Une entreprise israélienne a manipulé 33 élections dans le monde. L’officine sans existence légale, baptisée « Team Jorge » du pseudonyme de l’un de ses dirigeants, Tal Hanan, est composée d’anciens membres des services de sécurité israéliens, selon le collectif « Forbidden Stories ». « L’enquête conduite par la cellule investigation de Radio France, avec le consortium, révèle qu’Israël est devenu une place forte du marché mondial de la désinformation » (Radio France)
C’est ce consortium, regroupant les journalistes de 30 médiats, qui avait fait éclater en 2021 le scandale du logiciel espion Pegasus, conçu par la société israélienne NSO Group et qui aurait permis d’espionner des dizaines de milliers de personnes, dont de hauts responsables, à travers le monde. Trois journalistes du groupe se sont fait passer pour des clients potentiels pour récolter pendant plusieurs mois des informations sur la « Team Jorge » qui a affirmé aux journalistes avoir « agi dans 33 campagnes électorales au niveau présidentiel ».
Ces anciens membres des services de sécurité israéliens ayant intégré l’officine « Team Jorge » ont aussi recours à l’espionnage de personnages clés, notamment en les plaçant sur écoute, ou au piratage. Elle peut aussi procéder à des actions d’influence, de lobbying auprès de décideurs ou de journalistes pour le compte de ses différents clients.
Le chef de l’entreprise, « Jorge », semble avoir mené au moins une partie de ses opérations de désinformation par l’intermédiaire d’une société israélienne, Demoman International, qui est enregistrée sur un site Web géré par le ministère israélien de la Défense (qui n’a pas réagi pour l’instant).
Le maître d’œuvre de ces opérations se fait aussi appeler “Michael”, “Joyce Gamble” ou “Coral Jaime”. Il dispose de plusieurs adresses email et de numéros de téléphones dans différents pays. Mais il se nomme en réalité Tal Hanan. Il est à la tête de deux sociétés opérant dans la sécurité et le renseignement : Sol Energy et Denoman. Sur le site internet de cette dernière, il est décrit comme un spécialiste des explosifs ayant servi dans les forces spéciales de l’armée israélienne et comme ancien officier de liaison de Tsahal, auprès du commandement des forces spéciales de la sixième flotte des États-Unis. Selon sa biographie, il aurait aussi “commandé des opérations de protection des cadres à haut risque au Mexique, en Colombie et au Venezuela, et dirigé des programmes de formation en matière de lutte contre le terrorisme… pour le gouvernement américain”. Titulaire d’un diplôme en relations internationales de l’Université hébraïque de Jérusalem, il est présenté comme “un conférencier très recherché qui a fait des exposés devant le Congrès américain, de nombreux gouvernements étrangers et des sociétés internationales”.
Pour se livrer à ses petites activités subversives « Team Jorge » utiliserait un logiciel à louer nommé Aims (Advanced Impact Media Solutions). Le concept : des milliers de faux profils coordonnés sur les principaux réseaux sociaux, à savoir Twitter, LinkedIn, Facebook, Telegram, Gmail, Instagram et YouTube…
La méthode est simple, mais très efficace, car elle est coordonnée : des faux profils qui peuvent répandre des messages et commentaires allant dans le sens voulu par les clients de « Jorge », que ce soit à l’encontre d’un gouvernement ou d’un projet de loi, mais aussi d’institutions ou entreprises précises.
Une véritable armée de bots qui pourrait représenter jusqu’à 30 000 comptes factices contrôlés par cette entreprise clandestine, et qui surtout savent maintenir leur couverture. Chaque avatar, selon la démonstration que Hanan a faite devant des journalistes sous couverture, est doté d’une histoire numérique à multiples facettes afin de paraître crédible. Il a aussi évoqué une simulation des comportements humains générée par une intelligence artificielle.
