France Inter veut effacer les origines et racines romaines de la civilisation européenne. Et pour ça rien de mieux que de faire de Rome le paradis de leurs fantasmes cosmopolites, au mépris de la vérité. Ceux-là trouveront toujours nos voix et nos poings sur leur chemin, face à eux, car depuis Maurice Barrès nous savons que « nous sommes les instants d’une chose immortelle » et que nous devons continuer à rendre « honneur à ceux qui demeurent dans la tombe les gardiens et les régulateurs de la cité ». Et on retrouvera en fin d’article le superbe texte de Maurras dans lequel il évoque les « deux Rome » païenne et chrétienne, fondatrices de la même civilisation européenne.
Ils sont faux ces Romains !
Une thèse vieille de dix ans, une universitaire reconnue et une brève radiophonique avec un énoncé pour le moins assertif. Le 17 janvier, « pôle Edition de France Inter » se piquait d’histoire antique. En trois minutes, la rédaction règle son compte à « une idée reçue construite a posteriori et intellectuellement inexacte » à savoir que l’Europe serait héritière de la Grèce et de Rome.
Le titre est là pour attirer le chaland : « Pourquoi « rien n’est plus faux que d’admettre les racines gréco-latines de l’Europe ? ». La réponse est simple : ni Rome ni la Grèce n’ont pu inspirer l’identité de l’Europe car elles en étaient proprement dépourvues. Selon France Inter, « L’historienne des langues rappelle que déjà, durant l’Antiquité, Rome ne se réduit pas à une identité, mais à une altérité : « le Romain est celui qui vient d’ailleurs ». Pas d’identité romaine, pas de transmission de ladite identité à l’Europe. CQFD
L’affirmation en surprendra plus d’un. Vingt siècles de culture de l’âme et du regard procèdent en vérité d’un mirage dont viennent nous libérer en trois minutes Florence Dupont et France Inter. Que dit l’historienne pour étayer sa thèse ? Elle semble avoir fait une découverte qui mériterait à elle seule qu’on y consacre toute une vie et une carrière universitaire d’approfondissements. A savoir que l’Enéide n’est pas un texte historique au sens que les sciences humaines ont donné à ce mot. Elle ne s’appuie pas sur des « sources » et ne vise pas à l’exactitude.
L’Enéide au prisme de la seule exactitude
Florence Dupont semble tirer des conclusions générales et hâtives – Rome n’aurait pas d’origine – du fait que l’histoire romaine soit de la mythologie, ce qui n’aura d’ailleurs échappé à personne. En considérant la contradiction apparente entre les traces archéologiques et le récit mytho-historique, elle plaque une analyse archéologique sur ce qui relève de la religion, de l’imaginaire et de la culture. Ce n’est pas parce qu’un récit n’a pas de fondement archéologique qu’il cesse d’exister pour la culture humaine. Heureusement que l’histoire ne se réduit pas à compter les tessons dans des fosses, ou nous n’aurions pas eu d’histoire des cultures, des croyances, des religions, qui en sont la partie la plus précieuse. Ce qui importe n’est pas qu’Enée fonde matériellement Rome, dont l’origine archéologique reste difficile à comprendre, mais que les Romains aient cherché à s’inscrire dans un temps de la fondation et des origines, un temps linéaire qui part d’une création inscrite dans l’histoire. On se souvient des mots d’Arendt dans la Crise de la culture lorsqu’elle rappelait que « La conception romaine de l’autorité politique où la source de l’autorité se trouvait exclusivement dans le passé, dans la fondation de Rome et la grandeur des ancêtres. (…) Au cœur de la politique romaine, depuis le début de la république jusqu’à la fin de l’ère impériale, se tient la conviction du caractère sacré de la fondation, au sens où une fois que quelque chose a été fondé il demeure une obligation pour toutes les générations futures. S’engager dans la politique voulait dire d’abord et avant tout conserver la fondation de la cité de Rome. »
L’Enéide n’est certes pas un ouvrage d’histoire scientifique comme en proposent les chercheurs en sciences humaines. Pour Florence Dupont, l’œuvre de Virgile ne peut pas être comparé non plus à celles de Lavisse, de Renan ou de Michelet. L’Enéide n’est certes pas un roman national. Ses milliers de vers ressemblent assez peu aux proses par lesquelles les nations européennes prenaient conscience d’elles-mêmes à partir du XIXe. Mais quand on écrit que l’Eneide n’est pas un roman national, on n’a pas dit grand’chose à une époque où la notion de nation n’est pas évidente. Il est au moins un roman civique, un roman municipal, et un roman impérial, comme notre roman national a tenté de l’être au sein d’autres institutions. Nous n’insisterons pas sur le fait qu’un siècle n’en fait pas un autre et que les aspirations culturelles ou identitaires d’une communauté civique de quelques milliers de familles diffèrent naturellement