Dans notre pays, certaines oppositions ne sont ni naturelles ni spontanées. Elles sont créées, entretenues, parfois artificiellement exacerbées par le régime en place, dont l’un des moyens essentiels de conservation du pouvoir consiste précisément à diviser, fragmenter et opposer ce qui pourrait autrement former un tout cohérent. La division devient un instrument de domination lorsqu’elle empêche toute lecture globale et cohérente de la réalité politique.
Parmi ces oppositions fabriquées figure celle des mots patriotisme et nationalisme, régulièrement remise en scène dans l’actualité. Cette opposition réapparaît tantôt à travers des constructions idéologiques telles que les « patriotes de la diversité », tantôt à l’occasion de déclarations publiques comme celles, récentes, de Benoît Saint Denis, affirmant être patriote mais « clairement pas nationaliste ». Ces prises de position ne sont pas anodines. Elles révèlent un brouillage volontaire du langage politique, où les mots sont progressivement détachés de leur sens réel afin de les rendre compatibles avec l’idéologie dominante.
À première vue, s’arrêter sur des considérations sémantiques peut sembler excessif. Pourtant, dans le combat politique, la sémantique est essentielle. Lorsque certains mots deviennent tabous sous l’effet d’une pression sociale diffuse, c’est toute une vision du monde qui est rendue imprononçable. Ce phénomène correspond à une véritable tyrannie des mots, comparable à ce que George Orwell décrit dans 1984, où le contrôle du langage permet de contrôler la pensée elle même. En restreignant les mots, on restreint les idées, et en restreignant les idées, on neutralise toute contestation réelle.
Or, lorsqu’on revient aux faits, une évidence s’impose immédiatement : les mots patriote et nationaliste vont ensemble. La distinction artificielle entretenue par la République et ses relais ne repose sur aucun fondement solide. Patriotisme et nationalisme désignent deux aspects d’un même attachement et ne sauraient être opposés sans falsification intellectuelle. Aucun de ces deux termes ne peut d’ailleurs être honnêtement récupéré par les antiracistes ou par les idéologues universalistes, car ils renvoient à une continuité historique, à une filiation et à un enracinement incompatibles avec leurs postulats.
Cette unité se vérifie dans les faits. Plusieurs mouvements politiques étrangers illustrent naturellement ce lien entre patriotisme et nationalisme. Le Patriot Front aux États Unis est nationaliste. Patriotic Alternative, au Royaume Uni, est également nationaliste. Dans ces cas, il n’existe aucune contradiction entre l’affirmation patriotique et la revendication nationale. Seule la France républicaine persiste à vouloir opposer ce qui, partout ailleurs, est compris comme indissociable.
Le patriotisme et le nationalisme sont donc intimement liés et ne sauraient être opposés par des artifices de langage ou par les tergiversations du régime.
Pour comprendre l’origine de cette opposition factice, il faut revenir à l’histoire. Cette distinction est issue d’une méconnaissance historique soigneusement entretenue. La République s’est approprié le mot patriote et a désigné le mot nationaliste comme incompatible avec son récit. Cette récupération idéologique remonte au renversement bourgeois de 1789 contre la monarchie absolue.
À cette époque, le champ politique est structuré par l’opposition entre les monarchiens et les patriotes. Les monarchiens défendent une monarchie constitutionnelle tandis que les patriotes luttent pour l’instauration de la République. Progressivement, le mot patriote cesse de désigner l’amour de la patrie pour devenir le marqueur d’une adhésion à un régime politique précis. De là naît le raccourci encore répété aujourd’hui selon lequel le patriote serait nécessairement républicain, et la monarchie, par définition, incompatible avec le patriotisme.
Avec l’épuisement progressif du monarchisme, un autre terme devient l’épouvantail idéologique du discours républicain : le nationalisme. Celui ci est présenté comme intrinsèquement haineux, agressif, animé par une volonté de domination. Face à cette caricature, la République oppose un patriotisme prétendument inclusif, vidé de toute exigence historique, culturelle ou identitaire. Cette construction permet de conserver le mot patriote tout en neutralisant sa portée réelle.