Début janvier 2023, le système exploitait 39 213 faux profils différents, consultables dans une sorte de catalogue. On y trouve des avatars de toutes ethnies et nationalités, de tous genres, célibataires ou en couple… Leurs visages sont des portraits de vraies personnes piochées sur internet, et leurs patronymes, la combinaison de milliers de noms et de prénoms stockés dans une base de données. Pour crédibiliser ces avatars, Aims peut leur ouvrir des comptes sur Amazon ou même Airbnb, et laisser des commentaires en dessous de vidéos YouTube. Ces abonnements sont ensuite authentifiés et validés par courrier électronique (souvent sur Gmail) ou par SMS. Car Aims génère aussi des numéros de téléphones virtuels permettant de recevoir ou d’envoyer des textos. Il ne suffit pas de disposer d’une gigantesque base de faux profils pour qu’ils soient crédibles. Encore faut-il les animer. Aims les fait donc régulièrement interagir sur les réseaux sociaux (Twitter, Facebook, Instagram…) et sur des boucles Telegram. Ces interactions peuvent être pilotées de façon automatique par la plateforme.
Le groupe israélien aurait aussi développé des capacité de hacking et s’estimerait largement capable de pirater tout compte Gmail ou Telegram.
Autre volet de l’opération : semer la discorde au sein des clans qui contrôlent les leviers du pouvoir. “Nous devons être très malins pour provoquer des heurts entre les généraux et leurs familles. Entre chaque chef de tribu.” D’où la nécessité de bénéficier de l’aide – pour ne pas dire la complicité – d’employés de compagnies téléphoniques locales pour mettre des cibles sur écoute afin de “savoir ce que pensent les responsables du camp adverse”. La mise sur écoute est facturée 50 000 euros pièce
Quant aux activités et résultats, les chiffres avancés sont importants. Sur les 33 campagnes électorales, rapporte un autre responsable « les deux tiers d’entre elles se sont déroulées en Afrique anglophone et francophone, et 27 ont réussi ». Dans ces 27 cas, elle aurait influencé les élections en faveur de ses clients en manipulant les informations et opinions sur Internet.
Dans une vidéo adressée à leurs clients qui résume leur savoir-faire, les membres de Team Jorge se vantent d’avoir aussi participé au sabotage de plusieurs scrutins, dont notamment le premier référendum sur l’indépendance de la Catalogne organisé le 9 novembre 2014. Il arrive parfois que Team Jorge renforce son dispositif automatique en recrutant des rédacteurs (des étudiants sachant écrire et parler des langues étrangères), dans les pays où il envisage une opération. En échange d’un Smic local, ils deviendront les “petites mains” des futures campagnes numériques. Team Jorge raconte que, pour obtenir le report d’un scrutin dans un pays africain, il a facturé sa prestation six millions d’euros.
Une révélation qui embarrasse l’État sioniste : ce n’est pas un secret qu’Israël développe un cyberarsenal, à des fins de renseignement, entre autres. Or des entreprises israéliennes ont déjà été mêlées à des affaires d’écoute, ou de trafic de données volées à des personnes politiques, y compris dans des pays considérés comme des alliés.
L’officine organise enfin du lobbying ciblé. “La dernière chose que les gens souhaitent, c’est l’instabilité. En Europe, vous vous dites : ‘S’il y a de l’instabilité, il va y avoir des vagues de migrants’, et cela vous inquiète. Tandis qu’aux États-Unis, on craindra plutôt que ces événements fassent monter le prix de l’énergie…” Et pour transmettre ces messages, Team Jorge dit s’appuyer sur des personnalités connues comme l’israélien Ilan Mizrahi, ancien directeur adjoint du Mossad et ancien conseiller à la Sécurité nationale du Premier ministre Ehud Olmert, ou encore Roger Noriega, un ancien diplomate des administrations Bush Jr. et Reagan. Ilan Mizrahi nous a dit connaître Jorge mais ne pas avoir de lien d’affaires avec lui. Quant à Roger Noriega, il affirme ne pas se souvenir de son nom.
La campagne BDS pour « Boycottage, Désinvestissement, Sanctions » (qui appelle au boycott économique, culturel ou scientifique d’Israël afin d’obtenir la fin de l’occupation et de la colonisation des Territoires palestiniens) a déjà réagi : « Les technologies répressives israéliennes sont une menace pour le monde, pas seulement pour les Palestiniens ».
Pendant qu’on colportait aux oreilles des peuples occidentaux l’existence de vastes réseaux d’ingérences et de campagnes de manipulation d’origine russe, ce sont les « hackers » israéliens qui s’en sont donnés à cœur joie.
Pour le compte de QUI ? Qui.
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