Comme le soulignent nos camarades du mouvement Nation en Belgique dans leur texte « Chute de Damas, l’ouverture de l’enfer ? », « les tragiques événements de Syrie ne peuvent et ne doivent laisser les nationalistes en Europe indifférents ». Car il s’agit ici non seulement de la chute d’un régime social, nationaliste et laïc mais aussi de la prise du pouvoir par l’islamisme qu’il soit takfiriste ou frériste, souvent tous deux capables de s’accommoder du sionisme…
Avec l’intervention russe en Syrie au soutien du pouvoir à Damas en 2015, et avec le processus d’Astana signé en 2017, Russie, Iran et Turquie avaient redéposé aux pieds de Bachar el-Assad une fraction non négligeable et plus ou moins viable du territoire syrien, sur laquelle il pouvait exercer à nouveau sa souveraineté.
Le processus d’Astana consistait à « traiter » de façon différenciée les différents groupes rebelles, plus ou moins jihadistes, islamistes, tribaux ou claniques, plus ou moins affiliés ou manipulés de l’étranger et avec toutes les nuances de barbarie et de fanatisme que peut connaître la région proche-orientale.
Certains rebelles étaient éradiqués militairement, d’autres achetés par quelques soudoiements ou tolérance de leurs activités mafieuses, d’autres encore déplacés, parqués et « contenus » comme un certain nombre de jihadistes envoyés à Idleb sous surveillance turque, ceux qui étaient appelés à devenir Hayat Tahrir al-Sham – (ex?)al-Qaeda, (ex?)Daesh – et autres ANS (Armée Nationale Syrienne) qui se sont rendus maîtres de Damas en moins de trois semaines.
Une partie néanmoins importante du territoire restant sous contrôle des Kurdes (YPG et FDS, PKK en arrière-plan) proxy des Américains mais ennemi majeur des Turcs.
Après Astana, Bachar el-Assad a bénéficié d’un répit dans les combats de 2018 à 2024 qui pouvait constituer une fenêtre d’opportunité pour reconstruire – ou à tout le moins tenter de redresser – une économie, une armée, un État, quelque chose qui refasse le lien entre un peuple et un régime.
Alors comment l’armée et l’État syriens ont-ils pu s’effondrer si rapidement en ce mois de novembre 2024 ?
Bachar el-Assad n’a pas su. Il n’a pas su parce que Bachar était un ophtalmologue diplômé à Londres qui n’a pas été formé pour être le maître de Damas. À la différence de son frère aîné Bassel, élevé et éduqué dans le but d’être un jour l’héritier de son père, Afez, à la présidence de la République syrienne, mais qui est mort dans un accident de voiture le 21 janvier 1994. Bachar, sans véritable formation ni attrait, ni expérience de la politique, a reçu par les hasards tragiques de l’existence un pouvoir qu’il ne maîtrisait peut-être pas. Et, après Astana, Bachar est retourné à ses « affaires personnelles » et celle de son clan…
Bachar el-Assad n’a pas pu. Il n’a pas pu non plus, parce que les Américains et les Occidentaux, mais aussi la Ligue arabe, ont maintenu un strict blocus et autres sanctions internationales économiques et financières (loi « César ») contre la Syrie (à la façon du blocus qui contribua à avoir la peau de Saddam Hussein en Irak). Et parce que malgré le retour sous sa main d’une partie du territoire, les principales ressources syriennes, c’est-à-dire les champs pétrolifères de l’est du pays, sont restés hors de sa portée entre les mains américano-kurdes. Des ressources et revenus qui auraient pu constituer la manne pour redresser la barre incluant un débouché sur le littoral méditerranéen et un autre dans l’axe iranien.
Bachar el-Assad lâché par ses « alliés » ? Iran et Russie ne sont pas intervenus massivement à partir du 27 novembre 2024, jour du déclenchement de la rébellion fatale, certes. Mais en réalité le pouvaient-ils encore de façon déterminante ?
Les milices chiites pro-iraniennes d’Irak, légèrement armées de toute façon, ne pourront traverser suffisamment rapidement le désert syrien et sans risquer la destruction par les américano-kurdes et les reliquat du califat encore présents. Le Hezbollah a été considérablement affaibli par Israël, et il se replie au Liban. Occupée en Ukraine, la Russie ne pourra pas soutenir l’armée syrienne comme avant, les frappes aériennes sporadiques sont insuffisantes pour appuyer les loyalistes syriens en déroute.
Les États n’ont pas d’amis mais seulement des intérêts, d’accord. Mais à partir de 2011 et 2015, et pendant plus de dix ans, l’Iran et la Russie avaient quand même beaucoup sacrifié et n’avaient pas ménagé leur soutien militaire, financier et diplomatique à la Syrie…
Signalons aussi, pour mémoire, les ouvertures à l’international qui se sont présentées à Bachar :
- Recep Tayyip Erdogan a cherché une voie diplomatique, avant de lancer le rodéo sauvage de ses protégés d’Idleb. À l’été 2023, celui qui se rêve en nouveau sultan avait invité Bachar el-Assad à venir passer des vacances le long du littoral méditerranéen d’Asie mineure, lui proposant un pacte politique et économique qui avait l’avantage de sortir la Syrie de son isolement régional. La seule chose que le président turc avait demandée à son homologue syrien était de reprendre progressivement chez lui les 4 millions de réfugiés syriens en Turquie. Mais Bachar ne voulait pas de ces Syriens à la loyauté forcément douteuse à l’endroit du régime baasiste.
