Un document déclassifié en 1970 montre que dès juillet 1941, par conséquent, quelques mois avant Pearl Harbour, Roosevelt et ses plus proches conseillers militaires validaient en grand secret un plan sensationnel prévoyant d’utiliser, sous pavillon chinois, des pilotes et des avions de guerre américains pour bombarder les grandes villes du Japon.(1)
Les bombardiers auraient été placés sous le commandement de Claire Chennault, un ancien de l’U.S. Air Corps au service de Chiang Kai-Shek depuis 1937. En juillet 1941, c’était déjà lui qui était à la tête de l’escadron de chasse « Flying Tiger » du « American Volunteer Group » (AVG) qui combattait les forces japonaises en Chine. L’unité haute en couleur était la coqueluche des journaux et magazines américains et sera par la suite glorifiée dans Flying Tigers, un film de 1942 avec John Wayne.
Les jeunes pilotes aux commandes de leurs redoutables P-40 aux dents de requin menaçantes peintes sur le fuselage n’étaient censés être que des mercenaires, et l’AVG elle-même être sans lien avec les États-Unis. En réalité l’escadron était secrètement organisé et financé par Washington. Mis en place sans consultation ni consentement du Congrès, il allait à l’encontre des trois lois de neutralité expressément votées par celui-ci entre 1935 et 1937 pour empêcher le pays d’être entraîné dans une guerre à l’étranger et, à la limite, il enfreignait celle sur le service sélectif de 1940 qui enjoignait aux hommes de 21 à 45 ans de servir au moins un an dans l’armée américaine. L’escadron de Chennault intervenait en outre en violation des propres déclarations publiques de Roosevelt sur la neutralité des États-Unis dans le conflit entre le Japon et la Chine qui faisait rage depuis 1937.

En aidant la Chine, Roosevelt entendait y fixer les Japonais afin qu’ils ne puissent pas venir menacer les intérêts britanniques et américains en Asie. Si la Chine tombait, la Grande-Bretagne serait dans l’obligation de divertir des navires de guerre, des troupes et du matériel dont l’Europe a cruellement besoin.
Un mémorandum secret du Bureau du chef des opérations navales du 17 janvier 1940 confirme que près de deux ans avant l’attaque de Pearl Harbor, l’administration Roosevelt envisageait de faire la guerre aux Japonais en envoyant un corps de mercenaires américains « suffisamment puissant ». Ce mémo évoquait également une opération aérienne clandestine des États-Unis contre les forces japonaises. Quelques mois plus tard, en mai 1941, un autre mémorandum de l’amiral Thomas C. Hart, commandant de la flotte américaine d’Asie, destiné à Roosevelt, commençait par ces mots : « Le concept d’une guerre avec le Japon est considéré comme solide », puis il explique comment le Japon pourrait être attaqué par des bombardiers pilotés par les Américains.(2)
Pour concrétiser ces idées, Chennault préconise la formation d’une force de bombardiers pilotés par les Américains et placée sous son commandement, qui mènerait des raids sur le Japon même. « Si les hommes et l’équipement sont de bonne qualité, une telle force pourrait paralyser l’effort de guerre japonais », écrit-il. « Un petit nombre de bombardiers à long rayon d’action transportant des bombes incendiaires suffirait à réduire en cendres ces villes de carton-pâte».
La proposition recevait rapidement le soutien enthousiaste de l’ambassadeur de Chine à Washington, T. V. Soong (banquier multimillionnaire, beau-frère du premier ministre chinois Chiang Kai-Shek), de l’ambassadeur britannique Lord Lothian, du secrétaire d’État américain Cordell Hull et du secrétaire au Trésor américain Henry Morgenthau.
L’idée de bombarder le Japon a été soumise à Roosevelt pour la première fois le 19 décembre 1940 (presque un an jour pour jour avant Pearl Harbor, le 7 décembre 1941). La réaction du président a été de s’exclamer « Merveilleux ! » et d’ordonner immédiatement à ses secrétaires d’État, du Trésor, de la Guerre et de la Marine de commencer à élaborer en détail un plan de bataille.(3)
Mais tout le monde ne partageait pas cet enthousiasme. Le secrétaire à la Guerre Henry Stimson et le chef d’état-major de l’armée, le général George Marshall, exprimaient leurs réserves. Marshall faisait remarquer que le subterfuge des marques chinoises apposées sur des bombardiers américains pilotés par des Américains ne tromperait personne et déclencherait aussitôt une guerre ouverte avec le Japon, à un moment où les États-Unis n’étaient pas encore prêts.
En conséquence, le plan a été provisoirement mis de côté, pour resurgir quelques mois plus tard dans une version à peine remaniée sous le nom de « Joint Army-Navy Board Paper No. 355 ».(4)

Comme le prévoyait finalement le JB 355, une force composée de 500 bombardiers Lockheed Hudson devait se constituer en tant que « Second groupe de volontaires américains », avec Chennault placé à sa tête. Sa mission serait le bombardement « préventif » du Japon. L’objectif stratégique du JB 355 était la « destruction des centres industriels afin de paralyser la production de guerre et d’affaiblir le tissu économique du pays ». À partir de bases situées à environ 2 000 kilomètres, dans l’est de la Chine, les bombardiers pouvaient notamment s’en prendre à Osaka, Nagasaki, Yokohama et Tokyo. (À noter que ces frappes aériennes auraient inévitablement coûté la vie à de nombreux civils, contrairement à l’attaque sur Pearl Harbor où les avions japonais ont soigneusement évité les zones civiles).

