LA PANTALONNADE continue. Quelques heures après que le septième Premier ministre d’Emmanuel Macron eut présenté sa démission le lundi 6 octobre au matin, à la suite de l’implosion du socle commun, le chef de l’Etat faisait savoir, dans un bref communiqué, qu’il avait « confié à monsieur Sébastien Lecornu, Premier ministre démissionnaire en charge des affaires courantes, la responsabilité de mener, d’ici à mercredi soir, d’ultimes négociations afin de définir une plateforme d’action et de stabilité pour le pays » (sic !) S’il s’agissait d’un sketch, on pourrait en rire. Mais hélas ce n’est pas le cas. Le gouvernement Lecornu n’aura duré en tout et pour tout que quatorze heures. Nommés à 19h40 le dimanche 5 octobre, les dix-huit ministres étaient démissionnaires le lendemain matin, le lundi 6 octobre, à 9h40. Sébastien Lecornu, fidèle d’entre les fidèles du président de la République, aura mis vingt-six jours à former son gouvernement (du 9 septembre au 5 octobre), ce qui est un premier record, de longévité celui-ci, et son gouvernement, une fois nommé, n’aura tenu que quatorze heures, ce qui est un autre record, de brièveté celui-là. A ce niveau, la IVème République, pourtant tant décriée pour son instabilité chronique et le caractère éphémère de ses différentes et successives équipes gouvernementales, va finir par apparaître comme un modèle de solidité et d’invariance.
D’aucuns, pour se rassurer à bon compte, prétendent que la crise actuelle n’est au fond pas si grave, qu’il ne s’agit tout au plus que d’une crise parlementaire, l’actuelle Assemblée nationale étant fragmentée en trois (voire en quatre) blocs, et non d’une crise de régime. Affirmer cela est pourtant une forme de déni du réel. Car précisément la fragmentation du Palais-Bourbon témoigne des profondes divisions du pays. On ne voit pas ce qui pourrait aujourd’hui unir et transcender une population aujourd’hui bigarrée, multiethnique, multiculturelle, multiconfessionnelle, bien souvent perdue, ballottée, sans repères, et dont les aspirations, les craintes, les objectifs ne sont pas les mêmes, dont la vision de la vie, de la famille, de la société n’est pas la même ? Qu’y-a-t-il en effet de commun entre le paysan du Gers qui vote RN et le jeune dealer de cité fraîchement naturalisé qui, dans le 9-3, vote LFI ? Qu’ont-ils à se dire ? Quel projet mobilisateur peut-il les réunir, à part peut-être, l’espace d’une soirée, un match de football de la France black blanc beur ?
QUELLE QUE SOIT la façon dont on essaie de résoudre l’équation politique, on ne voit pas de solution à vue humaine. Et c’est peut-être ce qui est tout à fait nouveau dans notre histoire. Rien ne garantit qu’une dissolution qui, sauf dernier tour de passe-passe — des rumeurs circulant lundi soir dans les rédactions indiquaient que le président du Sénat, Gérard Larcher, était approché pour sonder ses intentions et voir s’il accepterait de constituer un gouvernement de la dernière chance — semble désormais inévitable débouchera sur une majorité claire et nette pour quelque camp ou quelque force politique que ce soit. Et même si le chef de l’Etat démissionnait, ce qu’il va bien sûr se garder de faire, rien ne garantit non plus qu’une présidentielle anticipée, qui de surcroît se déroulerait en quelques semaines seulement, donnerait davantage de stabilité au pays. D’autant que le nouveau président, qui pourrait être considéré comme mal élu à la suite d’une campagne extrêmement courte, n’aurait aucune certitude s’il dissolvait l’Assemblée d’obtenir pour son camp une majorité absolue lui permettant de mettre en œuvre les orientations sur lesquelles il aurait été élu. D’ailleurs, ce président serait-il élu pour son programme ou plutôt contre son adversaire ? Car, au second tour des élections nationales, législatives et présidentielles, la plupart des électeurs votent contre plutôt que pour. Ne dit-on pas qu’au premier tour on choisit et qu’au second on élimine ? D’ailleurs, soyons sincères, aucune des forces politiques en présence, aucune des personnalités politiques ne font rêver ni n’inspirent confiance. Qui peut croire sérieusement qu’une arrivée aux affaires de la gauche ou même du Rassemblement national tel qu’il est aujourd’hui serait de nature à améliorer la situation, à redonner de l’espoir et de l’enthousiasme, à sortir le pays de l’impasse dans laquelle il est plongé ? Qui peut le croire, sauf à être d’une confondante naïveté ? Le mal est profond. Très profond. Il est donc vain de croire que la solution à la crise puisse être électorale.
Mais on a vu également, avec l’épisode des gilets jaunes, que la prise de pouvoir par la rue était aussi une chimère dès lors que la police, la gendarmée et l’armée restent les chiens de garde du régime, attendant leur solde à la fin du mois et obéissant servilement aux ordres. C’est pourquoi tout putsch de l’armée sous nos latitudes est pareillement illusoire. Les généraux ne commencent à devenir quelque peu courageux qu’une fois à la retraite. Et encore pas tous, loin de là. Et de manière essentiellement verbale. C’est dire que la situation est aujourd’hui totalement bloquée, verrouillée, humainement sans issue. Le chaos est là, mais le pouvoir n’est toujours pas à prendre. Pourtant, le pays aurait urgemment besoin d’une authentique révolution nationale, d’une profonde réforme intellectuelle et morale, d’un puissant redressement spirituel mais qui peut aujourd’hui conduire une telle mission salvifique ? Où est l’homme providentiel ? On le cherche en vain.
