La question fort complexe de l’Ukraine revient au premier plan de l’actualité. Nous devons, certes, débroussailler la situation présente qui s’inscrit dans un contexte d’agression de l’Occident anglo-saxon contre la Russie. Mais si l’on veut en saisir la pleine dimension, il est indispensable de replacer la crise actuelle dans la longue durée. Un exposé, que nous espérons clair, d’une histoire millénaire tourmentée, est essentiel pour saisir l’ampleur du sujet.
Pour retrouver la première partie de ce sujet : L’Ukraine : Galicie, Petite Russie, Nouvelle Russie – Partie I
Pour retrouver la deuxième partie de ce sujet : L’Ukraine, République socialiste soviétique – Partie II
Troisième partie : de la dissolution de l’URSS à aujourd’hui
La dissolution de l’URSS
En 1989, lors de la perestroïka, le Mouvement national ukrainien, Roua, est créé. Aux élections de mars 1990, les partis ukrainiens du « bloc démocratique » obtiennent environ 25 % des sièges au Parlement. Sous l’influence des députés de ce « bloc », le Parlement adopta, le 16 juillet 1990, la Déclaration sur la souveraineté politique de la République d’Ukraine. Puis l’indépendance fut proclamée le 24 août 1991 et confirmée par référendum le décembre 1991 par 90,5 % des votants, celui-ci précédant de peu la dissolution de l’URSS le 8 décembre, remplacée par la CEI (Communauté des Etats indépendants) aux liens interétatiques très distendus.
Par le Mémorandum de Budapest du 5 décembre 1994, l’Ukraine abandonnait son arsenal nucléaire en échange de la garantie, par les Etats-Unis, le Royaume-Uni et la Russie, de son intégrité territoriale. Notons que cet accord conduisait plutôt à une neutralisation de l’Ukraine. Or le comportement occidental n’a été qu’un processus continu d’entorse à cette neutralisation. La Russie ne peut rester sans rien dire et faire.
La décennie 1990 voit en effet les Occidentaux, profitant de l’affaiblissement russe, constituer leurs réseaux dans l’ancienne URSS. Si, en Russie, l’arrivée de Vladimir Poutine au pouvoir change la donne, ce n’est pas le cas en Ukraine. Depuis 1991, les Etats-Unis y financent des groupes politiques pro-européens par l’intermédiaire d’ONG comme la Fondation Carnegie. La diplomate américaine Victoria Nuland, liées aux néo conservateurs américains, a indiqué que ce financement avait dépassé 5 Mds $ entre 1991 et 2013.
Tout a été fait pour séparer l’Ukraine d’avec la Russie. Lorsqu’un président « pro russe », Vilctor Ianoukovitch est élu en 2004, ces réseaux déclenchent la « Révolution orange » et obtiennent sa démission, la tenue d’une nouvelle élection et son remplacement par Viktor louchtchenko.
Ianoukovitch est accusé d’être mafieux : certes cet homme est peu respectable mais tout le personnel politique en Ukraine est mafieux, ou sous l’influence d’« oligarques » tels Rinat Akhmetov (qui vient de quitter l’Ukraine en février 2022) Medvedtchouk, Kolomoïsky, Pintchouk (le gendre de Léonid Koutchma), Firtach et l’ancien président Porochenko. Sachons qu’en trente ans d’indépendance, l’Ukraine s’est appauvrie, a vu sa population passer de 51 millions d’habitants en 1990 à 43 millions en 2021, le taux de natalité étant l’un des plus faibles d’Europe. Triste bilan d’un naufrage.
Cela précisé, la logistique de la Révolution orange a été mise en place par les organisations Pora et Znavu, qui ont des liens avec le mouvement Otpor, alimenté par Soros, qui avait réussi à faire chuter le président serbe Milosevic en juillet 2000 et s’était impliqué dans la Révolution des Roses en Géorgie en 2002, ainsi que dans les tentatives du renversement (déjà !) de Loukachenko en Biélorussie.
