Alors qu’on attend toujours les résultats et les preuves un tant soit peu convaincantes des ingérences et manipulations russes atour du globe (dans des scrutins ou des opérations de désinformation), d’autres enquêtes avancent dont les ramifications arrivent jusqu’en France, concernant des journalistes de médiats grand public et des politiques. Mais elles reçoivent moins l’attention de « nos » médiats « français ». Et pour cause, serait-ce parce que les origines corruptrices pointent plutôt vers des citoyens israéliens et anciens agents de renseignement de l’Entité sioniste que vers la grande Russie ? Coup de projecteur, donc, sur les avancées des investigations autour de la « Team Jorge » et de Rachid M’Barki (ancien employeur BFMTV).
Dix mois après les révélations le concernant, Rachid M’Barki, ancien journaliste vedette à BFMTV et dont la famille est d’origine marocaine, a été mis en examen le 8 décembre 2023, pour abus de confiance et corruption privée passive. Il est accusé d’avoir diffusé pendant plusieurs mois à l’antenne de la chaine du groupe Altice Media de l’oligarque Drahi et dirigée par Marc-Olivier Fogiel, des contenus « non validés par sa hiérarchie », sous l’influence d’une puissance étrangère.
La justice considère aujourd’hui litigieuse une douzaine de brèves diffusées par la chaine lors des journaux de la nuit lorsque M’Barki en était aux commandes.
Après les premières révélations de l’affaire en début 2023, M’Barki avait admis avoir fait passer à l’antenne des images fournies par un « informateur », Jean-Pierre Duthion, mais jurant qu’il n’a « à aucun moment l’impression (…) qu’il pouvait travailler pour quelqu’un qui essayait de manipuler une information ». Jean-Pierre Duthion n’est pas totalement inconnu dans l’univers des médias : entrepreneur expatrié en Syrie de 2007 à 2014, il y relatait la vie quotidienne à Damas où il servait aussi de correspondants à de nombreux reporters étrangers envoyés sur place.
Duthion, mis en examen aussi, a aussi tout récemment reconnu être à l’origine de la diffusion des informations contestées sur BFM TV, tout en relativisant les faits : « BFM TV est devenu l’agneau sacrificiel, nous a-t-il dit. On est en train de découvrir que des agences de com’ dont l’objectif est de placer des sujets, arrivent à faire leur travail. »
Affirmant au départ ne pas avoir payé le journaliste et ne rien savoir du commanditaire, il a finalement reconnu devant le juge d’instruction le 12 décembre avoir rémunéré l’ex-journaliste de BFM-TV Rachid M’Barki avec des enveloppes de billets et un virement de 2 000 euros. Faits reconnus par M’Barki lors de sa garde à vue du mois de décembre dernier :
« Il m’est arrivé de recevoir des sommes d’argent (…) Oui, je reconnais les faits de corruption passive », a-t-il déclaré, une somme qu’il évalue entre « six et huit mille euros » en liquide, selon Le Monde.
L’enquête de « Forbidden Stories »
Le point de départ de l’affaire est une enquête internationale d’un collectif de journalistes « Forbidden Stories » publiée en février 2023, suivie d’une plainte de BFMTV à la suite de ces révélations.
L’enquête journalistique concerne plus globalement les activités d’une société israélienne, « Team Jorge », spécialisée dans la désinformation au profit de différents clients, dont des États.
Jeune Nation en avait rendu compte à l’époque : #TeamJorge 1ère partie : l’officine israélienne reine de la manipulation des réseaux et des élections. Au profit de QUI ? et : #TeamJorge 2ème partie : l’éthique en toc du journaliste de BFMTV Rachid M’Barki
Depuis lors, les investigations en France ont progressé et les révélations également.
Aujourd’hui, l’information judiciaire s’intéresse a minima à deux autres hommes : « le politologue spécialiste du Qatar Nabil Ennasri, mis en examen et placé en détention provisoire en octobre, ainsi que le député écologiste Hubert Julien-Laferrière, dont le bureau a été perquisitionné à la fin de septembre mais qui n’a pas encore été entendu. Le premier est soupçonné d’avoir été l’agent d’influence de la monarchie qatarie et le second d’avoir fait la promotion d’une cryptomonnaie contre d’éventuelles contreparties. » (Le Monde)
Qui ont été les cibles de la « Team Jorge » ?