OUI, LE CHAOS est là. Tous azimuts. Le chaos social, moral, ethnique, spirituel. Mais aussi financier. La dette publique est ainsi abyssale. Elle a dépassé les 3400 milliards d’euros au deuxième trimestre 2025, ce qui est là aussi un nouveau record historique. Depuis que Macron est arrivé à l’Elysée le 14 mai 2017, la dette a augmenté de plus de mille milliards d’euros supplémentaires, lui qu’on présentait pourtant comme « le Mozart de la finance ». Beau résultat ! Et l’Elyséen n’a rien trouvé de mieux que d’imposer dans l’éphémère gouvernement Lecornu Bruno Le Maire, qui fut son calamiteux ministre de l’Economie et des Finances de 2017 à 2024. C’est une véritable provocation. Une de plus, une de trop. Plus l’impopularité du président s’est accrue, plus l’Elysée s’est rétracté sur ses soutiens jugés les plus sûrs, sur un cercle très restreint. Certes, c’est là un phénomène qu’on observe souvent en fin de règne. François Mitterrand avait ainsi imposé en 1991 une intime, Edith Cresson comme Premier ministre, ce que même le Parti socialiste n’avait alors pas compris ni digéré. Un chef du gouvernement qui avait tout de suite montré ses limites, multipliant les gaffes et faisant preuve d’une totale incompétence. Mais à l’époque la gauche jouissait d’une majorité au Parlement et le président socialiste pouvait donc se permettre ses fantaisies. Ce n’est plus le cas actuellement.
Sans doute l’instauration du quinquennat en 2000 a-t-elle aussi aggravé la situation et fragilisé la présidence de la République. Naguère, grâce au septennat, une durée de mandat adoptée au XIXe siècle, au début de la Troisième République, par une assemblée alors majoritairement monarchiste, les chefs de l’Etat étaient relativement protégés par le découplage entre la présidentielle et les législatives. Et si la majorité présidentielle perdait les élections à la chambre des députés, le président pouvait se refaire une santé pendant la cohabitation. Des constitutionnalistes et autres analystes de la vie politique en étaient même arrivés à la conclusion que les cohabitations successives étaient une machine à faire réélire un président de la République précédemment défait aux législatives. François Mitterrand en 1986, puis Jacques Chirac en 1997, ont en effet inauguré des cohabitations qui leur ont permis d’être largement réélus, le premier deux ans après (en 1988, face à… Jacques Chirac), le second cinq ans plus tard (en 2002, face à… Jean-Marie Le Pen !) Le quinquennat ne permet plus cette respiration et le président se trouve en première ligne, le Premier ministre ne jouant plus, ou plus suffisamment, le rôle de fusible. En huit ans de présidence, Macron a déjà épuisé sept Premiers ministres, autant que Mitterrand en 14 ans. Et selon toute vraisemblance c’est loin d’être fini. En moins d’un an, trois chefs du gouvernement seront tombés : Michel Barnier au bout de trois mois le 4 décembre 2024 à la suite de l’adoption d’une motion de censure, François Bayrou au bout de neuf le 8 septembre 2025 à la suite d’un vote de confiance ayant échoué et Sébastien Lecornu le 6 octobre 2025, au bout de vingt-sept jours seulement, après l’implosion de son socle commun, les Républicains présidés par Bruno Retailleau s’apprêtant à quitter le gouvernement à peine constitué, mécontents qu’ils étaient d’avoir obtenu un nombre jugé insuffisant de maroquins ministériels et furieux du retour de Bruno Le Maire.
LA SITUATION est bloquée sur le plan politique mais ce régime reste toujours aussi nuisible. Ce jeudi 9 octobre, jour anniversaire de l’abolition de la peine de mort, en 1981, l’ancien garde des Sceaux, l’ashkénaze Robert Badinter, sera panthéonisé. Et Emmanuel Macron a déjà annoncé que l’israélite Marc Bloch entrerait également au Panthéon le 16 juin 2026. Si l’on ajoute que Simone Veil a eu droit aussi à cet hommage national en 2018, on voit qu’une certaine communauté est particulièrement choyée par la République à laquelle, il est vrai, l’unissent des liens très étroits. Avec l’entrée de Badinter au Panthéon ce 9 octobre — une triste date décidément, car c’est aussi le jour de la mort du Pape Pie XII en 1958, ce qui ouvrira la voie à l’aggiornamento de Jean XXIII culminant avec la funeste révolution de Vatican I —, leur République récompense l’un des politiciens les plus nocifs et les plus détestables de ces dernières décennies. L’abolition de la peine capitale a en effet grandement contribué à l’ensauvagement de la société.
On peut à l’infini discuter du caractère ou non dissuasif de la peine de mort mais une chose est sûre, elle interdit la récidive. Or, les crimes les plus atroces, les plus barbares sont généralement le fait, ainsi que l’actualité l’atteste, de multirécidivistes. Si ces criminels avaient été définitivement mis hors d’état de nuire, ils n’auraient pu martyriser dans leur corps et dans leur âme d’autres victimes, endeuiller d’autres familles. La responsabilité de Badinter et de ses comparses est donc immense. Vouloir honorer un tel homme est une infamie. Cela montre une fois de plus à quel point ce régime républicain est abject et contre-nature, qu’il n’est rien à en attendre, sinon le pire, qu’il n’est pas là pour protéger et défendre les honnêtes gens mais qu’il n’est là en réalité que pour souiller, détruire, avilir, tuer, profaner tout ce qu’il touche. […]
RIVAROL, <[email protected]>
Source : Éditorial de Rivarol