Ces organisations sont elles-mêmes alimentées par des organisations occidentales, telles le Konrad Adenauer Institut, proche de la CDU, l’Open Society Institute de Soros, le National Democratic Institute for International Affairs, proche du parti démocrate américain – Madeleine Albright, née Korbel, de sinistre mémoire en Yougoslavie, avait financé à hauteur de 65 millions $ un mouvement visant à renverser le précédent président ukrainien Leonid Koutchma (1994-2004) – et la Freedom House, proche du gouvernement américain. Selon le journal britannique The Guardian, le gouvernement des États-Unis, entre autres, a dépensé 14 millions de dollars pour organiser la Révolution orange. Quant au milliardaire israélo-russe Boris Berezovsky il a fait savoir qu’il n’envoyait pas d’argent aux partis (ce que la loi ukrainienne interdit) mais « à des mouvements pro-démocratie » et sur des comptes de proches du président Victor Iouchtchenko qui ont évidemment démenti.
Un nouveau coup d’Etat eu lieu lorsque Ianoukovitch fut (ré)élu en 2013 à la présidence de l’Ukraine. Une crise, connue sous le nom d’EuroMaïdan, fut déclenchée lorsqu’il refusa de signer un accord d’association entre l’Ukraine et l’U.E.. Le 22 février 2014, dans une période de chaos, Ianoukovitch prit la fuite.
L’affaire fut menée par les Etats-Unis avec Victoria Nuland à la manœuvre – des documents la montrent donnant de ordres en direct – et pour cheville ouvrière l’ancien Parti National-Socialiste Ukrainien – avec Bandera pour figure tutélaire – rebaptisé Svoboda (« Liberté ») pendant la « Révolution orange» dix ans plus tôt, et arborant ses drapeaux (main jaune avec trois doigts dépliés sur fond bleu).
Notons le témoignage d’Oleg Tsarev, député à la Rada de Kiev : il prévient dès novembre 2013 qu’il a été abordé par l’organisation publique « Volya » afin de le sonder pour participer au projet « TechCamp » soutenu par l’ambassade américaine à Kiev. Ce projet préparait des spécialistes pour une guerre de l’information utilisant les médias modernes pour discréditer les institutions étatiques et des révolutionnaires potentiels pour organiser des manifestations en vue du renversement de l’État de droit. Des instructeurs américains ont expliqué comment les réseaux sociaux et les technologies de l’Internet peuvent être utilisés pour la manipulation ciblée de l’opinion publique ainsi que pour activer le potentiel de protestation et pour provoquer des troubles violents sur le territoire de l’Ukraine par la radicalisation de la population et le déclenchement de luttes intestines. La dernière conférence « TechCamp » a eu lieu les 14 et 15 Novembre 2013 à Kiev à l’ambassade des États-Unis, signalait Tsarev. On sait ce qu’il est advenu en février 2014.
L’Ukraine instrumentalisée par l’OTAN
Alors qu’en toile de fond, les Américains appliquent le programme de Brezinsky énoncé dans son livre « Le Grand Echiquier » qui vise à priver la Russie de l’Ukraine pour en faire un Etat de seconde zone – et sans oublier leurs intérêts économiques (il y a des gisements de gaz de schiste en Ukraine) -, la fracture entre Ukrainiens occidentaux et Ukrainiens orientaux apparaît ici plus que jamais.
Le 23 février 2014, juste après le changement de pouvoir, les pro-Maïdan sont minoritaires dans le sud-est, notamment à Odessa, Donetsk et le Donbass, ou bien à Kharkov où des anti-Maïdan les affrontent Une partie de l’Est ne reconnaît pas les nouvelles institutions, ainsi que certains députés du Parti des Régions, alors même qu’ils ont lâché Ianoukovytch. Des Russes sont brûlés vifs à Odessa, crime lesté impuni. Ce qui a mis le feu aux poudres est l’abrogation de la loi sur les langues régionales de 2014, qui confère au russe et à d’autres langues le statut de langue officielle dans 13 régions sur les 27 de l’actuelle Ukraine.
