« En Vendée, l’impensable y a été fait (tanneries de peaux humaines, fonte des graisses…) ; l’inimaginable a été essayé (mines antipersonnel, empoisonnement à grande échelle, gazage…). La Vendée a été un laboratoire grandeur nature. » (Reynald Secher)
Reynald Secher : Né le 27 octobre 1955 à Nantes (Loire-Atlantique), il est historien, docteur d’État en lettres et sciences humaines, écrivain et scénariste français. Ses travaux portent principalement sur le génocide vendéen.
Partie 1 :
- Fonctionnement sous l’ancien régime
- Les lois scélérates des révolutionnaires
- Les causes du soulèvement vendéen : Ses causes religieuses 1 : les contraintes imposées aux prêtres, Ses causes religieuses 2 : l’arrivée du clergé nommé par la république et l’ordre de levée de masse
- Les prémices vers la guerre
- Le début de la guerre : la stratégie de défense, constitution des troupes, la stratégie de bataille, points faibles de l’armée vendéenne
Fonctionnement sous l’ancien régime
Il faut savoir qu’il y a un attachement à la monarchie dont on ignore s’il est formel ou profond. Ce n’est pas propre aux campagnes, puisque la ville de Nantes élève une statue du roi. Sur une base où les décisions étaient prises à la majorité des voix, on procède à l’élection des fabriqueurs, leurs fonctions principales sont traditionnelles (inventaires des biens, quêtes, fixation des ordres du jour, constitutions de rôles, pouvoirs de police), ils peuvent, occasionnellement, s’occuper d’autres problèmes (érections de digues, comblement des fossés, etc.) Mais la population attend d’eux des avantages matériels, notamment des allégements d’imposition ou des déclarations tronquées de cheptel. Les fabriqueurs se sous-imposent et leurs amis en profitent. Cette gestion explique, en partie, l’état délabré dans lequel se trouvent la majorité des édifices religieux à la veille de la révolution. L’ensemble de la communauté est sensible au vieillissement de cette institution et le clergé est donc fondamentalement en accord avec la population. Eux aussi accueillent par conséquent très favorablement, voir même avec enthousiasme les principes fondamentaux de la révolution.
Les lois scélérates des révolutionnaires
Le tribunal révolutionnaire est constitué de magistrats et de juges nommés par la Convention. En conséquence, ce système est transformé en un instrument purement politique composé d’une part d’agents nationaux, choisis par le même organe et ancrés auprès de chaque municipalité et district ; d’autre part, les représentants en mission, investis de pouvoirs dictatoriaux pour requérir et poursuivre l’exécution des lois révolutionnaires.
Il y a la proclamation de la constitution civile du clergé, le 12 juillet 1790, l’abolition des vœux de religion et la nationalisation des biens de l’Église et leur vente. C’était une erreur voulue et non accidentelle qui allait obliger le clergé, pour rester fidèle à l’Église et à ses engagements sacerdotaux, à refuser son obéissance à l’État. L’article IV, du titre I de cette constitution, défend à toute église et paroisse de France, ainsi qu’à tout citoyen français, de reconnaître sous quelque prétexte que ce soit, l’autorité d’un évêque nommé par une puissance étrangère (entendez là, Rome). L’article XIX est plus explicite : les constituants décident que tout évêque élu n’aura plus à s’adresser au pape pour obtenir l’institution canonique. Cinquante-deux évêchés se trouvent ainsi rayés de la carte. À Nantes, le 19 juin, l’encensement traditionnel, en signe de respect et selon le rite romain du prêtre, de ses ministres, des fidèles et du corps des défunts est interdit. Le 27 novembre 1790, tous les ecclésiastiques doivent prêter serment à la nouvelle constitution sous peine d’être déchu. Les administrateurs du directoire de Nantes écrivent : « Le jour du Seigneur est arrivé et la céleste Sion va briller d’une lumière plus éclatante et plus pure ». Seuls, deux évêques sur 44 présents avaient acceptés. En réponse, le 10 mars 1791, le pape Pie VI déclare la constitution civile hérétique et schismatique. Sur les 1058 prêtres du diocèse de Nantes en 1791, seuls 159 prêtent le serment. En Vendée, ils sont 207 sur 768. Ils démissionnent et sont remplacés. D’ailleurs, à l’arrivée du prélat à Nantes, le clergé est absent. L’arrêté du 15 mai : oblige les prêtres réfractaires à quitter et s’éloigner de leurs paroisses respectives, sans quoi ils seraient pris en otage. Ces principes sont contraires à la déclaration des droits de l’homme et du citoyen, ils sont illégaux puisqu’il s’agit d’emprisonner des citoyens non condamnés par une action judiciaire. La loi du 3 juin 1790, articles IV et V prévoient même que les curés et vicaires refusant de mentionner au prône à haute et intelligible voix les décrets de l’Assemblée nationale ainsi que toutes les personnes se permettant des excès à l’égard de l’administration soient privées de tous leur pouvoir. La loi du 26 août 1792 : en considération des difficultés, des peines et dépenses extraordinaire que cette recherche, et les moyens de parvenir à la découverte et arrestation desdits prêtres, doivent occasionner à la gendarmerie nationale, il lui sera alloué une indemnité, une somme d’argent dont le maximum ne pourra excéder cinquante livres pour chaque prêtre arrêté et amené au chef-lieu du département, laquelle somme sera prise sur les fonds du trésor public comme dépense nécessaire dérivant de l’exécution de l’article IV de la loi du 26 août 1792 à l’instar des frais d’arrestation et de conduite à cette fin, il en sera tenu note, et fait un état général, pour être envoyé au ministre de l’Intérieur.
