Glyphosate : Bayer sauvé par l’Europe, ou simple répit avant un démantèlement déjà prévisible ?
Les instances européennes s’étaient illustrées par l’ajournement sine die de la réforme du REACH « Registration, évaluation and authorization of chemicals » (enregistrement, évaluation et autorisation des produits chimiques) qui devait permettre en particulier, à l’horizon 2030, d’interdire ou de restreindre massivement l’usage d’une multitude de produits chimiques reconnus dangereux, présentant des risques réels pour la santé de la population, sans parler des atteintes environnementales, mais des risque très bien assumés par les industriels fabricants et leurs lobbystes.
La Belgique, pourtant très favorable aux restrictions d’emploi de la chimie dans l’agriculture et les industries en lien avec le public, mais future présidente du Conseil de l’Union européenne (UE) à partir du 1er janvier 2024, a même dû retirer de son propre programme d’actions toute mention de Reach, qualifié par l’Europe de dossier « ultrasensible ».
La chimie a donc désormais le champ libre pour continuer à empoisonner durablement la population et le milieu avec l’active complicité du monde politique et des syndicats productivistes agricoles.
Mais un projet visant à diminuer drastiquement l’usage des pesticides dans l’UE a franchi, mardi 24 octobre, une première étape au Parlement européen : la Commission de l’environnement a adopté (47 voix pour, 37 voix contre, 2 abstentions) un texte contraignant prévoyant de réduire de moitié d’ici à 2030 l’utilisation et les risques des produits phytosanitaires chimiques.
C’est à ces « distorsions » que l’on mesure l’importance décisionnelle comparée du Parlement européen et de la Commission européenne.
Dans ce contexte délicat, le second vote sur la prolongation d’emploi du glyphosate dans l’UE où l’interdiction devait prendre effet le 2 décembre était crucial : sans surprise le premier vote sur la question, le 13 octobre, s’était avéré négatif. La majorité qualifiée de 15 pays, soit 65% de la population européenne, n’avait pas été atteinte !
Si les pays du Sud et de l’Est soutiennent la ré-autorisation, l’Autriche, l’Allemagne et le Luxembourg avaient voté contre. La Belgique et les Pays-Bas avaient indiqué s’abstenir. La France s’était courageusement abstenue, alors que lors de l’élection présidentielle l’interdiction définitive du glyphosate faisait partie des engagements du candidat Macron !
Conformément aux procédures européennes un second vote fut donc organisé le 16 novembre selon l’adage édicté par Edith Cresson à la suite d’un vote négatif de l’Irlande sur l’Europe : « Ils ont mal voté, il faudra les faire revoter. »
Ce second vote fut en effet positif : la France s’étant encore abstenue ! Macron n’ayant plus de compte à rendre à de potentiels électeurs n’a pas hésité à céder aux sirènes du lobby chimique arguant « qu’il n’y avait pas d’alternative à son emploi »… Surtout si aucun institut de recherche ne se dote d’un programme sérieux de recherche, notamment sur la question de la diminution, voir la suppression des pesticides agricoles et d’une orientation moins préjudiciable à l’environnement de « l’amélioration » des végétaux…
Bayer avait assuré rester confiant dans le renouvellement de l’approbation du glyphosate qui va donc sévir jusqu’en 2033…
Que lui reproche-t-on ? Rien ou presque puisque l’OMS le reconnaît comme « cancérigène probable » et que de nombreux états, notamment les USA ont juridiquement admis sa nocivité.
Aux USA, Monsanto (rachetée par Bayer en 2018) croule sous des milliers de procès et des milliards d’indemnité… Il reste à ce jour environ 40 000 procédures en cours… En France une première condamnation confirmée est le prélude à de nombreuses autres ! Et nous n’évoquerons pas les multiples actions judiciaires entreprises dans de nombreux pays, ni les restrictions, voire interdictions, déjà promulguées dans certains pays d’Asie du Sud est.
L’action Bayer – qui se situait autour de 150 € avant rachat de Monsanto en 2016 – se situait encore autour de 100€ après le rachat Monsanto et les premières condamnations concernant le glyphosate. ELLE se situait en chute continue autour de 60 en 2019… Nous prévoyions alors que cette chute n’était pas entravée…
Depuis la nomination du nouveau président, Willian N Anderson , il y a deux ans, des rumeurs circulent sur une possible scission du groupe : d’un côté l’activité agro-industrielle, de l’autre, la santé. C’est ce pourquoi plaident des investisseurs, dont Artisan, Bluebell et Inclusive Capital Partners qui souhaitent un démantèlement du groupe (cf : Il faut sauver le soldat glyphosate). On ne peut pas dire que la bourse leur donne tort !
Racheter Monsanto pourrait avoir signé la mort du groupe Bayer dans sa réalité actuelle. De fait l’action oscillait depuis des semaines, entre 40 € et 42€.
Si le 16 novembre l’action avait encore perdu 0,49 %, elle a « bondi » de près de 2% le vendredi 17, lendemain de l’annonce officielle de la ré-autorisation du glyphosate. Mais rien n’indique que ce sursaut, effet d’annonce passé, soit durable : à défaut d’un second souffle, Bayer, connaitrait au moins un répit…
Car un malheur n’arrivant jamais seul, après le glyphosate et la branche phytosanitaire, c’est l’azundexian et la branche pharmacie qui est sur la sellette :
« Bayer chute en Bourse lundi en matinée après avoir annoncé la veille l’abandon d’un vaste essai clinique de phase III portant sur un nouveau médicament anticoagulant, l’asundexian, en raison de son manque d’efficacité. »
Un échec cuisant de la recherche…
De fait, ce matin lundi 20 novembre à l’ouverture, l’action Bayer a dévissé de plus de 6% dégringolant à 35€ cote plancher encore jamais atteinte ! Mais la chute va se confirmer dans la journée, la cotation atteignant 33 € avant de remonter un peu et de se maintenir autour de 34 €…
L’avenir de Bayer s’avèrera donc difficile, pas seulement pour la population et l’environnement mais aussi pour sa côte boursière, même si grâce à Bruxelles, on va faire vendre beaucoup de glyphosate !
M.àj. 28.11.2023 : A titre purement indicatif, pour tous ceux qui pensaient – ou pire professaient – que la cote de Bayer allait s’arranger… Si l’annonce du retour du glyphosate n’a pas « bouster » un certain redressement boursier , l’annonce synchrone de l’abandon sur échec thérapeutique du dernier anticoagulant – qui a plombé la branche pharmacie – a engendré une décote sans précédent. Aujourd’hui le plancher de 31 € a été crevé… Rappel : avant le rachat de Monsanto, la cote de Bayer atteignait 150 € !
Claude Timmerman
Claude Timmerman est un biologiste, statisticien, spécialiste de la génétique des populations diplômé de l’ENS. Il a participé régulièrement au Libre Journal de Serge de Beketch sur Radio Courtoisie et publie des articles sur différents médias, tels que Rivarol, Stratégika ou Medias-presse.info.