Depuis des années, certains milieux dits « dissidents » prêtent à Donald Trump une profondeur stratégique qu’il ne possède manifestement pas. À chaque volte-face, à chaque reculade, à chaque initiative mal maîtrisée, ils sortent la même rengaine : « C’est un plan. Il faut voir plus loin. Il sacrifie une pièce pour en prendre trois. »
Dernier exemple en date : les frappes américaines contre l’Iran en juin 2025. Alors que certains y voient une dangereuse escalade, d’autres se félicitent d’un « génie géopolitique ». Selon eux, tout était prévu : les frappes, la riposte mesurée, l’absence de morts… Le théâtre serait maîtrisé, orchestré, habilement manipulé par un Trump pacificateur camouflé en va-t-en-guerre.
Mais il faut savoir revenir à la raison. Et parfois, les choses sont simplement ce qu’elles paraissent être. C’est là qu’intervient le rasoir d’Occam : entre une explication simple et une construction tortueuse, la première est souvent la meilleure. Trump n’est pas Machiavel. Il n’est même pas Kissinger. Il est Trump : un homme d’impulsion, d’égo, de spectacle, et non un artisan d’un quelconque « nouvel ordre multipolaire ».
Il est temps d’en finir avec cette relecture illusoire des faits, qui maquille en génie chaque improvisation grossière, chaque revers maquillé en victoire, chaque bombe larguée comme un coup d’échecs millimétré. Trump n’est pas un stratège, c’est un communicant. C’est un vendeur, un homme de spectacle. Il réagit à chaud, il change d’avis d’un jour à l’autre, il gouverne selon son audience et son intuition, pas selon un plan à long terme.
Ceux qui continuent à voir en lui un génie caché confondent improvisation avec maîtrise, et chaos avec stratégie de déstabilisation. Mais le simple fait de provoquer l’imprévisible ne fait pas de vous un stratège : cela fait de vous un pyromane, pas un pompier.
La comparaison entre les frappes américaines sur l’Iran et un combat de catch a fait florès, notamment dans les milieux partisans de QAnon. Comme dans le catch, tout y serait chorégraphié : les coups seraient réels mais convenus, les ennemis apparents seraient en réalité complices, et chaque explosion ne viserait qu’à tromper le public tout en délivrant un message caché. Cette analogie est révélatrice : elle montre jusqu’où certains sont prêts à aller pour ne pas regarder la réalité en face. L’idée que la guerre serait un spectacle mis en scène par des acteurs éclairés est non seulement infantile, mais dangereusement détachée du réel.
Cette lecture suppose une rationalité parfaite de tous les acteurs. Elle oublie que la guerre est toujours un risque, que l’erreur est possible, que l’escalade est souvent le fruit d’un malentendu. Rien ne prouve que les frappes de Trump étaient planifiées comme un théâtre, et tout porte à croire qu’il s’agit plutôt d’une action improvisée, dictée par des impératifs de communication internes : remonter dans les sondages, apparaître comme un chef de guerre, et museler les critiques internes. En clair : une opération de politique intérieure déguisée en coup de semonce géostratégique.
L’épisode des frappes américaines sur les installations nucléaires iraniennes illustre à merveille cette dynamique. Certains commentateurs ont prétendu que ces frappes faisaient partie d’un « scénario écrit », comparant l’ensemble à un combat de boxe truqué ou à un combat de catch scénarisé. Trump y aurait, selon eux, joué un double jeu subtil : rassurer Netanyahou et les faucons en neutralisant symboliquement la menace iranienne, tout en évitant une guerre réelle pour contenter son électorat pacifiste. Cette interprétation s’inscrit pleinement dans la logique QAnon, où tout est théâtre et message crypté. Or les faits montrent que, malgré les dégâts réels, l’absence de victimes est surtout due à la retenue iranienne et à une coordination implicite pour éviter l’escalade. Trump a agi non pour pacifier, mais pour séduire son socle, galvaniser les faucons sans plonger dans l’enlisement. Ses motivations réelles relèvent surtout d’un désir constant de plaire au lobby sioniste, qu’il soit chrétien ou juif, et de s’aligner systématiquement sur les intérêts de l’État d’Israël, auquel il ne cherche aucunement à s’opposer. Cette orientation n’est pas uniquement tactique, elle correspond aussi à sa pensée personnelle : aux États-Unis, nul président ne peut gouverner sans l’aval de ce lobby, et Trump le sait mieux que quiconque. Loin d’un équilibre diplomatique, son action reflète une soumission stratégique et idéologique à une ligne politique dictée par Tel-Aviv et ses relais à Washington.
Ce type de manœuvre a déjà été observé sous son premier mandat, avec l’assassinat du général Soleimani en 2020 ou les frappes limitées contre la Syrie. À chaque fois, l’escalade est évitée de justesse, non par maîtrise, mais par instinct de survie politique. L’Iran, en tant qu’acteur géopolitique rationnel, a choisi la retenue stratégique, mais cette retenue n’était en rien acquise d’avance. Si les Iraniens avaient interprété les frappes comme une déclaration de guerre, ou si un missile avait provoqué des pertes humaines, la riposte aurait pu être immédiate et dévastatrice. La décision de ne pas escalader repose sur des calculs prudents, mais aussi sur une part d’incertitude. Miser sur le sang-froid de l’adversaire, dans une région aussi volatile, relève davantage de la prise de risque que de la stratégie maîtrisée. C’est là toute la faiblesse de la stratégie trumpienne : elle repose sur la chance et la peur de l’autre camp, non sur une vision claire.