Les causes du soulèvement vendéen
En matière économique, la masse de l’impôt a doublé globalement en soixante ans. À partir de 1732, on ne peut ni arracher, ni replanter la vigne sans faire de déclaration, sous peine d’amende à l’administration, bien que les paysans détournent ce système assez aisément. Bon nombre d’entre eux se livrent à la chasse. Cet état de fait explique, entre autres, le nombre considérable de fusils détenus par le pays sous la révolution et l’habilité des paysans à tirer. Concernant la mise en place des municipalités, la grande majorité des membres sont artisans ou commerçant et ils sont également les seuls habitants à posséder l’argent « sonnant et trébuchante ».
Puis, les nouvelles lois, notamment la nationalisation des biens de l’Église et leur vente, puisque la fabrique perd toute raison d’être. Les acquéreurs des grands domaines sont essentiellement des étrangers à la commune. Les habitants, en conséquence, ne parlent pas ou peu de supprimer le système féodal. Par formalisme, ils en demandent un adoucissement et peut-être surtout une rationalisation, notamment au niveau de la justice.
Enfin, l’ordre de levée de masse des populations : le retour massif des volontaires de 1791, après leurs deux années d’engagement, avec armes et bagages, a mis fin à la première offensive française. Les Autrichiens en profitent alors pour revenir en force ; les Prussiens étaient déjà repartis : de là les sièges de Mayence, Condé, Valenciennes, etc. et la nécessaire levée en masse de 1793. Le gouvernement réquisitionne soudain 300 000 hommes pour les envoyer on ne sait où : soit pour appartenir à des troupes pourchassant les prêtres réfractaires, soit pour défendre un régime haï.
Voici une réponse de la population : « Que la milice qui fait sortir le laboureur du sein de sa famille, et dépeuplé les campagnes, soit supprimée ! » ou encore plus explicite : « Comment ! Nous allons aller nous battre pour un gouvernement pareil ! Partir à l’appel de gens qui bouleversent toutes les administrations du pays, qui font monter le roi à l’échafaud, qui mettent en vente tous les biens de l’Église, qui veulent nous imposer des prêtres dont nous ne voulons pas et qui jettent en prison nos vrais pasteurs ! Jamais ! De mémoire d’homme aucune levée semblable n’a été faite dans le pays.
Nos bons prêtres et pas de tirages ! » S’exclament les habitants de Saint-Julien-De-Concelles.
