Article d’Yvan Benedetti publié dans le n° 28 de la seconde version papier de Jeune nation, durant les années 1990.
Dès que l’on traite d’élection ou d’électoralisme sous l’angle du nationalisme, il convient de distinguer la doctrine d’une part et l’action politique d’autre part, même si, sous ces deux aspects, ils sont également condamnables : doctrinalement, l’électoralisme est la tare du régime, son travers irrémédiable ; politiquement, l’électoralisme est la sauvegarde du système, sa soupape de sécurité.
Le principe fondateur du suffrage universel se trouve dans le postulat de l’égalité entre les citoyens, résumé dans la formule « un homme, un vote », ce qui relève de l’absurdité la plus totale puisque selon ce principe, un homme alcoolique vivant en marge des lois de la société vaut autant que le travailleur laborieux, dur à la tâche, et une femme de petite vertu a le même poids que la bonne mère de famille qui élève péniblement ses enfants. Pourtant, de ce grand nivellement général, le suffrage universel fait émerger une majorité qu’il pare de toutes les vertus et qui détiendrait la vérité révélée. Opposée aux lois naturelles, l’élection n’engendre que le règne de la médiocrité et de l’uniformité qu’impose la loi du nombre, au lieu de s’appuyer sur une élite regroupant les spécialistes de toutes les questions posées par la Civilisation et qui, selon la définition d’Alexis Carrel, « tire la masse ».
Si cette majorité procède d’une élection, celle-ci ne peut exister sans une campagne électorale, totale « insulte à l’intelligence ». Durant cette période s’étale la démagogie la plus vile et les mensonges les plus grossiers. Des sommes considérables sont dépensées dans des opérations aussi inutiles que malfaisantes, entretenant un état de « guerre civile légalisée ». C’est le règne des publicistes qui manipulent les images et des médiats qui confortent leur pouvoir. L’intérêt général s’efface devant la quête des suffrages électoraux. Peu importe si une fois élu, l’homme politique est dans l’impossibilité de réaliser les promesses faites en campagne électorale : l’électeur ayant la mémoire courte, il se laissera abuser, lors d’une nouvelle élection, par de nouvelles promesses. Avec la campagne électorale, toujours très onéreuse, l’argent devient l’élément clé d’une carrière politique. Tout homme politique qui se donne les moyens de son élection devient une marionnette dans les mains de financiers à la recherche de relais politiques pour leurs affaires. Voilà pourquoi démocratie rime avec oligarchie.
Dénoncer les élections et les campagnes électorales revient à dénoncer les partis politiques. « La France est déchirée, écrivait Charles Maurras, parce que ceux qui la gouvernent ne sont pas des hommes d’État mais des hommes de parti. Honnêtes, ils songent seulement au bien d’un parti ; malhonnêtes, à remplir leurs poches. Les uns et les autres sont les ennemis de la France. La France n’est pas un parti ». C’est pourquoi « les partis doivent disparaître, écrivait aussi José Antonio Primo de Rivera. Personne n’est jamais né membre d’un parti politique ; par contre, nous sommes nés membres d’une famille ; nous sommes tous voisins dans une même municipalité ; nous peinons tous dans l’exercice d’un travail. Or, si ce sont là nos unités naturelles, si la famille, la municipalité et la corporation sont les cadres dans lesquels nous vivons, pourquoi aurions-nous besoin de l’instrument intermédiaire et pernicieux des partis qui, pour nous unir en des groupements artificiels, commencent par nous désunir dans nos réalités authentiques ? ».
Mais si, dans tout et pour tout, le principe électoral est à bannir, la démocratie gouverne et l’élection existe. Elle est même le seul moyen officiel d’accéder aux médiats. Le combat que nous avons engagé avec le régime est total. Un révolutionnaire peut utiliser toutes les armes à sa disposition, le tout étant d’utiliser la plus adaptée au moment donné. Mais dans tous les cas, l’action engagée reste un moyen sans jamais devenir une fin et elle ne doit pas trahir la base de ce qui fait notre engagement. Si, ponctuellement, les nationalistes peuvent s’engager dans une lutte électorale cela sera sans jamais se renier, ni se justifier. En aucun cas nous ne pourrons nous prétendre démocrates, car « pour sortir de l’impasse, il faut sortir de la démocratie » ; nous ne serons jamais républicains, au sens de son application démocratique courante qui est le parlementarisme à base de trucage électoral ; et nous ne pourrons faire l’impasse sur aucun problème même si des lois répressives nécessitent un grand sens de l’adaptation. Il ne faut pas non plus oublier que le combat électoral entretient le système : « Hors les heures critiques, écrivait encore Maurras, et tant qu’il paraît subsister un ordre matériel quelconque, le suffrage universel conserve tout ce qui existe, tout ce qui tend à exister. Il est conservateur de ce qui dispose de la puissance, de ce qui paraît bénéficier du succès : radical, si le gouvernement tend au radicalisme ; socialiste, si le socialisme paraît dominer le gouvernement. La foule acquiesce, suit, approuve ce qui s’est fait en haut et par-dessus sa tête. Il faut des mécontentements inouïs pour briser son murmure d’approbation. La foule ressemble à la masse : inerte comme elle. Ses violences des jours d’émeute sont encore des phénomènes d’inertie ; elle suit la ligne du moindre effort ; il est moins dur de suivre des penchants honteux ou féroces que de leur résister par réflexion et volonté. La faculté de réagir, très inégalement distribuée, n’arrive à sa plénitude que dans un petit nombre d’être choisis, seuls capables de concevoir et d’accomplir autre chose que ce qui est. Le nombre dit amen, le suffrage universel est conservateur ».
On réalise donc combien il est dangereux de considérer le combat électoraliste comme une fin en soi. À l’opposé du conservatisme électoral, la solution pour ce « petit nombre d’être choisis » passe par une véritable révolution et une rupture totale avec le système, ses hommes, ses références, sa symbolique. Il n’y a pas d’autre alternative que d’abattre ce régime qui trahit la France et son histoire. C’est ce que les nationalistes ne cessent de répéter, et de répéter encore, depuis des décennies. C’est ce que les nationalistes du mouvement Jeune nation répétaient déjà en 1954. Sentant que les jours de la IVe République étaient comptés, ils voulaient éviter que le mécontentement populaire soit récupéré par le régime :
« Les hommes libres et ardents décidés à refaire la France, ceux qui haïssent la basse démagogie et les tromperies, ceux qui pensent que l’État populaire qui doit être instauré en France devra être autoritaire, ceux qui ont définitivement compris que le salut n’est pas dans une quelconque Chambre, où 600 pantins s’amusent à des jeux indignes, ceux qui pensent que la première force d’un gouvernement est d’abord de gouverner fermement, durement, de gouverner contre des “majorités” qui ne signifient plus rien, tous ceux-là, militants révolutionnaires nationaux, savent que le vrai combat, l’unique combat doit être mené selon les principes d’autorité et de justice, de hiérarchie et de discipline ».
Yvan Benedetti.