Washington affirme venir simplement à l’aide du gouvernement somalien dans le cadre de son combat contre le groupe terroriste al-Chabab, lié à Al-Qaïda. Mais la véritable raison de ce déploiement, c’est plutôt de continuer à déstabiliser des pays qui sont devenus très proches de Pékin et d’empêcher la perte de la Somalie au profit de puissances rivales.
La décision prise par l’administration Biden de redéployer les troupes américaines en Somalie est une mauvaise nouvelle pour plusieurs pays dans la région et au-delà. C’est une mauvaise nouvelle pour l’Éthiopie car le nouveau président pro-américain de Somalie soutient les séparatistes du Front de libération du peuple du Tigré qui, jusqu’à récemment menait une guerre de haute intensité contre Addis Abeba. C’est une mauvaise nouvelle également pour l’Érythrée à cause de la tentative, qui date de plusieurs décennies, de maintenir son indépendance et sa souveraineté face à la pression constante et implacable de la part de la « communauté internationale, » c’est à dire les puissances impériales occidentales.
Il y a plusieurs enjeux à considérer ici. Plus longue côte d’Afrique, la Somalie a une importance stratégique essentielle pour les États-Unis. Pendant la Guerre Froide, les États-Unis a renforcé le régime de Siad Barre qui a causé des problèmes au régime marxiste de Derg soutenu par l’Union Soviétique qui gouvernait l’Éthiopie. La pomme de discorde clé entre les deux pays était la région éthiopienne de l’Ogaden qui, avec le soutien des États-Unis, a mené une longue lutte indépendantiste. La lutte continue à ce jour. Cela pourrait causer des difficultés supplémentaires pour le gouvernement éthiopien qui fait face à l’insurrection du Front de libération du peuple du Tigré (FLPT), qui a le soutien total des États-Unis.
Une recrudescence de l’insurrection soutenue par les Américains dans l’Ogaden serait un véritable cauchemar pour l’Éthiopie, et il y a des signes montrant que plus d’ennuis sont à venir pour Addis Abeba. Une délégation du Front de libération national de l’Ogaden a rencontré le président Hassan Mohamed le 21 mai dernier. Bien que le groupe affirme adhérer à des méthodes pacifistes de parvenir à sa séparation de l’Éthiopie, cela ne va pas rassurer le président….
Le retour des troupes américaines en Somalie est également une mauvaise nouvelle pour l’Érythrée. Appelée la « Corée du Nord d’Afrique » par les médias occidentaux, l’Érythrée est l’une des grandes réussites économiques du continent. Ces dernières années, la croissance économique a atteint 17 % mais ils ont été punis par les États-Unis pour avoir refusé de devenir les laquais de l’impérialisme américain dans la région. Autrefois colonie italienne, puis, après la défaite de Mussolini dans la guerre d’Abyssinie, une partie de l’Éthiopie, l’Érythrée a combattu longtemps et durement pour son indépendance ; et le président Isaias Afwerki n’a pas l’intention de permettre aux intérêts impérialistes d’entraver les projets de développement nationaux du pays.
Les États-Unis ont imposé de nouvelles sanctions à l’Érythrée en novembre 2021 à cause de son soutien à la lutte de l’Éthiopie contre le FLPT. Washington n’a jamais caché le fait qu’il veut un changement de régime à Asmara. Une partie de la sale guerre de Washington contre l’Érythrée est l’exploitation des problèmes migratoires de la région. Les Nations-Unies y ont aussi joué un rôle essentiel. Par exemple, les Érythréens qui arrivent en Europe peuvent automatiquement s’enregistrer comme « réfugiés politiques. » Pour les médias occidentaux, cela crée l’impression que des millions de gens fuient le régime « oppressif » d’Afwerki. Les activistes d’opposition soutenus par les États-Unis et les ONG occidentales œuvrant en Méditerranée, sont massivement actifs dans la guerre secrète contre l’Érythrée.
Le 25 mars dernier, le FLPT a accepté une cessation des hostilités. Le cessez-le-feu a été une réussite majeure des diplomaties érythréenne et éthiopienne. Ces deux pays se sont affrontés dans un conflit frontalier en 1998 et sont restés des ennemis acharnés tout au long du mandat de l’ancien président éthiopien Meles Zenawi, mais les relations se sont spectaculairement améliorées depuis la prise de pouvoir d’Aby Ahmed.
Le 30 décembre de l’an dernier, le ministre des Affaires étrangères chinois Wang Yi a visité l’Érythrée où il a condamné les sanctions américaines contre ce pays et a soutenu les efforts gouvernementaux pour mettre fin à l’insurrection du FLPT en Éthiopie. L’Éthiopie et l’Érythrée sont des partenaires essentiels de la Chine dans la Corne de l’Afrique où Pékin a désormais ses premières bases militaires extérieures à Djibouti, non loin du camp de base militaire américain Lemonnier.
Washington affirme venir simplement à l’aide du gouvernement somalien dans le cadre de son combat contre le groupe terroriste al-Chabab, lié à Al-Qaïda. Mais la véritable raison de ce déploiement, c’est plutôt de continuer à déstabiliser des pays qui sont devenus très proches de Pékin et d’empêcher la perte de la Somalie au profit de puissances rivales.
Parmi ces puissances rivales, il y a la Turquie. Durant la dernière décennie, Ankara a été un investisseur considérable en Somalie dans un large éventail de secteurs économiques. Elle est aussi massivement impliquée dans l’entraînement de l’armée somalienne. Que la Turquie veuille retrouver le rayonnement impérial de l’époque ottomane n’est pas un secret. En 2017, la Turquie a ouvert une base militaire à Mogadiscio, où elle forme plus de 10.000 troupes par an.
Ankara investit dans toute l’Afrique et comprend l’importance d’utiliser son statut de puissance islamique pour obtenir de l’influence dans les nations africaine à dominance musulmane. Bien que membre de l’OTAN, la Turquie a été sanctionnée par les États-Unis au sujet de l’achat du système russe de missile S-400.
La Turquie et les États-Unis sont aussi en conflit concernant le soutien américain aux militants kurdes en Syrie. Actuellement, Ankara bloque l’adhésion de la Finlande et de la Suède dans l’OTAN. Le retour des troupes américaines en Somalie pourrait aussi interférer avec les ambitions géopolitiques de la Turquie.
Empire sur le déclin avec un président sénile, l’empire américain fomente la destruction où qu’il se trouve. La récente paix en Somalie et actuellement en Éthiopie est largement due aux investissements des puissances émergentes, mais désormais, avec le retour de l’Oncle Sam, cette paix pourrait ne plus durer longtemps.
Gearóid Ó Colmáin
Source : Moira Forest