des aspirations d’Etat moderne dont tout l’objet fut d’étendre l’accès à la culture, à la citoyenneté et au politique. Rappelons cependant que l’Enéide – œuvre que l’on nous demande de regarder comme une simple performance esthétique versifiée- est intervenue dans un contexte politique et culturel particulier pour Rome. Nous sommes au Ier siècle sous le principat d’Auguste César. Le nouvel empereur pense que trop de Romains se pâment devant la culture grecque – au diapason de l’opinion de magistrats dont Caton et Cicéron furent les meilleurs représentants. Auguste lance alors en s’appuyant sur Tite-Live et notre fameux Virgile, tout un programme pour montrer que Rome n’est pas redevable à la Grèce sa culture et sa civilisation. Rome a désormais droit à des lettres qui lui sont propres. L’Enéide permet de créer une épopée latine capable de concurrencer l’Iliade et l’Odyssée pour donner un privilège d’antériorité équivalent à Rome. Or dans l’Antiquité, plus c’est ancien, mieux c’est. Plutôt qu’un fondateur anonyme, imaginaire ou inconnu, on préfère prendre un Troyen en fuite venu s’installer en Italie. Rome gagne en légitimité et n’a plus à rougir face aux Grecs.
A Rome et au reste du monde
De la réfutation de thèses imaginaires que personne ou presque ne soutenait – à savoir la scientificité de l’Enéide ou son identité avec les romans nationaux du XIXe– l’article passe à la réfutation, de « l’identité romaine » – démontrant par là une incompréhension sidérante du terme. Pas d’identité, ces Romains choqués par les mœurs grecques, comme du Bellay à Rome en d’autres temps ? Pas d’identité, ces Romains si bien décrits par Pierre Grimal, dont la vie s’articulait autour d’une certaine idée de la gravitas matérialisée dans un mode de vie frugal ?
Rome a bien évidemment une identité. Le souci des origines y est parfois obsédant. Quel besoin aurait un sénateur romain d’afficher les masques de ses ancêtres dans sa demeure, si ce n’était pour se rapporter au temps de la fonction, et à l’origine, aussi imaginaire puisse-t-elle être ? L’article cite opportunément la thèse de l’historien Yan Thomas, qui s’était intéressé à la création de généalogies prestigieuses chez les aristocrates romains pour en conclure que cette question était éminemment importante et politique. Les patriciens prétendaient descendre des gentes fondatrices de la République romaine voire des dieux et ceci – selon l’historien cité en référence- leur a permis d’accumuler du prestige nécessaire au trust des principales fonctions et magistratures de la République. Romulus et Remus sont certes des outsiders à la tête d’une bande de délinquants qui guerroient et raptent les femmes des cités voisines mais descendant malgré tout d’une lignée royale et prétendent avoir un dieu pour père. Tout cela pour s’attirer les faveurs d’une plèbe qui s’était habituée à apprécier la vertu au regard de l’origine. Plusieurs siècles de lutte entre le Sénat aristocratique et des tribuns cherchant les faveurs de la plèbe visaient à trancher un dilemme que Rome n’a jamais totalement résolu : l’origine qualifie-t-elle ou non pour le pouvoir ? Cette question persiste en filigrane dans l’antiquité tardive. Après la conversion au christianisme, il n’est pas rare que certaines familles mettent en valeur l’ascendant prestigieux de tel ou tel saint.
Dans le même temps, les Romains sont évidemment ouverts sur l’extérieur et leur superstition leur était un motif suffisant pour accueillir tous les dieux étrangers ; mais pas plus que la France lorsque ses peintres ont voulu puiser un art nouveau dans la découverte des cultures africaines. Lorsque Rome accueille la Magna Mater dans son Panthéon et la positionne aux côtés de Jupiter, la cité intègre une divinité étrangère empruntée à la Phrygie, la région mythique de Troie et d’Enée. En même temps, elle l’assimile, lui offre une place de choix en la disposant sur son Capitol. Quand Rome se trouve Enée comme fondateur, elle choisit une altérité facilement intégrable. Enée est réfugié d’une cité détruite. Le pauvre n’a nulle part où aller, s’ennuie à Carthage avec Didon, la quitte, s’échoue en Italie et devient par la magie du Verbe de Virgile et la décision d’Auguste le premier des Romains. Plus que tolérants, épris d’altérité ou d’exotisme les Romains sont en vérité des gens très pratiques. Ils intègrent en fonction de leurs besoins, font preuve de souplesse, de sens politique et rappellent aussi à qui en doutait qu’une identité peut être intégratrice et évolution. Plus que l’image baroque d’une communauté de hippies en migration, on pourrait voir en Rome une alchimie complexe entre origine royale et apport étranger. L’identité est complexe, personne ne le nie, sinon ceux qui comme peut-être Florence Dupont et Patrick Boucheron en réfutent le concept.
