« Celui qui ne possède pas la puissance de protéger
quelqu’un n’a pas non plus le droit d’exiger l’obéissance »
Carl Schmitt.
En 1972 paraissait la traduction d’un ouvrage, écrit en 1928, La notion de politique, de celui qui est peut-être le plus grand politologue européen d’alors : Carl Schmitt.
Autant dire que son œuvre est pratiquement inconnue en France. Quand on saura – et ceci explique peut-être cela ? – qu’elle se situe dans la lignée de Maistre, Bonald et Donoso Cortès, on comprendra mieux l’importance que revêt un tel auteur dans le cadre d’une réflexion politique qui, comme lui, refuse l’alternative libéralisme/totalitarisme pour renvoyer dos à dos ces deux insuffisances.
Juriste de formation et rhénan d’origine, Carl Schmitt a publié une vingtaine d’ouvrages et des centaines d’articles qui sont autant de réflexions sur un même thème : le dépérissement, par la dépolitisation, de l’État moderne.
Évacuée par les démocraties libérales pour qui le véritable pouvoir est d’abord économique, dégradée en instrument de pure tyrannie dans les régimes totalitaires, l’activité politique doit, selon Carl Schmitt, retrouver toute sa place dans l’État.
Lorsqu’il énonce qu’un des critères fondamentaux d’un acte politique est « la capacité de mobiliser une population en lui désignant un ennemi », il lui apparaît, aux termes d’une analyse très serrée, que le libéralisme n’est en rien qualifié pour répondre à cette exigence. En se cantonnant à une gestion bureaucratique de l’État, en ne proposant comme finalité, au nom d’idéaux abstraits et moralisants, qu’un hédonisme alimentaire à base de sécurisation et d’harmonie sociale, ce système qu’on nous a toujours présenté comme un « progrès » apparaît en définitive comme une régression suicidaire.
Cette abdication de l’autorité politique souveraine a eu pour première et durable conséquence le règne des factions, des groupes de pression et des oligarchies économiques. Mais, dans un deuxième temps, elle a laissé le champ libre à l’irruption, théorisée par Carl Schmitt, du « partisan » sur la scène politique. En face d’une légalité abstraite et sans pouvoir puisqu’elle a renoncé à l’exercice de la puissance, le partisan dresse sa propre légitimité : c’est toute l’histoire de la République de Weimar…
On pourrait objecter qu’aujourd’hui, face à une éventuelle guerre civile dont il porterait seul l’effrayante responsabilité, l’État bourgeois peut compter sur les capacités répressives des forces du maintien de l’ordre. Mais dans la mesure où il s’agit d’une « sécurité » toute aléatoire puisqu’une simple légalité chasse l’autre, une telle caricature d’État est idéologiquement désarmée en vertu de ce principe, souligné par Carl Schmitt, que « celui qui ne possède pas la puissance de protéger quelqu’un n’a pas non plus le droit d’exiger l’obéissance ». Sa seule et dérisoire défense, c’est de compter cyniquement sur l’hébétude des peuples européens anesthésiés par la consommation de masse, attitude que Carl Schmitt flétrit du terme de « politique du non-politique ».
Ayant donc renoncé au plein exercice de leur pouvoir, en s’interdisant l’éventuel recours à la force, en refusant toute légitimité à la volonté de puissance et en feignant de croire que le conflit est a-normal et que le salut réside dans un pathos pacifiste et mondialiste, c’est finalement l’histoire que les sociétés marchandes refusent.
Telle est, brossée à grands traits, l’analyse de Carl Schmitt, qui tombe comme un verdict.
En guise d’appendice, si l’on considère les criminelles provocations qui « à la manière d’une liturgie démoniaque » et « dans un rite sinistre d’apaisement sacrificiel », – pour reprendre les termes de Giorgio Freda – ensanglantent l’Italie depuis plusieurs années, une hypothèse horrible se dessine.
Ne seraient-elles pas l’ultime et infâme parade d’une démocratie aux abois pour rallier un peuple traumatisé par ces massacres et obtenir de lui, par la terreur organisée, un consensus ? Et du même coup, en criminalisant ces « partisans » qui, à droite, se lèvent de plus en plus nombreux, mettre au ban de « l’Humanité » les seuls qui proposent à leur communauté un véritable projet politique en termes d’histoire et de destin ?
S. Gerbert.