Les causes religieuses 1, les contraintes imposées aux prêtres : Les Frères des écoles chrétiennes, en novembre 1792, sont exclus sous prétexte qu’on était étonné que des hommes qui avaient des principes opposés à la révolution voulussent se charger de l’instruction publique. Le revenu imposable du curé s’élevant à 398 livres est majoré de 600 ; sa servante se trouve imposée malgré le décret de l’Assemblée nationale qui exempte de la capitation tout domestique au-dessus de soixante ans. La colère monte d’un cran supplémentaire devant l’ordre donné de brûler les galons de soie et d’or, les ornements des églises, d’enlever les plaques tombales, de cuivre ou de fonte, et de confisquer les cloches. On commence à menacer de chasser les pouvoirs publics. Ceux-ci accusent les prêtres réfractaires d’être à l’origine de la colère populaire. Les municipalités, qui sentent la situation leur échapper, incitent parfois les prêtres à ne pas abandonner leur charge. À Nantes, une force de 1200 à 1500 gardes nationaux ont été mobilisés pour arrêter les prêtres réfractaires. À La Chapelle-Achard, le 27 avril 1792, le curé étant prêt à partir, on se demande quel prêtre requérir pour les enterrements, baptêmes et mariages. L’autorité révolutionnaire envoie des gendarmes pour mettre des scellés sur les portes de l’église. Grande est leur surprise, le lendemain dimanche, d’entendre, sur les 10 heures, sonner à toute volée. Ils s’arment à la hâte et accourent. La foule des paroissiens est répandue dans le cimetière et agenouillée sur les pierres tombales, dans le silence et le recueillement le plus profond. Les gendarmes : « Que diable faites-vous là ? Réponse : Notre curé, en partant, nous a promis que tous les dimanches, à cette heure même, il dirait la messe pour nous, en quelque lieu qu’il se trouve. Les gendarmes : Imbéciles de superstitieux ! Croire qu’ils entendent la messe de l’endroit où on la dit. Réponse : La prière fait plus de cent lieues, puisqu’elle monte de la terre au ciel. Les gendarmes : Et croyez-vous être ici dans une église ? Sauvages que vous êtes. Réponse :Nous sommes dans un lieu saint sur les ossements de nos pères. » Au grand effroi des populations, il n’y a plus de baptêmes. Les enterrements se célèbrent sans cérémonie en présence du sacristain ou du fossoyeur près de la tombe. À la Chapelle-Bassemère, de mars à décembre 1792, soit huit mois, un seul mariage est célébré, les années précédentes, dans le même laps de temps, il y en avait une vingtaine.
Les causes religieuses 2, l’arrivée du clergé nommé par la république, ces imposteurs sont appelés « truton » (intrus) par la population, car ils ne sont pas nommés par l’Église de Rome. Selon les nouveaux curés, les principes révolutionnaires vont enfin apporter leurs lumières aux vieilles coutumes du christianisme. Pour l’administration du baptême, le recours à la force armée est nécessaire. Prenons cet exemple du capitaine Payer, qui envoie quatre gardes nationaux dans les familles où il y avait des nouveaux-nés. Ils en apportent dix-huit à l’église pour les faire rebaptiser par le truton. Le capitaine Payer, lui-même veut être parrain d’une petite fille, à la question de l’intrus : « que demande cet enfant ? » La mère, au lieu de répondre favorablement à la demande du parrain prétendant répond : « rien ! » Le capitaine entre en fureur, fait arrêter la mère, on lui coupe les cheveux, on lui enlève le mouchoir qu’elle a sur les épaules, et on la fait monter selon la farce du jour, à rebours sur un âne. Elle est ainsi promenée dans les rues du bourg. La réaction des populations est parfois très drôle, au Lorroux-Bottereau, lorsque le curé jureur arrive célébrer, il trouve l’église tellement encombrée qu’il a de la peine à se frayer un passage au milieu d’une foule qui le bouscule de tous côtés. Au moment où il monte à l’autel, l’église est vide ! Un truton déclarera qu’il n’y a ni Dieu ni diable qui puisse le retenir, ce peuple n’est pas fait pour vivre sous un régime de liberté mais d’esclavage, il a le crâne trop épais. Certains trutons sont insultés, bafoués à l’autel, poursuivi à coups de pierres, ils n’ont ni chantre, ni sacristain, ni clerc et, pour tout dire, même pas de paroissiens. En Vendée, la situation est telle que le directoire, le 9 mars 1792, prend un arrêté qui requiert la force armée contre 32 prêtres non assermentés et un sacriste. Les curés assermentés deviennent officiers publics. La plupart portent plus d’intérêt au traitement attaché à la charge qu’aux fonctions ecclésiastiques. Les prêtres légitimes dits : réfractaires restent dans leur pays natal et continuent d’officier. Leur action est triple, ils administrent la paroisse parallèlement aux trutons, ils réaniment la ferveur à partir de leur famille, amis et ouailles. Enfin, ils soutiennent et stimulent la résistance face à l’administration. « On vous avait promis la liberté, on vous a imposé un prêtre jureur. On vous avait promis l’égalité, le cens a été rétabli ». La situation de ces prêtres réfractaires est difficile. Ils sont obligés de vivre dans l’illégalité la plus totale. Par exemple, l’abbé Robin et ses confrères de la Chapelle-Bassemère célèbrent la messe dans les fermes, la cave voûtée du château de la Vrillère, dont la porte est masquée par un tas de sarments. Les fidèles y accèdent par un puits. Peu à peu, avec la clandestinité, de nouvelles habitudes et structures se mettent en place ; elles permettent à des mouvements de résistance et de guérillas de fonctionner.