Depuis lors, le Donbass est en situation de guerre larvée qui a déjà fait des milliers de morts. Les « Accords de Minsk » de février 2015, signés selon le « Format Normandie » (Hollande, Merkel, Porochenko, Poutine avec des représentants des sécessionnistes) mettant en place un cessez-le-feu et censés apaiser la situation n’ont jamais été appliqués, Kiev ayant toujours refusé ; mais sont-ils applicables alors qu’ils concernent une ligne de fracture séculaire au sein de l’Europe et actuellement envenimée sans cesse par les Occidentaux ?
Actuellement, les nationalistes ukrainiens, héritiers de Bandera, autrement dit Galiciens, bien que très minoritaires, sont implantés à Kiev et secondent la politique anti-russe inspirée par les Occidentaux. Les partis Pravy Sektor et Svoboda participent aux combats dans le Donbass au côté des forces de Kiev.
Bref, chacun jouant sa partie, réapparaît la division géographique et sociétale de l’actuelle république d’Ukraine entre les Ukrainiens de l’Ouest, que nous appellerons Ruthènes et qui n’ont jamais été sous l’autorité russe jusqu’en 1939, ceux de la région de Kiev, jadis appelée « Petite Russie », englobée dans l’empire des tsars en 1654, et la Novaïa Rossia, la Nouvelle Russie colonisée à partir de Catherine II, qui s’étend jusqu’à Odessa. Nous retrouvons, inchangées, les limites héritées de l’histoire que nous avons rapportée précédemment dans ce dossier. Depuis 2014, avec cette « ukrainisation » linguistique, l’Ukraine est plus que jamais fracturée. Les régions russophones les plus proches de l’Etat de Russie ont fait sécession, provoquant ce que l’on appelle la « Guerre du Donbass ». Un projet d’Etat intitulé La Nouvelle-Russie, aussi dénommée Union des républiques populaires, a été lancé pour réunir les deux Etats sécessionnistes de Donetsk et de Lougansk. Mais le projet a été gelé en mai 2015, bien que l’actuelle crise de 2022 l’a relancé au point que Poutine a décidé de reconnaître les Républiques de Donetsk et Lougansk face aux provocations délibérées des Occidentaux.
Un parti, le « Parti de la Nouvelle Russie », dirigé par Pavel Goubarev, revendique la création d’une république de Nouvelle Russie, incluant les actuels oblasts (régions) ukrainiens de Kharkov, Kherson, Odessa, Nikolaïev, Zaporojie, Dniepropetrovsk, voire la Transnistrie, cette petite région pro russe qui s’est déclarée indépendante de la Moldavie en 1991 et qui est séparée de la Russie par le territoire ukrainien. Mais Un tel Etat rejoindrait inévitablement la Russie.
Lors de discussions à Genève sur l’Ukraine, V. Poutine avait rappelé à bon droit lors d’une émission télévisée (The Guardian 17/04/2014) que les parties sud et est de l’Ukraine faisaient partie de la Nouvelle Russie et n’avaient été intégrées à l’Ukraine qu’en 1920. Il l’a réitéré magistralement et objectivement dans son discours érudit du 21 février 2022, mettant notamment en cause Lénine.
Des recompositions inévitables
En l’absence d’une fédéralisation de l’actuelle Ukraine, refusée par l’actuel président Zelensky – un « produit » Mc Kinsey, donc de la CIA et ancien comique qui mimait de jouer du piano avec son pénis !- les justes revendications des Russes d’Ukraine ne pourront qu’aboutir à la partition d’un Etat aux limites artificielles qu’il est hypocrite et irréaliste de nier. La création d’un Etat ruthène avec Lvov pour capitale paraît chose raisonnable. Le problème épineux sera l’établissement des nouvelles délimitations : en ce domaine, rien n’est jamais entièrement satisfaisant Quoi qu’il en soit, les choses ne peuvent rester figées. Et soyons réalistes : sur le long terme, le tropisme naturel russe vise à recouvrer au moins une partie de l’Ukraine, comme la France voulait recouvrer l’Alsace-Lorraine.
