Mgr. Anatole Joseph Toulotte,
successeur du cardinal Lavigerie au vicariat général du Sahara-Soudan(1),
restaurateur de la communauté de Sainte Marie de Jérusalem,
explorateur et historien transsaharien,
mort le 22 janvier 1907.
Pourquoi donc évoquer Mgr. Anatole Toulotte ?
Dans le cadre de sa campagne de désinformation encyclopédique orientée (la wikilyse) Wikipédia avait osé lancer une consultation pour la suppression de la page « Anatole Joseph Toulotte » auprès de sa clique de censeurs ! Finalement la page sera conservée !
Certes l’article évoqué est en soi une caricature et mériterait effectivement de disparaître en tant que tel : c’est une honte pour Wikipédia que de qualifier comme « article » ce texte d’à peine 20 lignes totalement vide. Rien n’y est évoqué sur ses trente années d’activités sahéliennes, rien n’est mentionné sur ses travaux, ses voyages, ses recherches archéologiques et historiques, sa lutte contre le trafic d’esclaves au long des routes caravanières, rien sur ses écrits, et rien non plus sur le rôle politique des pères blancs dans son vicariat du Sahel-Soudan face à la pénétration coloniale dans les années clefs 1880 / 1900. Ce n’est pas un article, c’est une rédaction d’enfant de dix ans !
Pourtant en première référence l’auteur note le site des pères blancs qui renvoie en première page à deux documents assez complets sur la vie et l’œuvre d’Anatole Joseph Toulotte. Le présent article s’en est largement inspiré.
Il est incroyable que le rédacteur de Wikipédia ne l’ait pas utilisé (à moins qu’il ne s’agisse d’un parti pris manifeste anticlérical et antichrétien?)
Tout ce qui est largement souligné dans cet « article » (4 lignes sur 20 y sont consacré) c’est qu’à la suite du meurtre des Pères Bouchand, Ménoret et Paulmier, en mission d’exploration en 1876, Toulotte tente d’organiser une caravane vers le Soudan français, à travers le Sénégal vers le Niger, ce qui lui est refusé : on peut comprendre que moins de dix ans après la création des « pères blancs » ils sont alors moins de 60 et ne disposent pas des hommes et des fonds nécessaires pour qu’une telle expédition ait pu être envisagée. Comme fait marquant caractéristique de la vie d’Anatole Toulotte, c’est tout de même un peu mince !
Une fois de plus le caractère encyclopédique de Wikipédia doit être remis en question : la « notoriété encyclopédique » toujours invoquée par ces rédacteurs se limite à des articles de journaux essentiellement très récents, les plus connus, même (et surtout) si ce sont les moins sérieux… Il serait alors plus que souhaitable de réviser enfin cette page ridicule et de publier sous l’égide de Wikipédia un document sérieux sur Mgr Toulotte enfin digne d’une encyclopédie…
Dans ce contexte, nous autorisons volontiers les wikipédistes à s’inspirer de notre présent article ci-dessous : cela permettrait au moins à Wikipédia de mettre en ligne un texte contenant des éléments sérieux…
Anatole Toulotte est né en France dans le village de Lisbourg, diocèse d’Arras, le 7 janvier 1852. Son père était bourrelier. La famille plutôt pauvre comptera neuf enfants, sept garçons et deux filles : Anatole est l’aîné. (Les curés de village prenaient alors systématiquement en charge les enfants qui méritaient d’être encouragés et suivis : le petit Anatole est envoyé à l’école paroissiale.) En octobre 1865 Anatole quitte son village pour le collège de Sainte-Austreberthe, à Montreuil-sur-Mer, où il passera six années.
À la fin du collège, en 1871, Toulotte entre au grand séminaire d’Arras. A cette époque où venait d’être fondée la Société des Missionnaires d’Afrique(2), quelques « pères blancs » visitaient les séminaires de France pour susciter des vocations missionnaires. Le père Charmetant, un des tout premiers compagnons de Lavigerie, passa ainsi dans le diocèse d’Arras et parla de la mission aux séminaristes. Anatole Toulotte et son camarade Léonce Bridoux sont volontaires pour cette aventure et, avec autorisation de leur évêque, partent en Algérie – où ils poursuivent ensemble leur scolarité de séminariste. Ils reçoivent alors les ordres mineurs à N.-D. d’Afrique et intègre le scolasticat, installé depuis quelques mois dans des locaux attenants.