Les prémices vers la guerre
Les réactions populaires boudent les nouvelles fêtes. Les impositions sont négligées. Le département du Maine-et-Loire semble être le plus atteint. À la fin de 1791, sur les 822 matrices des rôles de l’une ou de l’autre contribution, 50 seulement sont déposées aux districts. Les administrations sont aussi submergées de pétitions. On proteste contre la fermeture des églises, des chapelles, le départ des bons prêtres. A Beaupréeau, à Jallais, à la Mothe-Achard, à Sainte-Pazanne les municipalités vont jusqu’à donner leur démission après avoir refusé de
délibérer. Les démissionnaires sont sommés de rester en place jusqu’à ce qu’ils aient fait l’avance de leur contingent de contributions foncières et immobilières. La municipalité se réunit dans un cabaret. Des gens furieux de leur présence proclament qu’ils se foutent de la constitution et au diable la liberté. Au mois de janvier 1792, l’ïle d’Yeu s’insurge. Pour y purifier les choses, trois compagnies du 60ᵉ régiment suffisent ; de même 50 hommes de cavalerie à Challans. Par contre, le 3 juin 1792, trente dragons et presque autant de gardes nationaux sont taillés en pièces par les habitants de Saint-Joachim. De partout, à partir de 1791, sont expédiées des demandes d’aide de plus en plus pressantes de la part des autorités. Des renforts ou le maintien des forces existantes sont exigés. On les frappe avec de grosses pierres, on arrache les cocardes, on les fouille, on prend les sabres qu’on brise en morceaux et on blasphème contre la Constitution. Rentrés très tôt chez eux, ou protégés par leurs ouailles, les prêtres se trouvent ainsi en symbiose avec le pays. La persécution implacable de ces membres influents, dans une société géographiquement restreinte et fortement unie, est considérée comme une affaire de famille. La grande autorité de ces prêtres est due à trois raisons : intégrité de leurs mœurs, sérieux de leur formation doctrinale et connaissance intime du milieu. La plupart des membres du clergé auraient pu s’exiler dans l’attente de jours meilleurs, mais ils se sont contraints à vivre dans des conditions héroïques, non seulement par obéissance, mais aussi parce qu’ils étaient assurés du soutien de la population. De son côté, celle-ci était prête à tout faire pour des hommes qui restaient à leur poste au péril de leur vie, d’autant plus qu’il s’agissait de parents, d’amis, de confidents. Nous ne sollicitons d’autre grâce, disent-ils unanimement, que d’avoir des prêtres en qui nous avons confiance. Plusieurs d’entre eux, constate le rapporteur, attachaient un si grand prix à cette faveur qu’ils nous assuraient qu’ils paieraient volontiers pour l’obtenir le double de leurs impôts. Selon la déclaration des droits de l’homme et du citoyen : tout régime restreignant les droits de l’homme est abusif, il faut lui résister. La révolte vendéenne est à la fois légale et légitime.
La réaction des pouvoirs publics : en fait, non seulement les revendications ne sont pas écoutées, mais pire les abus de l’administration, de la gendarmerie et les fautes du pouvoir aggravent la situation. La création d’une commune indépendante est le vœu et l’intérêt du public, selon les conseillers : c’est l’unique moyen de faire régner la paix et la concorde. La réponse de l’Assemblée est sans appel : elle confirme la décision du directoire de Nantes. Cet exemple est loin d’être unique. On peut citer Saint-Julien-de-Concelles, le Loroux-Bottereau, la Benâte, etc. Plus grave, certaines anciennes paroisses se voient emglobées au sein de nouvelles communes, sans oublier les susceptibilités liées à l’appartenance à un évêché. Les cantons les plus favorables à la révolution se sentent trahis, d’autant plus qu’en raison de la suppression des privilèges leurs anciens droits disparaissent, alors que sont renforcés les pouvoirs des municipalités. Celles-ci donnent l’impression de se prostituer aux pouvoirs publics. Le décret de l’Assemblée nationale de décembre 1789, article 55, précise que les corps municipaux seront entièrement subordonnés aux administrations du département et du district pour tout ce qui concernera les fonctions qu’ils auront à exercer par délégation de l’administration générale. C’est la mort d’une certaine autonomie à laquelle les Vendéens sont si fortement attachés. On peut dire qu’à la fin de 1791, et même avant, dans bon nombre de commune, les municipalités ne représentent plus l’émanation populaire.