- Bachar reçut également une autre offre « généreuse », quoique secrète, celle ourdie par Ron Dermer, le ministre des Affaires stratégiques d’Israël depuis 2022. Avec le soutien tacite de la Russie, Dermer proposait d’organiser, avec l’aide de ses amis émiriens, un soutien massif à la reconstruction du territoire syrien, à la seule condition que Bachar accepte de tourner le dos à l’Iran et à l’Axe de la résistance…
Quoi qu’on en pense, Bachar a repoussé ces deux offres plus ou moins empoisonnées.
Il n’aura alors pas fallu plus d’une quinzaine de jours pour que nous assistions à l’effondrement général de l’Armée Arabe Syrienne.
La percée initiale a duré 3 jours durant lesquels les forces rebelles se sont emparées de la deuxième ville du pays, Alep. Du 4e au 9e jour, HTS a consolidé ses positions. Au 9e jour, les forces de HTS et leurs alliés des forces de l’ANS, des jihadistes et autres, sont entrés dans Hama, abandonnée par le régime, fuyant l’encerclement. Les forces de HTS ont progressé vers la troisième ville de Syrie, véritable verrou du pouvoir entre Damas et l’arrière pays alaouite sur la côte méditerranéenne, Homs. Sur le trajet, ils ont rencontré des rebelles qui avaient pris les armes à Rastane et Talbissé. Les forces du régime syrien et le Hezbollah ont abandonné la ville d’Homs, se repliant vers Damas et le Liban, les forces armées russes se repliant du Kurdistan.
L’armée syrienne, avec les milices iraniennes et irakiennes combattant en Syrie, effectuant une retraite générale de toutes ses positions dans la vallée de l’Euphrate, les FDS (Forces Démocratiques Syriennes, pro-américaines, dont les YPG Kurdes) ont pris le contrôle du terrain abandonné, entrant notamment dans deux points d’importances, la ville de Deir Ez Zor et à Abu Kamal à la frontière irakienne, tandis que les quelques forces d’Al Tanf avancent sur Palmyre. Les reliquats du califat de l’État islamique prirent la place de l’armée syrienne dans les environs…
Puis tout le sud de la Syrie se soulève, y compris ces jihadistes et autres rebelles du sud-ouest de la Syrie, autour du Golan, que les Israéliens avaient armés à une époque et soignés, on se souvient des ballets d’ambulances traversant la frontière israélo-syrienne…
Les armées « convergent » vers Damas, poursuivies par des rebelles dont les rangs grossissent. La rébellion dormante (partout, même à Damas) se réveille et monte des embuscades.
On connaît la suite : dans tout le pays, l’armée disparaît, laissant place à des rebelles locaux. Et Damas tombe, le nouveau maître, Abou Mohammed al-Joulani, de son vrai nom Ahmed al-Chareh, fait une entrée triomphale dans la mosquée des Omeyyades. Treillis militaire et barbe noire taillée, le leader est accueilli en héros sous les « Allah Akbar ! ».
Exfiltration de Bachar, ouverture des prisons, destruction des statuts des Assad et profanation des sépultures. Nouveau « drapeau » et représailles, c’est la débaassisation qui est en cours. Le parti Baas a officiellement « suspendu » ses activités en Syrie, hier. Il convient de rappeler que la destruction du parti Baas en Irak a conduit à l’émergence de l’Etat islamique. Reste à savoir quel mutant naîtra du brassage de la guerre civile syrienne…
La chute du régime laisse en tout cas une impression amère, un peu comme lors du processus qui a abouti à l’éradication de la république d’Artsakh. Face à la dernière offensive éclair azerbaïdjanaise de septembre 2023, le pouvoir arménien à Erevan, qui pourtant avait précédemment bien résisté militairement, a-t-il tenté quoi que ce soit pour défendre Stepanakert ? Rien. Pas un coup de feu de l’armée arménienne à l’époque…
Dans ces conditions que peuvent des puissances extérieures, Russie ou Iran, quand les principaux concernés n’ont pas su, pas pu ou pas voulu ?
Quoi qu’il en soit, après la disparition de Nasser, de Saddam Hussein puis de Kadhafi et après les mal nommés « printemps » arabes, les deux mâchoires de la tenaille enserrant la Syrie, la branche néo-ottomane et la branche américano-sioniste, ont planté le dernier clou dans le cercueil du nationalisme arabe.
Les populistes et les droitards à courte vue, croyant avoir le vent en poupe, et qui applaudissent à la chute du raïs de Damas et de son baasisme, n’en seront que plus démunis quand ils ne trouveront plus comme point d’appui d’une politique arabe pour la France et l’Europe dans cette région du monde, que takfirisme, frérisme et sionisme…
Très bonne analyse! La catastrophe syrienne happera tot ou tard l’Europe qui soutient aveuglément les Ricains et l’entité sioniste contre le nationalisme arabe!