L’Avant-Scène no 253 – 15 novembre 1961 – Le marchand de Venise, 4 €
J’ai le plaisir de vous présenter ce numéro de la revue consacrée à la poésie l’Avant-Scène de 1961, particulièrement intéressante du fait qu’elle propose en intégralité le texte de la pièce de Shakespeare « Le Marchand de Venise ». Cette oeuvre est remarquable et, à sa lecture, on comprend pourquoi peu de metteurs en scène actuels osent la jouer.
Bassanio, jeune vénitien, pour épouser Portia la riche héritière, a besoin de 3 000 ducats, afin de tirer son épingle du jeu des nombreux prétendants. Il se tourne vers son ami le marchand Lorenzo. Mais les affaires de celui-ci sont en difficulté et, pour honorer la demande de son ami il doit s’adresser à l’usurier juif Shylock réputé pour être particulièrement retors et avare. Ce dernier accepte de lui prêter l’argent et lui propose un contrat précisant que l’argent est prêté sans intérêt… à condition que, si Antonio de l’a pas remboursé sous trois mois, il pourra lui prélever une livre de sa propre chair !
Comme on pouvait s’y attendre, les difficultés financières d’Antonio l’empêcheront de rembourser la somme. Qu’adviendra-t-il alors ? Je vous propose de le découvrir dans ce numéro. La scène où le prince du Maroc vient séduire Portia est particulièrement truculente.
Bonne lecture !
Disponible sur Arts Enracinés
Shakespeare est maintenant considéré comme un précurseur du discours de haine, raison pour laquelle le dramaturge qui incarne de manière si éclatante le véritable génie universel, a été banni des programmes de l’enseignement public dans les colonies européennes de la République une et universelle.
Selon ses contempteurs, Shakespeare aurait propagé un discours de haine avec « Le Marchand de Venise » en faisant passer un honorable bienfaiteur de l’humanité pour un ogre immonde avide de chair fraîche.
L’infortuné débiteur de l’usurier Shylock avait signé un contrat selon lequel il autorisait son bienfaiteur à prélever une livre de sa chair en cas de défaillance, contrat avalisé par le tribunal ecclésiastique de la Cité des Doges.
Quand Shylock, qui n’avait peur de rien, s’en vint réclamer sa livre de chair, le tribunal lui expliqua qu’il devrait prélever de sa main et d’un seul tenant le poids exact qu’il réclamait, et qu’un écart, même le plus infime, l’exposait à violer le contrat qu’il avait approuvé de sa signature, ce qui impliquait pour le parjure d’être exécuté séance tenante devant le palais des Doges, entre les colonnes de Saint Marc et de Saint Théodore, à moins bien sûr qu’il ne renonce définitivement à faire valoir ses droits…
Dans un livre de « confidences » familiales intitulé « Laisser les cendres s’envoler » (Leo Scheer, Paris, 2012), Nathalie Rheims-Rothschild raconte le « trouble » dans lequel l’a plongée pendant sa jeunesse la découverte du personnage de Shylock dans « Le Marchand de Venise » et le « gage du prêt consenti par l’usurier, qui n’était autre qu’une livre de chair humaine » : « cette tragi-comédie me faisait toucher du doigt le destin de ma propre famille. […] J’aimais mon grand-père, son élégance, son éducation sans faille, le regard indifférent qu’il posait sur le monde, tout comme j’aimais Shylock. […] J’avais senti dans ma chair que le crédit, la gestion de la dette étaient le centre de gravité et le garant de pérennité de cette dynastie ». Puis, poursuivant son cheminement, Nathalie Rheims s’interroge sur le « déclin » de cette famille ayant façonné « sous leurs mains le monde du capitalisme financier qui est devenu le nôtre, ce monde dont les spasmes et les crises peuvent nous conduire à la ruine. […] Au milieu de ces vicissitudes, cette famille était cependant demeurée l’initiatrice et l’emblème de ce type de capitalisme qui avait déposé le pouvoir aux pieds des banquiers et était parvenu au cours des siècles, grâce à elle, à son degré suprême ». Et, songeuse, de conclure : « Peut-être avions-nous dépassé l’apogée de ce système… » FAITS & DOCUMENTS No 526 (novembre 2023), p. 3