Les fonds américains destinés à l’opération devaient prendre la forme d’un prêt général à la Chine fourni par le biais d’une société fictive. Les militaires américains impliqués étaient munis de faux passeports. (La profession indiquée sur celui de Chennault était « fermier » et il était censé être un « conseiller auprès de la Banque centrale de Chine »).
Le plan était approuvé par le secrétaire à la Guerre, le secrétaire à la Marine et, le 23 juillet 1941, par le président Franklin Roosevelt.
Personne n’aura joué un rôle plus important dans la promotion et l’élaboration de ce plan que Lauchlin Bernard Currie, un proche conseiller de Roosevelt à la Maison Blanche. Des années plus tard, âgé de 89 ans, lors d’une interview chez lui, en Amérique du Sud, il expliquait son rôle dans l’opération et témoignait du soutien de Roosevelt à celle-ci.(5)
L’un de ses principaux mobiles pour pousser les États-Unis à la guerre contre le Japon pourrait résider dans ses fortes sympathies pro-soviétiques. Il existe même des preuves crédibles, mais non concluantes, qui suggèrent que Currie était un agent soviétique.(6)
Suite à l’approbation du plan JB 355, Currie envoie un câble secret à Chennault : « Je suis très heureux de pouvoir vous annoncer qu’aujourd’hui, le président a ordonné que 66 bombardiers soient mis à la disposition de la Chine [sic] cette année, dont 24 livrables immédiatement ».

Bien qu’il ait reçu l’aval des plus hauts responsables, le plan ne tenait pas la route. Selon Gaddis Smith, professeur d’histoire à Yale, les Lockheed Hudson prévus auraient été des proies faciles pour les chasseurs japonais.(7)
Deux jours après avoir approuvé le JB 355, Roosevelt décrétait un embargo commercial dont il savait pertinemment qu’il conduirait inévitablement à la guerre. (À l’époque, environ 90 % du pétrole et du fer du Japon provenaient des États-Unis). Après avoir cassé les codes japonais, les responsables britanniques et américains savaient, dès le début du mois de juillet, à quoi s’en tenir : la guerre dans le Pacifique était en marche et plus rien ne pouvait l’arrêter.(8)
Comme c’était prévisible, les Japonais ont immédiatement perçu la menace existentielle que faisait peser l’embargo sur leur avenir en tant que nation industrielle avancée, et se résolvaient à porter le premier coup. Ils pensaient qu’en détruisant la flotte américaine du Pacifique à Hawaï en une attaque surprise décisive, ils élimineraient le principal obstacle à la création d’un empire japonais autosuffisant en Asie de l’Est.
Ce n’est donc que parce que les Japonais ont précipité le cours de l’histoire en prenant les devants que le plan JB 355 est devenu caduque. Quatre jours après Pearl Harbor, tous les préparatifs étaient suspendus et les pilotes qui avaient été sélectionnés étaient précipitamment réintégrés dans les forces régulières.
Il convient de remarquer que cette combinaison embargo + bombardement était aussi ce que Roosevelt avait en vue pour l’Europe, c’est en vertu d’un tel plan qu’il engageait toutes les nations européennes, Pologne en tête, à se montrer intransigeantes dans les négociations avec le Reich, précipitant l’Europe dans la guerre.
Aujourd’hui, Trump, tout comme Roosevelt et, encore avant lui, Woodrow Wilson, fait mine d’offrir des perspectives de paix, mais Dieu sait ce qu’il prépare en réalité. L’histoire nous a appris à nous méfier des promesses de paix des présidents américains : en général, ça annonce une guerre mondiale.
Mark Weber
Traduction et Adaptation : Francis Goumain
Sources : President Roosevelt’s Secret Pre-War Plan to Bomb Japan
Notes :
1. Much of the information for this essay is from: Don McLean, “Tigers of a Different Stripe: FDR’s Secret Plan to Torch Japan Before Pearl Harbor,” Soldier of Fortune, January 1989, pp. 66-93; ABC television “20/20” broadcast, “FDR’s Planned Preemptive Attack on Japan,” Nov. 22, 1991 (No. 1149).
2. D. McLean, Soldier of Fortune, Jan. 1989, pp. 67-68, 91.
3. Duane Schultz, The Maverick War: Chennault and the Flying Tigers. New York: St. Martin’s Press, 1987. Cited in: D. McLean, Soldier of Fortune, Jan. 1989.
4. Joint Army-Navy Board Paper 355 (“Aircraft Requirements of the Chinese Government”), July 1941, Serial 691, National Archives, Washington, DC.
5. ABC television “20/20” broadcast, Nov. 22, 1991.
6. D. McLean, Soldier of Fortune, Jan. 1989, pp. 70-71.
7. ABC television “20/20” broadcast, Nov. 22, 1991.
8.John Costello, The Pacific War (1981); John Toland, Infamy (1982); Percy L. Greaves, Jr., “Three `Day of Infamy’ Assessments,” The Journal of Historical Review, Fall 1982, pp. 319-340.
From The Journal of Historical Review, Winter 1991-92 (Vol. 11, No. 4), pages 503-509. Updated and slightly revised, Feb. 2025.