Décor : le marquis Emmanuel de Morveux d’Enarque, de fort méchante humeur, arpente les couloirs de son palais, suivi par le chien Némo qui lui renifle l’arrière-train…
Ô rage ! Ô désespoir ! Mais qu’est-ce qui m’a pris
De vouloir imposer ma copine Amélie
Dans l’équipe issue de ce remaniement,
Qui prétendait marquer un profond changement ?
Quand nous étions ensemble sur les bancs de l’ENA,
Pouvais-je imaginer que ce triste échalas
Avec sa mine mièvre et son physique ingrat,
Ferait si promptement la une des médias ?
Or, lui avoir confié un si grand ministère,
Est une inconséquence qui peut me coûter cher.
Pourtant, jusqu’à présent j’avais tout réussi,
J’ose le dire ici sans fausse modestie.
Je me suis entouré de godillots serviles,
De vieilles haridelles, d’invertis juvéniles.
Je leur ai tout appris, mais surtout à mentir,
A dire n’importe quoi, quitte à se contredire.
Car j’ai bien compris que leur incompétence
Est pour moi un atout pour rabaisser la France.
Mes ministres sont nuls, tout le monde le sait.
Et on compte sur moi pour les canaliser.
Je suis sans conviction, je vais au gré du vent,
Moi, le petit génie du « et en même temps ».
Je me suis inspiré d’Hollande et sa mousmée !
Celle-là qu’en scooter il aimait cocufier,
Et qu’il a répudiée, avec morgue et dédain,
Comme on se débarrasse d’une vieille catin.
J’ai fait pareillement avec la vieille Borne.
Elle a tout encaissé en technocrate hors norme.
Pourtant elle avait su utiliser vingt fois
Cet article inique qu’est le « 49,3 ».
Est-ce que je lui sais gré de m’avoir obéi ?
Assurément pas, pas du tout, que nenni !
Si je l’ai virée, quoi de plus normal,
Que de la remplacer par Gabriel Attal,
Qui plait tant aux bourgeois et à la droite molle,
Par ses propos fumeux pour réformer l’école ?
Alors qu’il est bien jeune, il voudrait jouer les durs,
Mais il sait, comme moi, que l’on va dans le mur.
Dans son gouvernement, sorte de « cage aux folles »
Deux ou trois, déjà, trainent des casseroles.
J’ai voulu pistonner Amélie Castoidela,
Mais pas uniquement parce qu’elle a fait l’ENA.
Sachant qu’on a confié les postes régaliens,
À Dupont-le-Yéti, Le Maire ou Dard-Malin,
Il me fallait quand même, pour certains ministères,
Imposer à Attal de nommer des rombières. Mais avec Amélie, j’ai tiré le gros lot :
Il n’y a pas un jour sans potins, sans ragots.
Elle coche toutes les cases en matière d’inepties.
Pour parler crûment, elle me pourrit la vie.
Je pourrais être heureux, épanoui, adulé,
Mais qu’attend donc Attal pour enfin la virer ?
Le haut rang que j’occupe et que d’aucuns m’envient,
Doit me mettre à l’abri de bien des avanies.
Or donc, je n’en puis plus, ça ne peut plus durer,
Il me faut derechef me changer les idées.
Je vais téléphoner à mon pote Zob-Ensky,
Lui envoyer des armes pour mater la Russie,
En échange de quoi j’achèterai son blé,
Son maïs, son soja ou encore ses poulets.
On me dit que les ploucs, les ruraux, les bouseux,
Bref, la populace du monde « cul-terreux »
Seront fort mécontents ; qu’ils vont manifester.
Moi je m’en contrefous, ils peuvent tous crever…
Le marquis tape du pied, comme un enfant gâté ; « mémé Trogneux » entre dans la pièce…
Oh mon pauvre chéri, je te sens énervé.
Qui donc t’a fait du mal, qui donc t’a irrité ?
Je ne supporte pas de te voir en colère :
Dis ce qui ne va pas ; je suis un peu ta mère.
Dire qu’il existe en France des gens irrespectueux
Qui, sans le moindre tact, m’appellent «mémé Trogneux»
Et qui trouvent anormal, amoral ou malsain,
Que je puisse adorer un aussi beau gamin.
C’est l’heure de ton goûter, viens mon petit chéri.
Si tu veux, je peux même y inviter Gaby ?
Quand tu auras fini, tu prendras un bon bain,
Je veux que tu sois propre, je fais ça pour ton bien.
Cédric de Valfrancisque
Chapeau bas à l’auteur de cette diatribe pour son talent.
En effet, on n’imagine mal le tour de force intellectuel qu’il faut avoir, pour arriver à faire d’un personnage de cauchemar, un personnage de roman, presque sympathique…