Toulotte, au-delà des matières théologiques et religieuses se passionne pour l’étude de l’arabe. En septembre 1874 il est nommé professeur d’arabe au noviciat de Maison-Carrée. Il est finalement ordonné sous-diacre, diacre et prêtre en octobre 1874, en même temps que son compagnon Léonce Bridoux(3).
Assistant général de la Société des Missionnaires d’Afrique
En 1875, au Chapitre Général qui se réunit à N.-D. d’Afrique, le père Toulotte est élu membre du Conseil Général de la Société. À cette époque, la Société des Missionnaires d’Afrique, vieille seulement de quelques années, avait un effectif total de 56 missionnaires. Un nouveau chapitre est convoqué par Mgr Lavigerie afin de pouvoir attribuer des fonctions cumulées compte tenu du faible effectif de la société missionnaire et d’en réorganiser ses structures. Toulotte, présent à cette assemblée comme représentant de Maison-Carrée, est élu assistant général dès le premier tour de scrutin, le 18 octobre 1875 ; il n’est âgé alors que de 23 ans !
En 1876, trois Missionnaires d’Afrique, les pères Ménoret, Paulmier et Bouchand, sont massacrés au Sahara lors d’une expédition en direction de la boucle du Niger et de Tombouctou. Le père Anatole Toulotte écrit alors à Mgr Lavigerie pour lui proposer de prendre la relève des disparus en organisant une nouvelle expédition vers le sud. À défaut d’être investi d’une mission vers Tombouctou comme il le souhaitait, Toulotte est nommé en juillet 1877 au poste de Metlili, situé à une quarantaine de kilomètres au sud de Ghardaïa, poste fondé en décembre 1874 dans l’optique du grand projet apostolique de pénétration du Sahara qui habite Mgr Lavigerie depuis son arrivée à Alger.
L’hostilité, de la population de la région ne facilite pas l’insertion des missionnaires. Leur inexpérience, ajoute à ces difficultés et le poste de Metlili sera à nouveau fermé en février 1878.
Le cardinal Lavigerie recevant de nouvelles consignes pour l’évangélisation de l’Afrique Centrale et la restauration hiérarchique de la présence catholique romaine à Jérusalem, doit y envoyer certains de ses pères…
Après la guerre de Crimée qui opposa la Russie à l’Empire ottoman en 1854-1855, la France, qui avait soutenu l’empire turc contre le tsar, reçut du gouvernement turc l’année suivante, en signe de gratitude, la propriété du sanctuaire chrétien de Sainte-Anne, dans la vieille ville de Jérusalem. L’église et les bâtiments attenants étaient dans un état lamentable, mais faute de véritable décision politique ou de crédits les travaux de restauration ne se firent qu’au compte-goutte et durèrent près de vingt années. Le gouvernement français décida alors de confier la garde de ce sanctuaire à une congrégation religieuse et divers contacts sont pris en ce sens.
Supérieur de l’École Supérieure d’études bibliques à Jérusalem
Or l’intérêt de Mgr Lavigerie pour cette région ne s’était jamais démenti, au point qu’il avait laissé entendre, en 1873, qu’il accepterait éventuellement la charge du patriarcat latin de Jérusalem, alors vacante(4), mais Rome en décida autrement. Lorsqu’il eut connaissance des intentions du gouvernement français où il comptait de nombreux amis, Lavigerie présenta la candidature des Missionnaires d’Afrique. Sa personnalité, son expérience et les appuis qu’il reçut cette fois du Saint-Siège firent pencher la balance en sa faveur, et une convention fut signée avec le gouvernement français en mars 1874. Cet accord stipule qu’il serait fondé une École Supérieure d’études bibliques destinée au clergé de France, et que le père Toulotte en serait le supérieur.(5) (Ce projet cependant ne correspondait ni à une demande réelle de l’épiscopat français ni aux intentions profondes de Lavigerie : il se transformera rapidement en la création d’une école apostolique, c’est-à-dire d’un petit séminaire, pour devenir finalement un séminaire pour le clergé catholique de rite oriental, en 1882.)