Pourtant, associer la naissance du patriotisme à 1789 est historiquement faux. L’historienne Monique Cottret fait remonter l’apparition du mot à l’année 1750, soit trente neuf ans avant la Révolution. Il apparaît lors de la traduction d’un texte de Lord Bolingbroke intitulé Lettre sur l’esprit du patriotisme et sur l’idée d’un roi patriote, traduction réalisée par Claude de Thiard de Bissy.
Ces éléments sont décisifs. Lord Bolingbroke, né en 1678 et mort en 1751, était un homme politique et philosophe britannique de sensibilité tory, donc conservatrice. Il n’était ni républicain ni révolutionnaire. Claude de Thiard de Bissy, né en 1721 et mort en 1810, était un militaire français, pleinement inscrit dans la culture monarchique. Le mot patriote naît donc dans un contexte conservateur et monarchique, bien avant les bouleversements de 1789.
Il est ensuite repris par Étienne François de Choiseul, chef du gouvernement de Louis XV, à des fins d’opinion en pleine guerre de Sept Ans. On le retrouve également dans un poème de 1762 de Charles Pierre Colardeau intitulé Le Patriotisme, qui fustige l’Angleterre et glorifie la France. Les faits sont clairs : le patriotisme est antérieur à la Révolution et n’a aucun lien originel avec la République. Celle ci ne l’a pas créé, elle l’a confisqué.
Le patriotisme désigne un attachement à la patrie. Mais qu’est ce que la patrie. Étymologiquement, le mot signifie terre des pères. Il remonte à l’Antiquité, où la patrie était la terre sanctifiée par la religion domestique et nationale, celle où reposaient les ossements des ancêtres. La patrie n’était ni une abstraction juridique ni une construction administrative, mais un lien charnel et sacré, transmis de génération en génération. Ce lien peut être comparé à celui qui unit un fils à son père.

Charles Maurras l’a exprimé avec clarté en affirmant que l’on ne choisit pas plus sa patrie, la terre des pères, que l’on ne choisit son père et sa mère. Cette formule résume une vérité simple : le patriotisme n’est pas un choix idéologique mais une fidélité héritée. Il repose sur la naissance, la transmission et la continuité.
À partir de cette définition, une conséquence s’impose logiquement. Il ne peut pas exister de patriotisme de la diversité. La diversité, dans son acception idéologique contemporaine, désigne la juxtaposition d’une multiplicité d’origines, de cultures et de mémoires sans continuité commune. Or la patrie repose précisément sur cette continuité. Elle suppose des pères, une lignée, une mémoire partagée. On ne peut pas être patriote de mille héritages différents. On ne peut pas aimer la terre des pères si l’on nie l’existence des pères. La formule « patriotes de la diversité » est donc une contradiction logique destinée à vider le patriotisme de son sens réel.
Le nationalisme, quant à lui, vise à former et à légitimer l’État nation. Il repose sur le terme nation, issu de natio, lui même dérivé du verbe nascere, naître. La nation désigne un ensemble d’individus issus d’une même origine. Le nationalisme n’est donc pas une idéologie de haine, mais la volonté d’organiser politiquement une communauté humaine fondée sur la naissance, l’histoire et la transmission.
Le patriotisme est l’attachement affectif et historique à la terre des pères. Le nationalisme est la traduction politique de cet attachement. Les opposer n’a aucun sens. Un patriotisme sans nationalisme est un attachement impuissant. Un nationalisme sans patriotisme serait une abstraction vide. En réalité, aimer sa patrie implique nécessairement de vouloir la défendre, et vouloir la défendre implique nécessairement d’assumer le nationalisme.
La distinction artificielle entre patriotisme et nationalisme n’est pas une erreur innocente. Elle constitue un outil idéologique destiné à désarmer ceux qui aiment encore la France comme héritage et continuité historique. Rétablir le sens des mots, c’est déjà résister.
Assumer leur unité, c’est déjà combattre. Pour que vive la France, il faudra être patriote dans le cœur et nationaliste dans l’action.



























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