Lorsque la situation devient trop tendue, des troupes sont envoyées : par exemple 150 hommes à Guérande, au mois de décembre 1790 afin de maintenir dans l’ordre les gens mal intentionnés. Pour éviter tout problème, on désarme les populations comme à Saint-Lumine-de-Coutais au mois de décembre 1791, attendu qu’elles sont insubordonnées envers les administrations supérieures. Ici commence le règne de la république, remarque curieuse puisque la déchéance du monarque n’est proclamée que le 10 août 1792, soit quatre mois plus tard. À Beaufort, les portes de l’hôpital sont forcées, les religieuses arrachées de leur cellule, entraînées sur la place publique et contraintes à prêter serment. Pendant ce temps, leur communauté est pillée. Ces abus sont dénoncés par les départements, les directoires sont accusés d’être les premiers coupables. Peut-être auraient-ils pu prévoir qu’une première violation de la loi en amènerait infailliblement une seconde. Ces fouilles sont d’autant plus exécrées que parfois sans ordre. Non seulement la loi n’est pas respectée, mais les dégâts occasionnés sont importants ; portes fracassées, armoires brisées, etc., souvent, comme à Cholet, elles dégénèrent en pillage. C’est l’abus et l’exaction sous toutes ses formes. À Challans, le 26 juin 1791, on demande au district du département une prompte livraison de fusils et un renfort de deux compagnies d’infanterie sous prétexte que le château de la Proutière est hérissé de canons et la population révoltée. Une enquête minutieuse révèle que la demeure est en ruines et les habitants fort calmes. Cette garde nationale en arrive à tuer : à Saint-Christophe, les 1er et 2 mai 1791, à Angers, début juillet où elle tire sur la foule, au Pellerin, elle n’hésite pas à recourir à la noyade dans la nuit du 23 septembre 1792. Le conseil général se voit obligé de nommer des fabriqueurs ainsi que des gens pour ramasser les cadavres. Bientôt, toutes ces forces policières deviennent chasseuses de prime pour obtenir la récompense allouée après chaque prise de prêtres réfractaires. Deux prêtres du Lorroux-Bottereau, sont arrêtés à la Guillonière, le 19 février 1793, ils sont frappés, injuriés et ficelés ils sont promenés dans les rues du bourg, puis emmenés à Nantes.
De telles scènes répétitives devaient marquer les populations, d’autant plus que les conseils des départements favorisent cette mesure par une augmentation des indemnités. Malgré les nombreuses plaintes, l’administration supérieure s’obstine à faire la sourde oreille.
Le début de la guerre
La révolte n’a pas éclaté spontanément sur tous les points à la fois. Le signal serait parti des paroisses de la Loire-Inférieure les plus voisines de l’Anjou et de la Vendée. Il est à noter que dès le début de l’insurrection, la revendication de la liberté de conscience se mêle à l’insoumission et persiste jusqu’à ce que satisfaction complète soit donné par Bonaparte bien après les évènements tragiques à venir. Une pétition envoyée de Thouaré, le 21 mars 1793 et adressée au district de Nantes est assez explicite à ce sujet dans sa naïve teneur : « Si les habitants ont pris les armes, ce n’est que forcés. Ils ne demandent pas mieux que de les déposer pourvu qu’on laisse chaque particulier tranquille chez soi et qu’on leur rende la liberté confisquée comme celle de garder leurs prêtres ; ils sont d’ailleurs prêts à les entretenir ». Si cela avait été fait plus vite, il n’y aurait point eu de révolte et assez de volontaires. Le 6 mars 1793, la fermeture des églises et chapelles non desservies par les prêtres jureurs et la loi sur le recrutement sont autant d’éléments détonateurs. Un peu partout se forment des attroupements qui passent plus ou moins rapidement aux actes. Des bourgs environnants, seul le Lorroux-Bottereau accède à la demande des recruteurs. Aussitôt, la population insurgée s’attaque aux représentants du pouvoir central : le prêtre « truton », la municipalité et le receveur. Quelques minutes plus tard, les chapelains attaquent les gardes nationaux. Le mardi et les jours suivants, ils prennent d’assaut les diverses municipalités environnantes fidèles à la République. Le procureur apprend que la loi sur le recrutement avait tellement monté les esprits