Les débuts ne sont pas faciles. L’installation matérielle est des plus sommaires et les pères souffrent de fréquentes crises de fièvre. Pourtant le père Toulotte se met rapidement au travail. Il est déjà connu parmi ses confrères pour ses capacités linguistiques, en langues arabe et hébraïque notamment, et pour son intérêt pour l’archéologie. La direction d’une future École Biblique justifie qu’il se consacre à compléter ses connaissances en ces matières. Durant les deux années de son séjour à Jérusalem, il va révéler pleinement l’ampleur de ces dons intellectuels et son goût pour ce genre de travaux, mais aussi l’attirance qu’il ressent pour une vie quasi-érémitique des plus austères.
Recherches historiques
Ce premier séjour en Terre Sainte prend fin de manière inattendue car en septembre 1880 le VIème Chapitre Général des Missionnaires d’Afrique, à Alger, où le père Toulotte y est à nouveau élu assistant général. Il quitte donc aussitôt Jérusalem pour rejoindre ses confrères à Alger. En dehors de ses fonctions d’assistant général il aura la responsabilité du noviciat. Il retourne donc à Maison Carrée. Il prépare là toute une expédition à destination de l’évangélisation de l’Afrique centrale et de Zanzibar.
Mais Lavigerie, qui vient d’être fait cardinal, annule finalement cette mission et renvoie Toulotte à Jérusalem où la communauté de Sainte Anne manquait toujours cruellement de cadres mais le ministère paroissial convient peu à ses aspirations, et son austérité personnelle est assez mal perçue : il est clair qu’il n’est pas à l’aise dans ce ministère.
Les aptitudes du père Toulotte pour la recherche historique s’étaient déjà manifestées à Jérusalem lors de son premier séjour, aussi le cardinal le rappelle auprès de lui en 1884 pour lui confier un grand projet qui va faire pleinement appel à ces capacités. Lavigerie en effet, lui-même ancien professeur d’histoire à la Sorbonne, sait combien la connaissance du passé peut nourrir l’intelligence, élargir la compréhension de la foi et donner éventuellement des perspectives neuves pour mieux vivre le présent : il a décidé de mettre en chantier une vaste histoire de l’Afrique chrétienne, des origines aux temps actuels. Il participe avec une équipe de quatre pères, en plus de Toulotte aux travaux de recherche et de publication.
Le travail de cette équipe aboutira à la rédaction d’une considérable Histoire de l’Église d’Afrique, en trois volumes manuscrits. La première rédaction est annotée et corrigée par le Cardinal lui-même, et une seconde rédaction notablement augmentée verra le jour à l’initiative du père Toulotte.
Au cours de cette première période ou dans les années qui suivront d’autres travaux seront publiés par Toulotte, notamment une Géographie de l’Afrique chrétienne de plus de 1500 pages, un ouvrage sur les monuments anciens de l’Église d’Afrique, un autre sur les basiliques, etc.
Quelques jours avant de porter le fameux « toast d’Alger », en novembre 1890, Lavigerie avait communiqué aux Missionnaires d’Afrique réunis en Chapitre Général la décision du Saint-Siège d’élever la délégation apostolique du Sahara–Soudan, dont il était administrateur au nom du Saint-Siège, au rang de Vicariat Apostolique. En même temps, invoquant sa mauvaise santé et ses multiples occupations, il informait les membres du Chapitre son intention de se décharger de cette responsabilité sur un missionnaire qui serait ainsi son coadjuteur et le futur vicaire apostolique pour ce nouveau vicariat. Le Chapitre Général était concerné car en acceptant cette proposition la Société s’engageait du même coup à assurer la mission dans ces régions. Le vote fut favorable à l’unanimité et quelques mois plus tard, le 4 juin 1891, Rome nommait effectivement un évêque coadjuteur : Anatole Toulotte.
Au Vicariat Apostolique du Sahara-Soudan
Son sacre épiscopal a lieu en juillet 1891 à Alger fait par le Cardinal Lavigerie en présence de nombreux évêques. Mgr Toulotte est ordonné évêque in partibus de Thagaste, ville natale de saint Augustin, ce qui est hautement significatif, quand ont on sait qu’il est son Père de l’Eglise préféré.