Il y a une maladie intellectuelle dans certains milieux : tout interpréter à l’envers. Cette attitude relève clairement de la dissonance cognitive : l’esprit refuse de confronter ses croyances à la réalité observable, et préfère élaborer des justifications alternatives, aussi improbables soient-elles, pour préserver un système de pensée cohérent. Plutôt que de reconnaître une contradiction, il crée une explication parallèle. C’est un mécanisme de défense classique, mais ici poussé à l’extrême idéologique. Ce que les faits contredisent, l’esprit conspirationniste le justifie, chaque reculade devient un calcul, chaque silence un message, chaque échec un mouvement caché.
C’est le cas de certains partisans de Trump, qui refusent de juger le réel tel qu’il est. Au lieu de constater les incohérences, les trahisons, les compromissions du personnage, ils invoquent le fameux « plan ». Trump ne fait rien ? C’est qu’il attend ! Il agit mal ? C’est pour démasquer ses ennemis ! Il abandonne ses alliés ? C’est un leurre pour piéger l’adversaire !
Et au sommet de cette pathologie, il y a le phénomène QAnon. Depuis des années, des milliers de personnes sont persuadées qu’un opérateur anonyme, « Q », délivre des messages codés d’un plan de libération mondiale. Aucun événement ne les dément, car tout est réinterprété. Rien n’est jamais ce qu’il paraît : c’est le monde à l’envers. Là où Trump démontre son impuissance ils voient une stratégie de camouflage, là où il capitule ils voient une feinte. Comme dans un match truqué, les coups sont feints, les adversaires s’échangent des signes, et le public n’y verrait que du feu. Q n’est pas un informateur, c’est un scénariste pour spectateurs en manque de sens.
Mais ce genre de raisonnement est un gouffre sans fond dont on ne sort jamais car il repose sur l’illusion qu’il existerait toujours une explication cachée, un niveau de lecture supérieur que seuls les « éveillés » sauraient décrypter. Or, en vérité, rien n’est caché, tout est écrit. Les mondialistes n’ont jamais dissimulé leurs plans : ils les publient, les exposent, les revendiquent. Davos, le Forum économique mondial, l’Agenda 2030, les documents de la Commission européenne ou des fondations mondialistes comme Open Society : tout est là, noir sur blanc, en accès libre. Ils parlent de réduction de souveraineté, de société numérique de contrôle, de transformation anthropologique. Le problème n’est pas qu’ils cachent leurs intentions, c’est que le grand public refuse de les lire. Le vrai problème, c’est que peu de gens les lisent ou les prennent au sérieux. On finit par déconnecter totalement du réel, à vivre dans une fiction permanente, où les faits ne comptent plus. Il faut couper court à ces délires. Le rasoir d’Occam nous rappelle une vérité simple : quand Trump agit comme un homme impulsif, mal conseillé, et centré sur son image, c’est probablement parce que c’est exactement ce qu’il est.
Le danger de ces lectures tordues, c’est qu’elles empêchent toute lucidité politique. Elles infantilisent les peuples. Elles entretiennent l’espoir en un sauveur solitaire, en un stratège caché, en un messie camouflé.
Mais ce plan n’arrive jamais. Il n’y a pas eu de tribunaux militaires, pas d’arrestations massives, pas de révélations bouleversantes. Il y a eu la réalité brute : un président américain, au service des intérêts de l’Amérique (et de ses bailleurs), qui évite les guerres longues non par amour de la paix, mais par souci d’image et de calcul électoral.
Le contraste est d’autant plus évident lorsqu’on examine le bilan concret de Trump en matière de déclassification et de lutte contre les réseaux pédocriminels. Jusqu’en juin 2025, les promesses de transparence sur les grands dossiers sensibles n’ont donné lieu qu’à des annonces partielles ou des gestes symboliques. La publication de documents sur l’assassinat de JFK, bien que médiatisée, n’a livré aucune révélation bouleversante ; les documents sur Epstein étaient déjà publics ; ceux sur le 11 septembre, Robert F. Kennedy (RFK), Martin Luther King Jr. (MLK) et les OVNIs n’ont même pas été publiés. Quant à la lutte contre les réseaux pédocriminels, elle s’est limitée à des opérations classiques menées par le FBI, sans le moindre lien avec les mythes propagés par QAnon, notamment ceux des tunnels souterrains et des bases secrètes. Aucun fait vérifiable ne confirme ces théories, mais leur diffusion a permis de bâtir une image fictive de Trump en justicier de l’ombre.
Il faut avoir le courage de penser sans idole. Trump n’est pas un idiot, mais ce n’est pas non plus un génie. C’est un homme politique occidental, avec tout ce que cela suppose de cynisme, de carrière, de communication, de compromis. Il peut déranger l’establishment sans le renverser. Il peut se heurter aux institutions sans les détruire. Il fait partie du système, même quand il s’y oppose en surface.
La vérité, c’est que le monde ne se résume pas à des stratégies invisibles d’hommes cachés. Il se joue souvent au grand jour, dans l’approximation, dans l’erreur, dans l’émotion, dans le désordre. Ce qui s’est passé en juin 2025 entre les États-Unis, l’Iran et Israël n’est pas un plan détaillé, c’est une série de gestes improvisés, contrôlés par la peur de l’engrenage, et si personne n’est mort, tant mieux, mais ce n’est pas la preuve d’un plan génial, c’est peut-être simplement de la chance.
Il faut cesser de vouloir que le monde obéisse à des logiques secrètes. Il faut le regarder tel qu’il est. Avec ses incohérences. Avec ses conflits réels. Avec ses rapports de force. Et surtout, il faut s’arracher à cette croyance dangereuse dans l’homme providentiel. Ce n’est pas Trump, ce n’est pas Q, ce n’est pas un général anonyme.
C’est dans la clarté, la vérité, et l’action réelle que pourra se rebâtir un mouvement politique digne de ce nom, le reste n’est que mythe consolateur pour dissident désabusé.