En ce début décembre 2024, le régime baasiste de Syrie a été balayé en quelques jours à la surprise générale. Ainsi, disparaît le dernier des régimes baasistes qui s’étaient installés dans le monde arabe au Proche-Orient. Le baasisme est une doctrine fondée sur une conception nationaliste de la nation arabe, où prévalait la qualité d’Arabe avant l’appartenance à telle ou telle religion. Ces régimes permettaient de faire vivre ensemble sur un pied d’égalité des communautés que les différences religieuses transformaient souvent en ennemis. Ils visaient aussi au développement économique, composante sans laquelle aucun Etat, aucun peuple ne peut mener une politique de puissance ou, à tout le moins, exister souverainement.
L’échec de ces expériences baasistes marque celui de l’influence de la pensée nationaliste européenne faisant primer la culture sur la religion qui avait dominé au cours du XXe siècle, porté par le succès de la modernité venue d’Europe et qui s’était originellement manifestée avec les jeunes Turcs et le kémalisme. C’est aussi le signe du recul, sinon de la disparition de l’influence européenne dans le monde et singulièrement dans le monde arabe ; c’est aussi le signe de l’avancée au cours des dernières décennies de ces forces d’anti-civilisation qui sont à l’œuvre pour dénaturer le monde européen et chrétien et à terme le monde entier.
Mais cet échec est moins dû au refus de certains courants musulmans d’accepter de vivre sous des lois qui n’étaient pas celles de la sharia, que de la volonté de l’oligarchie occidentale de ne pas laisser se développer des régimes nationalistes arabes qui s’opposaient à sa mainmise sur le monde arabe. Ils commettaient en outre le « crime » de lèse-Israël, défaut rédhibitoire s’il en est dans le monde contemporain. Ils ont donc été largement sabotés. Comme le rappelait Roland Dumas voici quelques années au cours d’une mission de LCP, « Ça vous regarde », un premier ministre israélien lui avait dit que les Israéliens essaieraient de s’entendre avec leurs voisins mais ceux qui s’opposeraient seraient abattus. Comme le disait Dumas, c’est une politique, mais il faut savoir qu’elle existe. Le régime baasiste de Saddam Hussein a été détruit pour cela, au motif qu’il était en train de développer l’Irak au point, selon les prévisions des années 1980, d’en faire au cours du XXIe siècle une puissance économique et industrielle conséquente. Des maladresses politiques de Saddam Hussein et sa volonté de se passer du dollar ont déterminé sa perte, tout comme d’ailleurs, la Libye de Kadhafi, éliminé parce qu’il voulait concurrence en Afrique le dollar en créant une banque centrale africaine et une monnaie, le dinar-or.
Une chute de régime bien rapide
Le régime baasiste de Damas, avec tous les défauts que l’on pourra lui trouver, son aspect dictatorial qui cependant ne dénote pas dans la région, avait su faire vivre ensemble des communautés disparates, chiites, sunnites, alaouites (qui, avec les Assad, détenaient le pouvoir), Druzes, Kurdes. Notons ici un trait commun à tous ces régimes d’inspiration nationaliste : divisés en tribus, ils avaient accepté un pouvoir un représentant d’une communauté certes importante mais qui restait minoritaire, celle-ci constituant une sorte de « plus petit dénominateur commun » pour assurer, l’entente politique durable. Mais surtout, outre son hostilité à l’expansionnisme sioniste, il avait eu le malheur de refuser le passage sur son territoire d’un oléoduc reliant le Golfe persique à la Méditerranée. Ses ennuis ont commencé à ce moment, alors que l’Etat fonctionnait, l’économie, était prospère.
Il avait été sauvé de la destruction face aux attaques de l’Etat islamique (EI) par l’intervention de la Russie en 2015 qui avait ainsi déjoué les plans des Occidentaux, ces derniers étant au service de l’entité sioniste de Palestine. Moscou avait obtenu un succès géostratégique majeur puisque la Russie dispose depuis lors de deux bases militaires, à Tartous (base navale) et à Lattaquié, au grand dam des Occidentaux. Il était soutenu, outre la Russie, par l’Iran. Néanmoins, en dépit de son rétablissement face aux groupes islamistes, il était fort affaibli, ne parvenait pas à se redresser économiquement, écrasés par des sanctions occidentales qui dans le cas de ce pays peu industrialisé, dépendant de l’étranger, étaient efficaces, d’autant plus que ses champs pétrolifères, source importante de revenus, étaient aux mains des intérêts occidentaux. Des régions échappaient à son autorité, notamment les régions kurdes et il n’avait pas su résoudre le problème, notamment en accordant une certaine autonomie à celles-ci, en dépit de conseils donnés en ce sens par les Russes.