Peu après Mgr Toulotte partit pour Biskra (devenue entre-temps partie du diocèse de Constantine). Après un séjour de quelques mois dans ce poste il va s’établir à Ghardhaïa dont il fera le siège de son vicariat apostolique. C’est là que, trois jours après son arrivée, il apprend la mort du Cardinal Lavigerie, le 26 novembre 1892. Toulotte se trouve désormais non plus coadjuteur mais pleinement titulaire du vicariat du Sahara-Soudan, immense par ses dimensions géographiques, où la mission est de taille très modeste quant à ses implantations.
Les premiers missionnaires étaient arrivés au Sahara dès les années 70 : Laghouat est fondée en 1872, Metlili en 1874, Ouargla l’année suivante, puis Rhadamès en 1878 et Tripoli en 1879. Biskra, où des missionnaires sont présents dès 1873, accueille souvent le Cardinal au cours des dernières années de sa vie : sa santé en effet se dégrade de plus en plus et le climat de cette oasis du sud lui fait du bien.
Avec la nomination de Mgr. Toulotte le Sahara retrouve son statut de territoire ecclésiastique autonome uni au Soudan, alors que le Chapitre Général de 1886 l’avait rattaché à la province de Kabylie.
En 1895, Mgr. Toulotte participera à la création de l’hôpital Sainte-Marie-Madeleine de Ghardaïa.
Frères Armés du Sahara
Autre projet élaboré par le Cardinal quelques années plus tard, dans le cadre de son importante campagne anti-esclavagiste : la création de milices armées destinées à combattre les trafiquants dans les régions où les missionnaires étaient établis. Le Conseil Général des Missionnaires d’Afrique se montra plutôt réservé vis-à-vis de ce projet, mais Lavigerie insista et lorsqu’il le fait connaître publiquement, en France, des candidats assez nombreux se présentent. Le Cardinal organise alors un centre de formation pour ces futurs auxiliaires à Biskra, dans le sud algérien où il résidait lui-même de plus en plus souvent. Les futurs auxiliaires devront y recevoir une formation militaire mais aussi religieuse, et leur engagement devra se situer clairement dans une perspective missionnaire. Lavigerie confie la direction de ce centre au Père Hacquard et les premiers candidats arrivent en janvier 1891 : ainsi commence l’œuvre des Frères Armés du Sahara.
L’existence des Frères armés (portant la croix pattée rouge sur la vareuse et sur le casque dit colonial) devait finalement être très courte. À la conférence de Berlin, les puissances européennes s’étaient quasiment partagé l’Afrique. Dès 1890, Lavigerie savait déjà que ses frères armés ne pourraient agir qu’en zone d’influence française. Mais même là, il y eut très vite des oppositions politiques. Et beaucoup s’imaginaient qu’il y avait à Biskra une troupe armée indépendante.
Lavigerie avait parlé de 1700 candidats. Ils ne furent qu’une quarantaine – dont seulement 22 frères recrutés en formation ! On comptait parmi eux d’anciens zouaves pontificaux(6) qui avaient l’avantage de disposer d’une connaissance certaine du feu et du maniement des armes.
En novembre 1892, juste avant sa mort, Lavigerie prit finalement la décision de dissoudre les Frères armés. Mgr. Toulotte n’avait jamais adhéré à ce projet qui sera, parmi bien d’autres, un sujet de friction avec le père Hacaquard était le supérieur de la mission de Ouargla quand Mgr Toulotte, vicaire apostolique du Sahara, était son supérieur immédiat. L’abbé Marin note : « Sans chercher à les opposer, en aucune façon, l’un à l’autre, il est permis de constater que le Père Hacquard et son supérieur immédiat, avec lequel il eut désormais de fréquents et nécessaires rapports, différèrent plus d’une fois dans leurs vues sur les plus utiles moyens de prosélytisme ou d’influence du missionnaire d’Afrique, en face des indigènes et des européens ».
Les bonnes conditions dans lesquelles s’est déroulée l’installation des premiers missionnaires au Soudan ont amené Mgr Toulotte visiter lui-même l’immense partie méridionale de son vicariat où il monté plusieurs expéditions et qu’il a sillonné personnellement durant dix ans. Commencé en octobre 1896, son plus important voyage, au sud se terminera à Conakry en mai 1897 : son but est de visiter ses confrères missionnaires, d’apprécier leur action et de préparer la voie à de futures fondations et d’étudier les possibilités d’un accès à ces régions par Conakry et la Guinée : déjà une approche visionnaire du désenclavement du Sahel.