La crise de 2022 vient de ce que les Occidentaux, à travers l’OTAN, continuent à avancer leur glacis tout autour de la Russie (cf. L’Otan, puissance d’agression, Militant n° 738), contrairement aux engagements pris auprès de Gorbatchev en 1990, ce que Roland Dumas, alors ministre français des affaires étrangères, a confirmé le 15 février 2022.
Comme tout Etat affaibli, la Russie a été l’objet à partir de 1991 de convoitises et les Etats-Unis figurent au premier rang des prédateurs. La politique conduite depuis 1999 par Vladimir Poutine a mis fin à cet abaissement mais les Etats-Unis n’ont cessé de vouloir contrôler cet immense pays par tous les moyens disponibles, qu’il s’agisse de la finance, de l’économie, largement pillée au cours des années 1990, de l’encerclement géopolitique, comme l’on montré les révolutions de « couleur» et dernièrement les crises ukrainiennes de 2014 et de 2022.
Les gouvernements états-uniens, en voulant maintenir une suprématie déclinante, attisent la séparation millénaire du continent européen en deux entités séparées, voire hostiles. Or l’Europe ne peut assurer son avenir qu’en fédérant les forces des différents peuples qui la constituent L’Ouest européen ne se sauvera pas sans la Russie et la Russie, qui a une économie dominée par la rente de la vente de ses matières premières et souffre de ne pas avoir de « Mittelstand » – à savoir ce tissu de petites et moyennes entreprises qui constituent le cœur vivant de toute économie – ne se redressera pas aussi vite que cela est souhaitable sans l’Europe de l’Ouest. Il faut solder les errements venimeux des conflits et des traités empoisonnés d’idéologies du XXe siècle et rétabli le concert traditionnel des nations.
Cela, Vladimir Pouline le sait et il a multiplié les propositions de partenariat dès l’an 2000. La dernière en date est celle de la création d’une zone de libre-échange avec l’U.E., faite par le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov lors d’une rencontre avec des représentants de l’Association des affaires européennes (AEB) en octobre 2014.
En 2015, Vladimir Chiztrov, ambassadeur de la Russie auprès de l’U.E., avait proposé, dans un article publié par l’EU Observer « d’explorer la possibilité d’établir un espace économique commun dans la région eurasienne, dont les pays concernés par le Partenariat à l’Est (une politique de l’U.E. visant à resserrer les liens avec l’Arménie, l’Azerbaïdjan, la Biélorussie, la Géorgie, la Moldavie, l’Ukraine) », invitant les Etats occidentaux à cesser de « dépenser autant d’énergie politique pour une zone de libre-échange avec les États-Unis, alors que vous avez des partenaires plus naturels à vos côtés, plus proches de chez vous » (eurobserver.corn, 02-01-2015).
Vladimir Poutine a enfin proposé le 17 décembre 2021 deux projets de traités (« traité entre les Etats-Unis et la Fédération de Russie sur les garanties de sécurité » et « accord sur les mesures pour assurer la sécurité de la Fédération de Russie et des Etats membres de l’OTAN ») développant sa vision de la sécurité collective du continent pour garantir et maintenir la paix dans le respect des intérêts de toutes les parties. A chaque fois, les propositions russes ont fait l’objet d’une fin de non-recevoir quand elles ne sont pas restées sans réponse.
L’Europe a deux poumons. Elle ne saurait respirer longtemps avec un seul.
Source : MILITANT n°746, mars 2022, L’Ukraine à la charnière de l’Europe
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