Le régime présidé par Bachar Al Assad était donc très fragile. Toutefois, il ne serait pas tombé sans l’irruption d’éléments extérieurs que sont les islamistes dirigé par un certain Al Joulani et cornaquée par la Turquie mais aussi, sinon plus part la CIA et le MI6 britannique. La population ne manifestait pas de volonté de renverser le régime, même si l’on conçoit que la pauvreté persistante et aggravée ne pouvait qu’alimenter les rancœurs. Certes, Damas s’est soulevée avant l’arrivée des colonnes du Hayat Tahrir al-Cham ou HTC (Organisation de libération du Levant). Mais les événements sont plus troubles et plus flous qu’on pourrait le penser de prime abord.
Que dire ? Il semble qu’il y ait eu des négociations entre les cadres de l’État baasiste et les islamistes auparavant. On sait aussi, de source iranienne, que Bachar al Assad aurait décliné l’offre d’aide iranienne. Il apparaît aussi que Vladimir Poutine aurait décidé de lâcher Assad, suite au refus de celui-ci d’accepter le principe du retour des réfugiés syriens installés en Turquie et qui posent de sérieux problèmes à Erdogan, ce qui se comprend.
En outre, chacun sait que la Russie est occupée avec l’affaire ukrainienne et qu’une intervention avec des effectifs et des moyens importants aurait été nécessaire pour arrêter les forces djihadistes avec un succès certain. C’était peut-être l’objectif des stratèges occidentaux : continuer à vouloir épuiser la Russie, tant en prolongeant la guerre en Ukraine que sur le pourtour de la Russie. C’est raté : Poutine a laissé faire tout en sachant à conserver l’essentiel : ses bases militaires.
Néanmoins se posent au moins deux questions : celle d’une déficience des services de renseignement russes car il semble qu’ils « n’aient pas vu venir le coup », chose assez surprenante car les préparatifs d’une telle opération ne peuvent pas passer inaperçu. Ensuite, celle d’une certaine « naïveté » de Poutine qui semble avoir une propension à faire confiance à ses partenaires : le cas des Accords de Minsk pose problème ; et présentement, n’a-t-il pas eu une trop grande confiance en Erdogan dont on sait pourtant qu’il s’agit d’un personnage pour le moins tortueux et qui ne vise qu’une chose (ce que nous ne lui reprocherons pas), à savoir les intérêts de son pays et une visée géopolitique à la fois pan touranienne et néo-ottomane avec des conséquences tant au Proche-Orient que dans les Balkans et en mer Noire. Un troisième point restera à éclaircir : les relations entre le pouvoir russe et le monde juif. Disons à tout le moins qu’elles sont complexes et ambivalentes…
Cela dit, il apparaît qu’une réunion à Doha entre Russes, Turcs et Iraniens aurait décidé du sort d’Assad quelques jours avant sa chute et le fait que le premier ministre d’Assad soit resté en place pour effectuer une passation de pouvoir avec les djihadistes laisse entendre qu’il y a eu négociation entre un régime qui se savait incapable de réagir et des nouveaux venus décidés, et fortement armés. Pour le moment, les Russes semblent assurés de garder leurs bases sur la côte syrienne. Il est clair que leur perte constituerait un revers sérieux pour la Russie, d’autant plus que ces bases sont une porte d’entrée pour l’Afrique. Affaire à suivre attentivement, car les Occidentaux sont évidemment à la manœuvre en arrière-plan, leur guerre à bas bruit contre la Russie étant à la dimension de ce pays, c’est-à-dire planétaire.
C’est ici que nous devons une fois de plus remarquer qu’il est rare qu’un régime politique tombe de lui-même : il faut pour cela l’intervention d’un facteur extérieur, étranger à l’État concerné, qu’il s’agisse d’une invasion, d’une guerre qui tourne mal. La France est dans ce cas. En 1870, en 1940, en 1958, les régimes en place sont tombés à cause de facteurs qui leurs étaient exogènes. Pour l’actuel régime républicain en France, il est fort probable qu’il en sera de même ; et les dirigeants occidentaux, pourris de satanisme et de perversion mentale, commettent de telles erreurs, victimes de leur hubris, de leur inculture, de leur incurie en matière diplomatique, économique que tôt ou tard, la chape de plomb de plus en plus pesante que l’oligarchie mondialiste exerce sur la France, et plus largement sur les pays d’Europe par l’intermédiaire, de ses agents politiques du type « Young Leaders » se fissurera et sautera. Il faut nous préparer à ce type d’échéance, comme si elle devait se produire demain.
La Syrie et la géopolitique mondiale
Cela dit, quelles sont ces forces extérieures qui ont balayé le régime baasiste syrien ?
Après la déstabilisation et le morcellement de la Libye, que n’avait pas voulu le Conseil de sécurité de l’ONU mais qui a été menée perfidement par les Occidentaux et singulièrement par le sieur Sarkozy qui s’est comporté en assassin, 85 % des combattants qui étaient en Syrie venaient de Libye et en Syrie, arrivèrent 15 000 combattants transportés par les Occidentaux. La base des forces djihadistes se trouve là.
Tout cela n’a rien à voir avec une révolte du peuple ; c’est un faux mouvement insurrectionnel : l’idée directrice est celle du remplacement d’un gouvernement laïque par un gouvernement islamiste.