qu’on annonçait un soulèvement. Alors, il ramasse à la hâte ses assignats dans un mouchoir, court à toute bride à Nantes les porter à la Recette, sans prendre le temps de retirer un récépissé. Les cloches de presque toutes les paroisses vendéennes sonnent le tocsin : la guerre commence ! De suite le pays est abandonné aux insurgés. Les municipalités téméraires sont emprisonnées ou passées par les armes. Les prêtres truton plus visés se terrent, l’abbé David, vicaire d’Orvault, reste quatre jours sous un meulon de foin. La République a peu d’hommes pour résister ; la Loire-Inférieure n’en a pas plus que 200 environ, la Vendée 1400. Quoi qu’il en soit et contrairement à une idée généralement admise, les Vendéens, dans leur ensemble, répondent à la circonscription, même dans une proportion relativement élevée. Évidemment, les acceptants sont les partisans de la République ou ceux qui craignent les représailles. L’opposition entre républicains et contre-révolutionnaires correspond, dans une certaine mesure, à une opposition de strates sociales. Mais il faut, de suite, y apporter des nuances applicables aussi bien à la campagne, au bourg ou à la vallée : une même famille est souvent divisée en son propre sein. Les Vendéens étaient dans l’abondance et leurs voisins dans la disette : c’est ce qui a amené de nombreux prosélytes au parti royaliste. L’administration dépourvue de moyens militaire tente la manière douce : « Nous vous plaignons parce que des laboureurs sont à vos yeux infiniment plus estimables que nous, pourtant nous vous aimons, et nous voudrions que vous soyez heureux ». Ils emploient pour rassurer les fidèles les arguments qui précisément les inquiètent, relativement au mariage des prêtres, au divorce et à la persécution du clergé réfractaire, infidèle à sa promesse et agent des abus féodaux. Dans une lettre d’entrevue entre un lieutenant royaliste et un de ses chefs, il est écrit : « ils sont décidés à combattre jusqu’à la mort ; rien ne pourra les réduire que le fer et le feu. Au reste ils menacent de nous assaillir avec des forces très supérieures ».
La stratégie de défense : Cinq postes dans lesquels cent cinquante hommes veillent jour et nuit. Leurs fonctions sont diverses : prévenir la population en cas de danger, traquer les républicains des alentours, résister à une attaque éventuelle des Bleus en détournant leur attention principalement sur les rives de la Loire où stationne en permanence une flottille. Montés sur des barques légères, ils trompent la surveillance ennemie. Les villages en bordure du fleuve forment de véritables camps retranchés : ils sont pourvus de canons capables de répondre aux feux de postes républicains. L’ensemble des paroisses riveraines de la Loire s’organisent par rapport au fleuve, en fonction des bois qui constituent une protection naturelle. Cet obstacle est si considérable que les bleus, s’ils le franchissent en petit nombre, sont voués à des pertes considérables. Les moulins jouent aussi un grand rôle dans cette défense. Leur situation élevée permet de surveiller les territoires avoisinants d’où vient le danger et de prévenir la population. On imagine un code de signaux différents : les ailes en quartier ou en croix de Saint-André signifient le calme ; en bout de pied, suivant l’axe du moulin, c’est le rassemblement ; en jambe de chien gauche (l’aile basse à gauche de la porte d’entrée) c’est un danger imminent, enfin en jambe de chien droite, c’est le danger écarté. Il faudra aux Bleus un certain temps pour découvrir ce code. Par la suite, conformément aux ordres, ils s’évertuent à détruire systématiquement tous les moulins à vent et à eau, sans distinction car suspects. Les Vendéens mettent les cloches en branle ou sonnent du cor. On essaye de ralentir la marche des Bleus par tous les moyens : arbres abattus, charrettes brisées, etc. Les bois, les chemins creux et les moulons, véritables traquenards servent de refuges. Le service militaire existait sous l’ancien régime. Il y a donc dans chacune des paroisses un nombre important d’hommes habiles à manier le fusil, même parmi les non-militaires. Ce sont la plupart du temps des chasseurs très exercés, le prix élevé des munitions les obligeait à les économiser.