À l’étranger, les pistes se sont avérées multiples et témoignent des nombreuses ramifications et interventions de la « Team Jorge » tout autour du globe, monnayant ses services de désinformation dans le secret des affaires
Wikipedia énumère les dossiers et interventions de la firme israélienne :
- promouvoir le nucléaire en Californie ;
- promouvoir le président sénégalais Macky Sall afin qu’il soit réélu,
- dénigrer des personnes, dont par exemple George Chang, homme d’affaires hongkongais propriétaire de 90 % du port du Panama, ou Xavier Justo, lanceur d’alerte suisse (ayant révélé un vaste scandale de corruption et de détournement massif d’argent en Malaisie)
- « produire » des « kompromat » comme par exemple en faisant livrer au domicile de l’épouse d’un opposant politique des sextoys commandés sur Amazon, par un avatar informatique nommé Shannon Aiken supposément être une « jolie blonde », la situation laissant l’épouse imaginer un adultère,
- dénigrer des instances gouvernementales, par exemple, en 2021, avec une attaque concertée d’avatars d’AIMS contre l’agence de sécurité sanitaire britannique, car elle avait ouvert une enquête sur un laboratoire accusé d’avoir fourni environ 43 000 faux résultats négatifs de test Covid à ses patients,
- défendre des personnes poursuivies par la justice, par exemple, en 2020, « Team Jorge » a utilisé un grand nombre d’avatars pilotés par son progiciel AIMS pour soutenir Tomás Zerón alors qu’il était sous le coup d’un mandat d’arrêt international dans le cadre d’une enquête sur la disparition, en 2014, de 43 étudiants. Cet ancien haut-fonctionnaire mexicain est accusé d’avoir contribué à l’achat du logiciel espion Pegasus par les autorités mexicaines, et d’avoir, quand il était directeur de l’agence chargée des enquêtes criminelles de 2013 à 2016, pratiqué des enlèvements, la torture et des falsifications de preuves. En 2023, cette personne est réfugiée en Israël (où les autorités ne veulent pas l’extrader)
- truquer, (ré)orienter les résultats de référendums (dont celui qui a conduit au Brexit) ou d’élections, en modifiant les opinions de potentiels votants prêts à changer d’avis. Ainsi « Team Jorge », serait intervenu dans 33 campagnes présidentielles, dont 27 ont eu des résultats en faveur de la faction qui l’avait embauché ; ou encore une cyberattaque, en 2019, contre le comité central des élections d’Indonésie, attaque censée provenir de Chine pour des raisons politiques ; des médias (dont Bloomberg) ont effectivement rendu compte de l’attaque de mars 2019, en la présentant comme étant probablement une ingérence d’origine « sino-russe » ; « Team Jorge » a piraté les courriels du chef d’état-major de Trinité-et-Tobago et divulgué un document pour provoquer une crise politique, transmis de fausses informations à un journaliste d’ABC pour influencer l’élection présidentielle vénézuélienne de 2012 contre l’ancien président Hugo Chávez, a mené une campagne en 2022 affirmant que le Front Polisario a des liens avec le Hezbollah et l’Iran, et une autre campagne en 2022 diffamant Ali Bin Fetais Al-Marri, l’envoyé de l’ONU pour la lutte contre la corruption,
- pirater des comptes de réseaux sociaux et des boites mail : par exemple, le compte Telegram de Dennis Itumbi, alors qu’il gérait la stratégie numérique de William Ruto lors des élections générales kenyanes de 2022 ; Itumbi a ensuite confirmé au journal The Star que son compte Telegram avait été infiltré et qu’il avait remarqué une « activité accrue » à l’approche des élections kenyanes. Itumbi et son collègue Davis ChirChir (chef de cabinet de Ruto) ont pour leur part été accusés, après les élections, d’avoir utilisé des hackers pour manipuler les résultats de la présidentielle, puis blanchis par la Cour suprême, qui a finalement considéré que les supposées preuves de cette accusation étaient falsifiées.
Qui sont les responsables de la « Team Jorge » ?
Laissons la parole encore à Wikipedia :
- Tal Hanan et son frère Zohar Hanan, dit Nick, qui se présente comme spécialiste du détecteur de mensonges, qui serait le directeur général de Team Jorge ;
- Mashi Meidan, ancien patron, dans les années 2010, d’une société de sécurité israélienne installée au Panama, et peut-être un ancien membre du Shin Bet ou Shabak (Renseignement intérieur israélien). Ses avocats affirment qu’il a « travaillé pour le gouvernement israélien jusqu’en 2006,
- Shuki Friedman, également un ancien du renseignement intérieur israélien, responsable durant plusieurs années du renseignement à Ramallah, en Palestine,
- Yaakov Tzedek, qui préside Tzedek Media Group, et se dit « expert du numérique et de la publicité » depuis plus de dix ans.
Quant à la question peut-être la plus importante et la plus croustillante, qui sont les clients de la « Team Jorge », son répertoire « clients », ont attend toujours.