L’intérêt particulier de cette longue visite pastorale vient de ce que tout au long de ces quelques 14.000 km de son périple Anatole Toulotte a tenu régulièrement et avec grand soin un journal de voyage qui, a fait l’objet d’une édition commentée(7) publiée en 1995 par l’historien père blanc Joseph de Benoist connu pour la qualité de ses nombreuses études sur la présence des pères blancs et de l’Afrique Occidentale Française.
Cet ensemble de voyages constitue un témoignage unique sur la situation de l’Afrique transsaharienne au tournant du XXeme siècle en pleine période de la confrontation en AOF entre les populations locales, les troupes françaises et l’implantation de l’administration coloniale naissante. La connaissance sahélienne du terrain par les pères blancs sera un atout majeur mis à profit par les stratèges de la pénétration coloniale, notamment en ce qui concerne la lutte contre le trafic d’esclaves et les rezzous au tournant du siècle.
Rappelons que plusieurs pères blancs, dont les caravanes furent attaquées et détruites entre 1885 et 1895, payèrent de leur vie leur progression vers le sud, notamment vers la mythique Tombouctou. En 1894, la colonne du lieutenant-colonel Bonnier (qui y sera mortellement blessé) sera massacrée par les touareg au camp de Takoubao dans la nuit du 14 ou 15 janvier. Un seul des officiers, le capitaine Nigote, parvient à s’échapper. Le bilan est de 13 officiers et sous-officiers européens tués, 67 soldats et 14 personnels de soutien, guide, interprètes et serviteurs.
Epuisé par ces voyages, physiquement affaibli par le paludisme, Mgr Touloute avait demandé, dès son retour en juillet 1897 à être relevé de sa charge de vicaire général. La lettre adressée par Toulotte à la Congrégation de la Propagation de la Foi provoqua la surprise, et son préfet, le Cardinal Ledochowski, écrivit à Mgr Livinhac, le Supérieur Général des pères blancs pour lui demander de quoi il retournait. Dans sa réunion du 13 septembre, le Conseil Général de la société des Missionnaires d’Afrique met en avant dans sa réponse le grave état de santé de Mgr Toulotte, mais il souligne : « Son amour de la solitude et son esprit méticuleux le rendent absolument impropre au gouvernement des hommes. S. E. le Cardinal Lavigerie, qui l’avait choisi, a vu lui-même qu’il s’était trompé. »
Anatole Toulotte, quelles que soient ses qualités, grand chrétien, mystique, ascète, gros travailleur, intellectuel brillant et chercheur opiniâtre, n’était pas un meneur d’homme et tous ses confrères, avec qui il entretenait des relations souvent difficiles, comme ses subordonnés, en ont souffert.
Père Blanc à Rome
Mgr Toulotte se retire dans la communauté des Pères Blancs de Rome en janvier 1898. Il fera encore un séjour d’un peu plus d’une année à Jérusalem (juin 1900 – septembre 1901), ira également à Alger pour quelques mois en 1903-1904 et à Paris pour des consultations avec le premier ministre et le haut état major sur la question coloniale comme expert incontesté du sahel occidental. Comme quoi, en pleine crise de l’anticléricalisme, la compétence des ecclésiastiques français était très largement reconnue par l’armée et le gouvernement français…
En dehors de ces voyages, il réside à Rome et y mène plus que jamais une vie d’une grande austérité. Pendant ses années dernières d’épiscopat ses œuvres ayant été en partie publiées, il continuera ses recherches sur l’histoire de l’Église ancienne d’Afrique.
En janvier 1907 Monseigneur Toulotte prend froid à l’occasion des obsèques d’un ami. Après quelques jours de maladie il meurt à Rome, le mardi 22 janvier. Il est le premier « père blanc » enterré, au cimetière de Campo Verano, dans le caveau concédé aux Missionnaires d’Afrique par les Sulpiciens.
Il laisse une œuvre historique et géographique très importante notamment sur le Sahel et l’histoire de ses peuples. On peut citer : Géographie de l’Afrique chrétienne, Histoire de l’Eglise d’Afrique (3 vol.), Journaux de voyage, etc… et de très nombreux articles publiés dans les revues historiques techniques et archéologiques.
