apercevoir un peu de soleil. Dès que possible, je demande l’heure qu’il est. Perdre la notion du temps est déstabilisant, j’ai besoin de repères.
Les enquêteurs décident une perquisition de ma voiture. Ils y trouvent une bombe lacrymogène que je gardais par sécurité. D’ailleurs, durant le collage, des voitures sont passées au ralenti et leurs occupants nous ont lancé des regards noirs. Cette bombe est le minimum syndical. Bien entendu, ils se foutent de cet argument. Pourtant, la plupart des femmes que je connais en ont une dans leur sac à main, surtout en ville. On se demande pourquoi.
À mes délits s’ajoute donc le « transport non autorisé d’armes de catégorie D » (un pschitt non létal, en gros.)
Perquisition de mon domicile : les policiers saisissent deux fusils que je possède dans le cadre du permis de chasse. Tout est en règle, ils embarquent chaque document pour trouver la moindre faille, mais hélas, je suis un bon citoyen
Blague à part, je suis très gêné par la fouille de mon domicile. Je leur dit de toute bonne foi qu’il n’y a rien à trouver, et en effet, hormis mes fusils (en règle), ils ne prennent rien. Sauf un petit couteau, qui n’apparaît sur aucun PV. Je me demande lequel l’a gardé.
C’est le mardi soir vers 18h que l’on m’annonce la prolongation de ma GAV. Je demande donc à voir un avocat et à pouvoir prévenir ma famille. On me dit que l’OPJ viendra me voir pour ça. Il n’est jamais venu. Je touche à peine à l’infâme barquette de poulet-curry ce soir là
Moralement c’est très dur ; ma famille ne sait pas où je suis ni ce qui m’arrive, et je commence à m’imaginer la pire issue possible, tout ça pour des affiches. Je pense à ma copine qui doit se demander pourquoi je ne réponds pas à ses messages, je pense aux copains dont j’ignore s’ils sont toujours enfermés aussi. La nuit est très difficile.
Mercredi matin, je suis réveillé vers 6h par le bruit métallique du verrou de ma cellule. On m’annonce que je vais être déféré devant un procureur, et je n’ai pas la moindre idée de ce que ça veut dire.
J’explique au policier que je n’ai toujours pas pu prévenir mes proches, et il accepte de passer un coup de fil à mon père, ce dont je lui suis reconnaissant.
Puis on me sort de ma cellule, et ce sont des policiers suréquipés qui m’escortent cette fois. Je suis menotté, et je retrouve le conducteur de l’autre voiture qui a aussi passé une deuxième nuit ici. Nous allons partir ensemble au tribunal, et apprenons que nos amis sont sortis la veille au soir. Je vous passe le trajet en compagnie d’autres prévenus moins agréables…
Après passage au tribunal, maintenant libre, je m’en sors avec une grosse amende.
Pour aller plus loin :
La garde à vue : comment s’y préparer, comment réagir ? par Me Bonneau et Me Belot
J’ai connu. Moi, je n’avais pas même eu droit à seulement un café. Je suis étonné, à la lecture de ce récit, que son auteur – notre ami – se soit vu servir « deux petits beurres et un jus », puis une « barquette de poulet-curry ».
Les flics, il est vrai, lui devaient bien ça. Ils ont bien bossé et le mal est fait : le coup de fil à l’employeur, et c’est l’avenir professionnel de notre ami qui est hypothéqué ; les fusils de chasse trouvés, et c’est l’inscription prochaine au FINIADA.
Dans un article récent, on parlait de ces blancs qui sont nos pires ennemis. La seule question que je me pose encore, moi, à ce propos, c’est de savoir lesquels sont les pires parmi ces compatriotes blancs qui sont nos ennemis : les hommes politiques ? les journaleux ? les juges et procureurs ? ou les simples flics ?…