N’oublions pas que les populations riveraines de la Loire chassent depuis très longtemps sur leur territoire. Leur adresse à la fronde est également remarquable. Aucun peuple connu, si guerrier, si manœuvrier, soit-il, ne tire un aussi grand parti des armes à feu que le chasseur du Loroux et le braconnier du bourg. Certaines femmes partagent parfois allégrement la vie des troupes où elles se montrent encore plus graves que les hommes. Mais malgré ça, les premiers instruments de guerre des paysans sont donc, comme dans toutes les jacqueries, ceux qui leur tombent sous la main. Plus tard, un certain nombre d’armes, dont des canons, seront pris aux Bleus et amenés triomphalement au sein des paroisses. Là encore existe un préjugé sur l’organisation de l’armée vendéenne alors que celle-ci est bien organisée, encadrée et alerte au combat. D’ailleurs, un témoignage vient confirmer : « Les brigands à qui nous avons eu affaire se battent avec beaucoup de méthode ; ils ont beaucoup de tirailleurs à pied et à cheval et un fort peloton d’infanterie qui marche en bon ordre avec des tambours à la tête. Les cavaliers sont presque tous élégants et se battent très bien ».
La constitution des troupes de l’armée catholique telle qu’elle est formée à partir du 7 août 1793 se compose de permanents et de non-permanents. Les permanents : à leur tête, l’état-major, le conseil supérieur composé d’un généralissime Cathelineau, auquel succéderont d’Elbée, La Rochejequelein et Fleuriot. Royrand contrôle les attaques ; La Roche Saint-André se charge de rédiger les adresses destinées au peuple ; le prince de Talmond commande la cavalerie ; Obenheim et Bernard de Marigny l’artillerie lourde et Grelier l’artillerie légère. On décide que tous les blessés royalistes et républicains seront transportés à Saint-Laurent-sur-Sèvre et soignés par la communauté des sœurs de la Sagesse. L’armée se compose en trois noyaux : l’avant-garde, regroupant les paroisses riveraines de la Loire du côté de Saint-Florent-le-Vieil, qui est commandée par Bonchamps et Stofflet ; l’armée du centre du général d’Elbée est formée à partir des hommes des environs de Cholet, Beaupréau et Mortagne sur Sèvre ; l’arrière-garde est dirigée par Lescure et La Rochejaquelein, commande les cantons de Clisson, des Aubiers, de Saint-Aubin-du-Plain et d’Echaubrognes. Montaigu et Vieillevigne marchent sous les ordres de Royrand et celles du Marais et de la côte sous ceux de Charette. La cavalerie est constituée de quatre divisions de 1000 à 1200 hommes, soit environ 5000 cavaliers. Témoignage sur la cavalerie : « c’était parmi les cavaliers que l’œil était surpris de voir des harnais de corde, des hommes sans bottes, coiffés de chapeaux ronds, sans pistolet et n’ayant souvent pour toute arme qu’un sabre et un fusil en bandoulière ». Après la bataille de Doué la Fontaine (le 6 juin 1793), la cavalerie se trouve considérablement renforcée par plusieurs régiments de hussards et de dragons passés au vainqueur. Dans un deuxième temps, elle se grossit de transfuges ou d’Allemands prisonniers de guerre qui reçoivent une bonne solde. Un certain nombre de Bretons, notamment des Rennais, mercenaires ou servants non rétribués, s’y joindront. L’artillerie est constituée d’environ 180 canonniers et par la suite, une compagnie d’artillerie légère sera formée. Les non-permanents : les premiers sont les réguliers, des paysans pour la plupart, ils retournent à leurs terres le combat terminé. Aussitôt, explique un militaire au ministre, tous les hommes sortent de leurs domiciles ou asiles habituels, dans lesquels ils rentrent après l’expédition. Des compagnies d’une cinquantaine d’hommes, soldés dix sous par jour, sont ainsi formées. Neuf compagnies forment un bataillon avec drapeaux et tambours. Dans le cas où les appelés sont dépourvus d’armes au moment du rassemblement, les blessés et les malades doivent céder les leurs. Le second groupe est composé d’occasionnels : les déserteurs de l’armée républicaine ou les habitants des territoires nouvellement conquis. Comme l’explique le général Beaufort, la marche de cette armée est méthodique. En avant-garde se trouvent les corps tirailleurs (environ 3000 hommes) et une partie de la cavalerie. Le reste se tient en permanence sur le flanc pour parer à d’éventuelles attaques.