Notes :
(1) Le « Soudan français » est l’appellation officiel du territoire saharien recouvrant l’actuel Mali, érigé en colonie en 1890, de 1890 à 1899 puis de 1921 jusqu’à 1958.
(2) Les missionnaires d’Afrique sont plus connus sous le nom de « pères blancs » (à cause de leur costume). Mgr Lavigerie est nommé archevêque d’Alger en 1867, puis 6 juin 1868, Pie IX le nomme préfet apostolique du Sahara-Soudan. Mgr Lavigerie fonde aussitôt la « Société des missionnaires d’Afrique » à Maison-Carrée (actuelle El-Harrach).
(3) Mgr Bridoux est nommé évêque titulaire (in partibus) d’Utique et vicaire apostolique du Tanganyika le 16 juin 1888. Il est sacré évêque par le cardinal Lavigerie le 16 juillet 1888, dans la chapelle des religieuses de Notre-Dame-de-Sion à Paris. Il embarque à Marseille à destination de Zanzibar le 17 juillet 1888, accompagné de six autres missionnaires. Il arrive au lac en janvier 1889.
Initialement le cardinal Lavigerie souhaitait pouvoir utiliser les structures du vicariat apostolique du Tanganyika (aujourd’hui Tanzanie) pour protéger les populations locales des razzias des traiteurs esclavagistes arabes qui alimentaient le marché de Zanzibar, pivot de la traite orientale à destination des Indes et du monde arabe. Mgr Bridoux parcourra la rive occidentale du lac, au nord d’Albertville, mais atteint de fièvre dite « hématémique », (fièvre jaune très probablement) il meurt le 20 octobre 1890, à trente-huit ans, après seulement deux ans et trois mois d’épiscopat.
(4) Le patriarcat latin de Jérusalem fut fondé par les croisés après leur prise de la ville le 15 juillet 1099. Les patriarches latins se succèdent à Jérusalem de 1099 à 1187, puis à Acre jusqu’à la chute de la ville en 1291. Le patriarcat latin disparaît alors.
Par le bref Nulla celebrior du 23 juillet 1847, le pape Pie IX rétablit le patriarcat latin de Jérusalem comme siège résidentiel et recrée l’Ordre du Saint Sépulcre. Le premier titulaire, le patriarche Joseph Valerga, prit possession de son siège en janvier 1848 et y décède en 1872. Le futur cardinal Lavigerie est donc fondé à proposer sa candidature en 1873. Le pape lui préfèrera logiquement Vincenzo Bracco missionnaire de Terre Sainte depuis 1860, sacré en 1866 évêque in partibus de Magydus et évêque auxiliaire de Jérusalem. Nommé patriarche latin de Jérusalem fin 1873, Il sera aussi grand maître de l’Ordre équestre du Saint Sépulcre jusqu’à sa mort en 1889.
(5) Ce premier projet avorté de 1875 préfigure la création quinze ans plus tard de l’École biblique et archéologique française de Jérusalem (EBAF) fondée en 1890 par le Père Marie-Joseph Lagrange (1855-1938), sur le terrain du couvent dominicain de St-Étienne à Jérusalem, créé en 1882. S’inspirant du nom de la récente École pratique des hautes-études (Paris, 1868), le P. Lagrange l’appela « École Pratique d’Études Bibliques », afin d’en souligner la spécificité méthodologique. On modifia son nom le 20 octobre 1920, lorsque l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres (Paris) a reconnu l’École biblique comme l’École archéologique française de Jérusalem, en raison de la qualité de ses recherches et de ses études dans ce domaine.
(6) Ancien zouave pontifical (tirailleur) puis Frère Armé du Sahara, le Capitaine Joubert partit au Congo comme auxiliaire laïc. Il s’y illustra en organisant la défense des postes des missionnaires jusqu’au Tanganyika pour les protéger des bandes esclavagistes venues de Zanzibar et défendre les esclaves libérés réfugiés dans les missions
(7) J.R. de Benoist : Anatole Toulotte, voyage au Soudan, Chronique du Centenaire de Ségou n°1,138 pages, Atelier Efata, San (Mali), avril 1995.