Début novembre, l’affaire des « Paradise papers » a fait la Une des journaux. Il s’agit d’une enquête menée par le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ) et ses 96 médias partenaires de 67 pays, s’appuyant sur une fuite de documents initialement transmis anonymement, en 2016, au quotidien allemand Süddeutsche Zeitung. Elle met au jour une partie des mécanismes sophistiqués « d’optimisation fiscale » dont profitent les multinationales et les grandes fortunes mondiales. Evidemment, ce genre de révélation exhale des parfums de scandale et tend à attiser légitimement les ressentiments des peuples contre la superclasse mondiale et ceux que l’on appelait il y a peu encore « les capitalistes ».
Ce qui intéressera nombre de personnes est l’aspect « ragot » desdites révélations : les placements de la reine d’Angleterre, la succession sans fin du compositeur Maurice Ravel passant par des sociétés écran, la propriété anglaise, sous le couvert d’une société prête-nom, de l’homme d’affaire Bernard Arnaud etc..
Cela dit, nous n’aurons fait qu’enfoncer une porte ouverte : ce qu’on appelle « optimisation fiscale », « fraude fiscale » relève d’un processus naturel dans la mesure où, l’impôt étant une contrainte, tout un chacun s’efforce, avec ses moyens, de s’y soustraire, petitement ou grandement. En outre, il est une réalité : comme l’écrivait le physiocrate Quesnay en 1767 : « les fortunes pécuniaires sont des richesses clandestines qui ne connaissent ni roi ni patrie » (Maxime XXIX). L’argent se rit des frontières et les affairistes, de tous temps, le savent fort bien.
Comment ce phénomène, en quelque sorte naturel aux choses d’argent, ne pourrait-il pas se développer vertigineusement alors que nous vivons dans un monde où tout est fait pour abolir les frontières, faciliter la circulation des capitaux, bref dans un monde où la seule valeur qui compte est celle de l’argent, dans lequel l’homme est réduit à l’état d’un quantum d’énergie exploitable et estimé à un certain coût de revient financier ? Cela est encre aggravé par le fait que Mammon régnant, la transcendance étant un principe oublié, ignoré, au point où l’inversion des principes fondateurs de l’ordre naturel est devenu la norme (im)morale, il est vain et surtout incongru de vouloir parler de principe moral en incriminant ceux qui pratiquent évasion et/ou fraude fiscale. Il est illogique d’avaliser et légaliser d’un côté des comportements contre nature, subversifs, tels l’avortement ou les pratiques homosexuelles et de s’offusquer de ce que des sociétés et des gens fortunés tentent de se soustraire à une fiscalité qui, souvent comme en France, atteint des taux insupportables et confirme à la spoliation : l’ISF, les droits de succession en sont des aspects les plus visibles.
Mais poursuivons. Les gouvernements poussent des cris d’indignation contre la fraude fiscale et la « communauté internationale » », à savoir la communauté des mêmes, face au manque à gagner qui résulte de ce jeu de cache-cache avec les agents du fisc de chacun des Etats ; or, ils sont eux-mêmes les organisateurs des règles fiscales qui permettent à tous ces gens d’optimiser leur fortune ! Ne se moque-t-on pas de nous ?
N’y a-t-il pas une hypocrisie lorsque l’on voit les Etats de l’U.E., le gouvernement britannique se plaindre de ces pratiques tandis qu’ils laissent perdurer des « paradis fiscaux comme l’île de Man, Jersey, Monaco, le Luxembourg, le Lichtenstein pour rester dans la seule Europe ? Que l’on ne nous dise pas qu’ils ne peuvent rien faire : lorsque l’U.E. impose à ses Etats membres 80 pour cent de leur législation, le calibrage des pommes et des abricots, elle est aussi en mesure de mettre fin à ces dénommés paradis fiscaux, pour peu qu’il y ait une volonté.
Lorsque l’on sort d’Europe et que l’on cite les paradis fiscaux des îles Caïmans, des Seychelles, des Bermudes et autres, il suffirait, même si c’est plus compliqué, de mettre en place une force internationale de contrôle : cela irait même dans le sens de leur « gouvernance mondiale ». Mais rien de sérieux n’est entrepris en ce sens. Une « liste noire » des paradis fiscaux a certes été élaborée mais, six mois après y avoir été inscrits, Jersey et Les Bermudes en ont été retirés, ce qui suggère l’action de puissants groupes de pression politiques et financiers.
A ce propos, revenons sur la distinction évasion et fraude fiscales. La différence réside entre ce que la première se fait selon les règles légales en vigueur, la seconde en les contournant. Il y a une fraude permise et une autre qui ne l’est pas. C’est très spécieux. Quant à l’optimisation fiscale, il est évident que les personnes et sociétés qui le peuvent, s’efforcent de jouer des failles des législations et des avantages comparatifs de fiscalités nationales. Cela fait vivre d’ailleurs grassement des armées de « lawyers » et autres avocats d’affaires.
Par ailleurs, en France par exemple, que vaut la lutte officiellement déclarée contre la fraude fiscale lorsque la décision d’engager des poursuites à l’encontre d’un présumé fraudeur relève d’un monopole du ministre du budget, appelé « verrou de Bercy », un procureur ou une partie civile ne pouvant rien faire ?
Ce qui dérange, c’est que plus on est riche, plus il est aisé de se soustraire à la fiscalité. Autrement dit, comme toujours, ce sont les classes moyennes, celles qui ne peuvent se délocaliser, qui sont les victimes de la fiscalité et paient pour ceux qui, légalement partent à l’étranger. Nos nations s’en trouvent fragilisées et cela est grave.
Justement, au-delà de l’hypocrisie pratiquée, cette situation concrétise la lutte en cours entre des entités apatrides et les Etats. Les premières ont un avantage sur les seconds en ce sens qu’elles se jouent de leurs frontières : elles disposent d’une quasi liberté totale d’action face à des Etats qui sont incapables les soumettre à l’intérêt national, soit par soumission à l’idéologie ultra libérale, soit parce que leurs dirigeants sont liés à cette super classe mondiale apatride qui bénéficie de cette évasion fiscale.
Les problèmes de nomadisme fiscal existeront certes toujours, mais ils résultent, dans leur ampleur actuelle, de ce que les dirigeants du monde occidental, encore dominant à l’échelle planétaire, créent les conditions de sa prolifération. Corrélativement, il appartient aussi aux Etats de ne pas développer des législations fiscales asphyxiantes pour tenter de financer des dépenses elles-mêmes grandissantes qui, par leur ampleur sont le signe de sociétés matérialistes, décadentes : l’Empire romain, dans sa dernière période, souffrait de cet étatisme étouffant qui n’a pas peu contribué à son effondrement.
Rétablissement spirituel, mise hors d’état de nuire des ennemis des nations, voilà les premiers remèdes que les peuples de civilisation européenne doivent appliquer pour guérir des maux qui ne sont que l’écume de l’ordre actuel du monde, éminemment subversif et satanique.
Éditorial de Militant n° 698 de Novembre 2017
Achat et abonnement : Revue Militant