Le 18 novembre dernier, la Cour suprême de New York renversait le verdict de culpabilité de deux hommes noirs inculpés dans le meurtre du leader suprématiste noir Malcolm X en 1965. Ainsi, Muhammed Aziz, âgé de 83 ans et sorti de prison en 1985 et Khalil Islam, libéré en 1987 et mort en 2009, se voyaient finalement innocentés du meurtre, pour lequel un troisième homme, Mujahid Abdul Halim, avait aussi été reconnu coupable en 1966.
Depuis ce temps, la troisième fille de Malcolm X, Ilyasah Shabazz, ne cesse de réitérer sa demande pour qu’enfin une enquête fédérale soit ouverte sur ce meurtre désormais officiellement non-résolu.
L’esprit BLM et la présentation en 2020 du documentaire Netflix Who killed Malcolm X ? ne sont pas tout à fait étrangers à cette révision juridique. Toutefois, il s’agit d’une excellente nouvelle, car le jugement rendu met en lumière le rôle du FBI qui fit porter le chapeau à Aziz et à Islam, en cachant notamment des preuves et en occultant le travail de certains agents informateurs. Voilà un bon prétexte pour aller plus loin et se questionner sur qui a réellement tué Martin Luther King.
On attribue généralement le meurtre de Martin Luther King, le 4 avril 1968 à Memphis, à un criminel de droit commun alors en cavale, James Earl Ray. Ce dernier se trouvait bien à Memphis dans un véhicule similaire à celui vu par les témoins, et il avait une arme à feu, mais le dossier de l’État se limite justement à ces trois preuves circonstancielles, ainsi qu’à un plaidoyer de culpabilité obtenu après un isolement carcéral de plusieurs semaines, les lumières ouvertes jour et nuit, ce qui avait affecté son moral et sa santé mentale. Il n’y eut jamais d’enquête balistique pour lier le fusil de Ray à la balle ayant abattu le célèbre activiste noir; on ne donna jamais non plus le droit à Ray de se défendre en cour, toutes les tentatives d’obtenir un procès ou un appel s’étant soldées par des échecs. Mieux, on n’expliqua jamais pourquoi ce criminel de profession, évadé d’une prison du Missouri, aurait tué King, lui qui n’avait jamais professé la moindre opinion politique. Et pourtant, la thèse officielle voulait qu’il ait agi seul, de son propre chef.
Il y eut deux témoins qui virent le tireur de leurs propres yeux : Monsieur et Madame Stephens. Le premier, fortement en état d’ébriété cette soirée-là, confirma que le tireur était bien Ray, avant de se récuser plusieurs années plus tard. Madame Stephens, qui donna un portrait fort différent de celui correspondant à Ray et qui nia qu’il s’agissait de lui, fut quant à elle mystérieusement internée dans un hôpital psychiatrique durant une dizaine d’années.
Pour le leader noir Jesse Jackson, l’implication directe de l’État et notamment du FBI, alors mené par J. Edgar Hoover, ne doit pas être écartée. Selon lui, qui a d’ailleurs préfacé l’ouvrage de James Earl Ray, « personne de sensé, après avoir analysé les preuves, peut croire que cet homme seul, James Earl Ray, qui avait toujours échoué tout ce qu’il avait entrepris, même dans le domaine du crime, ait pu, en agissant seul, tuer Martin Luther King, s’enfuir de Memphis le 4 avril 1968 en plein heure de pointe, voyager au Canada et en Angleterre avec des passeports internationaux, éviter les recherches internationales le visant, avant de se faire arrêter par la suite. »
En effet, c’est passablement gros à avaler. Et pourtant, c’est là la thèse officielle. Étrangement, les dossiers liés à ce meurtre sont sellés jusqu’en 2027. Que révèlent-ils? On ne peut que spéculer sur ce sujet, mais pour Ray qui a toujours maintenu son innocence, même après des décennies derrière les barreaux, ces documents permettraient de l’innocenter.
Jesse Jackson est loin d’être le seul leader noir à douter de la culpabilité de Ray; la propre famille de King, notamment sa femme Coretta et son fils Dexter, appuya les demandes de Ray pour un véritable procès en 1997. Ils gagnèrent d’ailleurs un procès contre « d’autres conspirateurs » en 1999, après la mort de Ray, ce qui venait confirmer que Martin Luther King n’avait pas été abattu par un homme seul, le policier Loyd Jowers ayant été impliqué directement.
Pour le public américain, la culpabilité de Ray ne fait pas de doute : de nombreux articles et livres parurent pour étayer la version officielle. On y retrouve une foule de demi-vérités et de mensonges; Life expliquant notamment en 1968 que le décès du père alcoolique de Ray expliquait son mauvais caractère. Plus c’est gros, mieux ça passe : non seulement le père ne buvait qu’à l’occasion, mais il mourut en 1985, 17 ans après l’article en question.
Tout pousse donc à une réouverture du dossier de Ray, au nom de la vérité historique et de la justice. Pourtant on doute que le cas soit réouvert, ne serait-ce que parce que les fameux dossiers sont toujours scellés et seules des informations partielles ont été publiées.