Des déconstructeurs déconstruits
Quant à nous, Européens, nous pouvons évidemment nous réclamer de cette Rome, dont les particularités uniques lui ont dessiné une identité exceptionnelle. Politique, philosophie, architecture, histoire même, il n’est pas une matière de l’esprit qui ait échappé à son influence. La France en particulier, dont les habitants ont été conquis, y compris culturellement, comme l’a montré la diffusion du latin et de la céramique sigillée. Sénèque, Cicéron, Virgile auront été les guides d’une foule innombrables de philosophes et de littérateurs.
Si Rome et la Grèce n’avaient pas existé et n’étaient que fictions des hommes de la Renaissance, inventions des poètes de la Pléiade ou même hallucinations de leur contemporain, monsieur Don Quichotte, elles n’en resteraient pas moins la matière dont il est tissé notre identité. C’est précisément de cet universalisme romain que l’identité gréco-romaine de l’Occident est héritière : moins de la république romaine , de ses mythes d’altérité, de son obsession aristocratique pour l’origine sociale ou de son colonialisme prédateur, mais des Empire gréco-romains qui se sont succédés sous diverses formes, dont plusieurs dynasties et nations furent dépositaires mais dont tous conservaient et cultivaient le caractère universaliste et civilisateur comme l’union des armes latines avec les lettres grecques.
Déjà on repère de singulières contradictions chez certains esprits aussi déconstructeurs que déconstruits. La déconstruction confine souvent à l’esprit de contradiction et à la contrefaçon. Quiconque écoute Florence Dupont regrette évidemment son père. Pour se passer de France Inter, nos lecteurs pourront découvrir avec plaisir La civilisation romaine, et construire ainsi leur connaissance d’une identité et d’un peuple bien réels dont nous sommes d’heureux tributaires.
Lucien Rabouille
Source : OMERTA
Je suis Romain, je suis humain : deux propositions identiques.
Je suis Romain, parce que Rome, dès le consul Marius et le divin Jules, jusqu’à Théodose, ébaucha la première configuration de ma France. Je suis Romain, parce que Rome, la Rome des prêtres et des papes, a donné la solidité éternelle du sentiment, des mœurs, de la langue, du culte, à l’œuvre politique des généraux, des administrateurs et des juges romains. Je suis Romain, parce que si mes pères n’avaient pas été Romains comme je le suis, la première invasion barbare, entre le Ve et le Xe siècle, aurait fait aujourd’hui de moi une espèce d’Allemand ou de Norvégien. Je suis Romain, parce que, n’était ma romanité tutélaire, la seconde invasion barbare, qui eut lieu au XVIe siècle, l’invasion protestante, aurait tiré de moi une espèce de Suisse. Je suis Romain dès que j’abonde en mon être historique, intellectuel et moral. Je suis Romain parce que si je ne l’étais pas je n’aurais à peu près plus rien de français. Et je n’éprouve jamais de difficultés à me sentir ainsi Romain, les intérêts du catholicisme romain et ceux de la France se confondant presque toujours, ne se contredisant nulle part. Mais d’autres intérêts encore, plus généraux, sinon plus pressants, me font une loi de me sentir Romain.
Je suis Romain dans la mesure où je me sens homme : animal qui construit des villes et des États, non vague rongeur de racines ; animal social, et non carnassier solitaire ; cet animal qui, voyageur ou sédentaire, excelle à capitaliser les acquisitions du passé et même à en déduire une loi rationnelle, non destructeur errant par hordes et nourri des vestiges de la ruine qu’il a créée. Je suis Romain par tout le positif de mon être, par tout ce qu’y joignirent le plaisir, le travail, la pensée, la mémoire, la raison, la science, les arts, la politique et la poésie des hommes vivants et réunis avant moi. Par ce trésor dont elle a reçu d’Athènes et transmis le dépôt à notre Paris, Rome signifie sans conteste la civilisation et l’humanité. Je suis Romain, je suis humain : deux propositions identiques.
L’homme est blanc et sommet de l’évolution.
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