Stratégie de bataille : Lorsque cette armée va au combat, elle marche sur une seule colonne. En avant, il y a quelques hommes de cavalerie et pour donner le change à l’ennemi, les rebelles ont grand soin de faire occuper par le corps de l’infanterie un très grand espace de terrain. Derrière le front on fait la véritable attaque. Cette tactique vendéenne a étonné les républicains héritiers de la vieille tradition militaire du XVIIIᵉ siècle dont les bases sont la manœuvre et la bataille rangée. Le sanguinaire général Turreau en est stupéfié : « une manière de combattre qu’on ne connaissait pas encore et peut-être inimitable en tant qu’elle ne peut s’approprier qu’à ce pays et tienne au génie de ses habitants ; un attachement inviolable à leur parti ; une confiance sans bornes dans leurs chefs ; un courage indomptable et à l’épreuve de toutes sortes de dangers, de fatigues et de privation : voilà ce qui fait des Vendéens des ennemis redoutables et qui doit les placer dans l’histoire au premier rang des peuples guerriers ». Les avant-gardes, toujours composées des meilleures troupes, attaquent l’ennemi de front, le fixent, tandis que tout le corps d’armée l’enveloppe en éventail sans se faire voir. Puis, ce cercle invisible se resserre, tire à travers les haies et tâche d’amener les Bleus à se concentrer dans un chemin creux ou un carrefour afin de mieux les frapper. Lorsqu’ils vont au feu, les Vendéens regardent toujours derrière eux et ont grand soin de s’informer qu’ils ne sont pas « rembariés »(repéré), c’est-à-dire coupés du reste de la troupe. « Dès que nous voyons les canonniers républicains sur le point de faire feu, nous nous couchons aussitôt par terre. Quand la mitraille est passée sans nous atteindre, nous nous relevons pour nous précipiter avec la rapidité de l’éclair sur les batteries dont nous nous emparons avant de laisser le temps de recharger les canons. Pour tout commandement, nos officiers se bornent à crier : Égaillez-vous, mes gars, voici les Bleus ! À ce signal nous nous éparpillons et nous nous étendons en éventail pour envelopper l’ennemi ». La Vendée est un véritable dédale de fourrés et de chemins creux. Seuls les habitants en connaissent les secrets. Les terrains où l’on pourrait ordonner quelque déploiement sont extrêmement rares. Ce caractère bocager donne de grands avantages pour l’attaque mais aussi pour la retraite.
Une confiance inébranlable dans leurs chefs : un autre trait de cette armée est la familiarité entre les chefs et la troupe. Ils s’assoient à la table de leurs généraux. Ils veulent prendre leur part de conseils. Libre et sincère, il ne cache ni à lui, ni aux autres la vérité. Si un gentilhomme a faibli le Vendéen dira : « ce que vous avez fait n’est pas beau pour un noble ». On en a entendu même dire à leur général : « Vous avez été un peu lâche, à tel choc ». Une certaine égalité naît de ce rapport. Un moral d’acier : les Vendéens ont leurs chants de guerre : « À bas la République, vive le roi ! Ouvre donc enfin les yeux, c’est la plus sale doctrine qui te rend si malheureux. Viens voir un peuple de frères professant la même foi, en chantant comme nos pères. Vive l’Église, vive le roi ! » La tradition veut qu’elle ait été composée et chantée par Charette lui-même. D’ailleurs, l’une des ruses de guerre consiste à chanter la Marseillaise. De loin, ne comprenant pas les paroles, les Bleus croient qu’il s’agit des leurs et tombent ainsi dans le piège tendu. L’épisode le plus célèbre est la bataille du Pont-Charron, près de Chantonnay, le 19 mars 1793. La petite armée régulière du général Marcé, venue de La Rochelle, est battue par des paysans levés quelques jours auparavant : les soldats, entendant l’air de la Marseillaise, pensaient avoir affaire à une colonne venue de Nantes à leur rencontre. De plus, matériellement, rien n’a manqué à l’armée : toute espèce de vivres arrivaient en abondance, blé, vin, moutons, veaux, bœufs, eau de vie et même le fourrage pour les bêtes… La plus grande partie du pays conquis vient offrir spontanément ses denrées. Le paysan était remonté à tel point qu’il aurait donné tout ce qu’il avait.
Les points faibles de l’armée Vendéenne, ils ne se tiennent nullement sur leurs gardes. Ils ont l’habitude de poursuivre fort loin et avec acharnement. Lorsqu’ils reviennent, ils sont très fatigués. Si une heure après le combat, les républicains allaient par des chemins détournés harceler les brigands, ils les vaincraient surtout à l’entrée de la nuit.
À suivre bientôt: la contre-offensive républicaine, la virée de Galerne, plan concerté, la déroute, le bilan humain et matériel.
« La Vendée-vengé » de Reynald Secher est disponible chez Reynald Secher Editions
Superbe !
Vive Dieu, vive le Roy et vive la France et les Français ! Et à bas la République !