Il faut aussi pousser la réflexion plus loin. Le racisme du FBI est pointé du doigt, tant dans le cas de Malcolm X que dans celui de Martin Luther King, mais il s’agit d’une vision simpliste : cette analyse n’est pas totalement dénuée de fondements, car il est vrai que les organismes tels le FBI et certaines agences gouvernementales, via notamment le programme COINTELPRO dirigé par Cartha D. Loach, agirent à cette époque comme une garde prétorienne pour une élite, qui était blanche. Là où nos opposants font fausse route, c’est qu’ils croient que cette oligarchie représentait les blancs, d’où le concept de « privilège blanc ». Seulement, non seulement cette ploutocratie n’était pas uniquement blanche, comprenant alors de nombreux juifs et aujourd’hui des gens de toutes les races, mais elle n’avait et n’a aucune conscience raciale. Les ouvriers blancs de Milwaukee, les planteurs blancs de Géorgie et les pêcheurs blancs d’Alaska, n’avaient et n’ont aucun avantage au maintien de cette caste qui défend d’abord et avant tout ses propres intérêts. Le fait que la majorité de cette élite économico-politique soit blanche ne bénéficie rien aux Blancs.
D’ailleurs, le programme COINTELPRO, lancé en 1956 et seulement tempéré officiellement en 1976, s’attaqua aussi aux nationalistes blancs, un fait que de nombreux « historiens » manichéens oublient. La garde prétorienne de l’oligarchie s’attaqua autant à l’extrême gauche qu’à l’extrême droite, autant aux nationalistes noirs qu’aux nationalistes blancs. Quiconque menaçait le statu quo permettant d’exploiter en rond, se retrouvait sur la liste noire.
Ainsi, le FBI avait des dossiers fort étoffés sur toutes les organisations de droits blancs, autant celles tout à fait légales constituées en tant que lobbys politiques tels les Conseils de citoyens, que celles plus extrêmes comme le Parti national-socialiste américain de Georges Lincoln Rockwell, histrion du mouvement racialiste américain. Dans les dossiers du FBI déclassifiés on apprend que l’agence gouvernementale produisait de faux documents pour attiser les tensions au sein du groupe de Rockwell et favoriser les dissensions. Cet aveu de taille démontrant la pratique d’actes illégaux nous laisse imaginer ce qui se trouve dans les documents qui n’ont toujours pas été déclassifiés et qui restent confidentiels malgré les décennies écoulées. La plupart des dossiers de cette époque qui sont « accessibles » sont caviardés et livrés avec des pages censurées, des paragraphes effacés. La malhonnêteté candidement avouée par le FBI dans ce qui est licite de lire laisse présager des informations encore plus compromettantes dans ce qui n’a pas encore été dévoilé et ne le sera probablement jamais.
Le COINTELPRO employa des agents saboteurs et provocateurs, puis des personnes infiltrées payées à la pièce, qui avaient donc intérêt à donner des informations percutantes, réelles ou non. Les archives démontrent que certaines de ces taupes étaient à l’origine à moralité douteuse, soit des criminels de droit commun, des drogués ou des personnes visant à se racheter par la délation.
Le rôle trouble de l’agence fédérale fut ainsi avéré dans différentes causes impliquant des nationalistes blancs. Il y eut l’affaire fort médiatisée de Ruby Ridge en 1992, dans laquelle le prévenu Randy Weaver fut finalement innocenté, car il fut prouvé que son geste criminel avait été motivé par un agent actif du FBI. Sa femme, tuée par un agent fédéral lors de l’invasion de la propriété de Weaver, ne retrouva évidemment pas la vie suite à cet aveu, mais Weaver reçut un dédommagement substantiel, preuve de la culpabilité de l’agence. Les accusés du massacre de Greensboro en 1977 furent eux-mêmes innocentés par la justice, malgré les preuves accablantes contre eux, à cause de l’implication directe d’agents du FBI à l’origine de la confrontation meurtrière.
On espère donc que la logique qui permit d’innocenter Muhammed Aziz et Khalim Islam s’applique à d’autres cas. Quand on étudie l’histoire du mouvement blanc américain, la duplicité du FBI ne fait aucun doute, ce qui est désormais admis pour le mouvement noir. Au nom de la vérité historique, il convient donc de ne pas se limiter au meurtre de Malcolm X et de rouvrir les enquêtes sur quelques évènements de cette période trouble de l’histoire américaine, dont le meurtre de Martin Luther King et pourquoi pas celui de Medgar Evers, officiellement imputé à Byron De La Beckwith, le coupable idéal, quoique pas nécessairement le bon.
De notre correspondant en Amérique du Nord
Sur les assassinats de Martin Luther King
et des freres John et Bob Kennedy, en 1972 Jean Michel Charlier, l’un des plus grands et des plus prolifiques scénaristes de bande dessinée de l’école franco-belge. crée deux de ses « Les dossiers noirs », pour France 3, une grande série d’enquêtes video consacrées à des personnages ou à des événements sur lesquels plane encore un mystère : l’affaire Stavisky, Al Capone, et le fameuse interview a Leon Degrelle