La plus haute juridiction criminelle de la République a encore amoindri une décision de justice déjà très particulière rendue par la cour d’appel de Saint-Denis de la Réunion, au profit d’un certain « José X. ». Ayant exercé illégalement l’activité de mutuelle à la Réunion, le prévenu n’a pas été condamné, pour des motifs qui laissent vraiment songeurs : la décision rendue par les juges s’apparente au fameux « responsable mais pas coupable » employé par Georgina Dufoix pour justifier sa relaxe dans l’affaire du sang contaminé.
Dans un style qui nous tirerait presque une larme, une raison culturelle est invoquée, à propos d’une terre pourtant très fortement métissée et donc aux usages culturels raisonnablement trop hétérogènes pour être qualifiés d’emblée de « réunionnais » et encore moins de « forts » :
« M. X., bien qu’auteur de l’infraction reprochée, est l’héritier d’une culture réunionnaise forte soudée par la solidarité familiale et réunie autour des morts ; il a agi dans la présente affaire […] avec cœur et un dévouement total aux membres de son association ».
Si toutes les familles unies et qui respectent leurs morts peuvent créer une mutuelle sans autorisation, qui ne le pourrait pas ? Pourquoi conserver cette loi ? Puis, en contradiction autant avec les principes juridiques quant au discernement qu’avec l’argument suivant dans le même paragraphe de ce même arrêt (!) :
« certes sans discernement suffisant, […] il est conscient du nécessaire respect des textes et a toutes les capacités pour régulariser la situation administrative de l’association […] compte tenu de ces éléments, […] il convient de le dispenser de peine »
Ceci nous amène à poser de nouvelles questions.
Tout d’abord, si Monsieur X. est tellement « conscient » et « capable », ce retraité n’entre donc ni dans le cas du mineur (pas encore majeur, donc encore moins retraité), ni dans le cas de l’aliéné mental relevant de la psychiatrie, les deux seuls cas où l’absence de « discernement suffisant » peut être retenu. Alors, les mots ont-ils un autre sens, dans la « culture réunionnaise forte » ?
Par ailleurs, pourquoi prendre cette décision, sinon à vouloir appliquer un traitement de faveur et créer ainsi une jurisprudence sur mesure pour les Réunionnais « héritier[s] d’une culture forte » qui semblent ne pas devoir respecter la loi, pourtant d’application générale (la même loi pour tout le monde, gage de la fameuse « égalité », sous-entendu, « devant la loi ») ?
Enfin, pour tenter de le disculper complètement, les juges ont insisté sur le fait que l’intéressé n’a pas recherché de profit (en oubliant, au passage, que réaliser cette activité sans autorisation lui aura permis de réaliser des économies… avantage pécuniaire au même titre que… le profit !).
Mais l’argument avancé peut apparaître, là encore, comme fallacieux et source d’une nouvelle contradiction interne (!) à cette décision de justice. En effet, l’absence de recherche de profit est, justement, partie intégrante des éléments qui caractérisent une activité mutualiste, ainsi, s’il y a du surplus une année, on peut diminuer les cotisations l’année suivante, au lieu de distribuer des dividendes à des actionnaires, comme le feraient des sociétés financières sous la forme anonyme.
Donc, en toute logique, ceci aurait dû amener à condamner Monsieur X. pour la pratique de cette activité effectivement mutualiste (et étroitement réglementée pour en protéger les mutualistes), sans même en avoir demandé l’autorisation et encore moins en l’ayant obtenue.
Alors, certes, Monsieur X. n’avait jamais été condamné, ce qui a évidemment joué en sa faveur. Après cette affaire, nous pouvons même ajouter qu’il n’a toujours pas été condamné (profitant d’une décision plutôt hallucinante).
Pourtant, il a bien commis des faits pénalement répréhensibles, théoriquement, à hauteur de trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende, quand même !
Pire, il avait été prévenu par la préfecture du risque auquel il s’exposait, mais n’en a tenu aucunement compte.
Pour rappel, le candidat François Hollande avait promis d’être « généreux avec l’argent des autres ». Cet arrêt judiciaire, qui laisse sceptiques nombre de professionnels du droit, semble le confirmer.
Finalement, ce qui s’apparente à un traitement de faveur peut même amener à se demander si « l’égalité républicaine » ne signifierait pas que certains seraient considérés comme plus égaux que « les autres » ?
Sachant que les autres, c’est nous : ceux qui doivent respecter la loi, par exemple, sur les mutuelles car ils n’ont pas la chance d’avoir une « culture réunionnaise forte ».
Sources :
–commentaire de la revue juridique spécialisée Dalloz (en cache) ;
–décision de la Cour de cassation (pdf).