Il est à remarquer que le mouvement Hayat Tahrir al-Cham considéré comme terroriste il y a peu par les Occidentaux (et l‘ONU) est aujourd’hui présenté comme « islamiste modéré » ; actuellement on parle de rebelles, plus de terroristes ; le vocabulaire utilisé montre que les Occidentaux sont à la manœuvre, sinon ils continueraient à les qualifier de terroristes. De même, de véritables islamistes se seraient portés depuis longtemps au secours de frères de Palestine : il n’en est rien. Notons aussi que leur chef, al Joulani, nom de guerre d’Ahmed al-Chara, un Syrien d’origine qui a grandi en partie en Arabie Séoudite, était encore, voici quelques jours sous la menace d’un mandat d’arrêt international pour terrorisme avec une récompense de 10 millions de dollars à la clé. Aujourd’hui, il est en passe de venir le plus respectable des hommes !
En réalité, les Occidentaux ont toujours moins voulu la disparition du régime d’Assad en lui-même que la disparition de la Syrie en tant qu’Etat. C’est un très vieux projet. De même que les Occidentaux avaient laissé se développer l’Etat islamique, ils ont aidé les milices islamiques défaites de l’Etat islamique créé en Irak à se reconstituer comme force contre le Syrie.
En février 2012, alors que l’on parlait déjà de partition de la Syrie, la Russie avait proposé qu’Assad se retire, mais les Occidentaux n’avaient pas voulu ; Assad n’est qu’un prétexte pour un objectif plus large qui est le démantèlement de la Syrie pour satisfaire le plan Yinon, plan israélien visant à recomposer le Proche-Orient de telle manière qu’il soit assez divisé, si possible dans une cordiale mésentente, pour qu’aucune entité politique ne vienne les menacer. Pour la Syrie, il s’agir de la partager en trois entités unies par l’inimitié : zones kurde, chiite sunnite.
Tout cela, dans le cadre du projet sioniste de domination du Nil à l’Euphrate, comme l’indiquent les deux bandes bleues entourant l’étoile de David sur le drapeau israélien. Gageons que la Syrie va connaître le sort de la Libye, à savoir le démembrement dans un chaos organisé.
Une question se pose : il apparaît que, si la Syrie a vu son armée et ses institutions lentement infiltrées par des agents des mouvances islamistes, par des agents au service – conscient ou inconscient – du sionisme, s’il est maintenant évident que le Hezbollah a été mité de l’intérieur par des agents au service de l’Israël, vraisemblablement retournés par l’appât du gain, qu’en est-il de l’Iran ? Plusieurs éléments d’information plaident en faveur d’un état des lieux comparable. Et ce genre de personnes retournées, infiltrées trouvent inévitablement des relais dans une population dont nous savons qu’une partie non négligeable est opposée au « régime des mollahs », difficultés économiques aidant. Dans le cadre de la lutte engagée par les Occidentaux talmudisés contre le reste du monde pour tenter de garder un pouvoir planétaire qu’ils pensent « leur revenir de droit », presque de « droit divin », la déstabilisation de l’Iran est importante. Cela, indépendamment de questions financières comme le refus de partager le dollar. Et Trump ne changera rien à cela puisqu’il a averti très présomptueusement les BRICS qu’il leur en cuirait s’ils avaient l’outrecuidance de vouloirs se passer du dollar.
Pour le moment, au Proche-Orient, tout semble sourire aux Israéliens qui visent la création d’un tel « Grand Israël ». Il apparaît des connections avec les membres du HTC mais celles-ci ne peuvent être que fragiles sur le long terme. Dans l’immédiat, les Israéliens ont annexé la totalité du plateau du Golan et aménagé une zone de contrôle en Syrie, sans tirer un coup de feu. La question est de savoir pour combien de temps le rêve du Grand Israël va se prolonger car la démesure provoque toujours des revers qui peuvent être d’une gravité telle que les conquérants finissent par se retrouver dans une situation dégradée, voire désespérée.
Toutefois, n’oublions jamais que les Israéliens ne sont puissants qu‘avec le soutien des Américains. Seuls, ils sont très fragiles, et leur « dôme de fer » s’est révélé très pénétrable par les Iraniens, ce qui devrait ramener les Israéliens à un peu d’humilité. Et, tout autant au sud Liban qu’à Gaza, ils détruisent beaucoup mais se trouvent confrontés à une résistance insoupçonnée de la part du Hezbollah comme du Hamas qui défendent tout simplement leur existence. Et l’Israël a déjà subi une importante défaite : la dévalorisation de son image dans le monde comme le montrent les résolutions de l’ONU et le fait que nombre d’entreprises s’en détournent, au point que les Etats occidentaux se pensent obligés d’accroître leurs législations de répression de toute attitude qualifiée « d’antisémite ». Dans le contexte de confrontation mondiale exacerbée qui s’annonce et qui est commencée d’ailleurs, bien des surprises, des remodelages du monde sont inévitables. […]
Deuxième partie demain.