« Il faut, quand on gouverne, voir les hommes tels qu’ils sont, et les choses telles qu’elles devraient être. » (Louis de Bonald)
Louis de Bonald est un intellectuel méconnu de nos contemporains, mais également au sein des maigres cohortes du nationalisme français. Voilà pourquoi il nous semblait nécessaire, outre de rappeler son existence, de s’intéresser à un point précis de la doctrine de ce penseur, celui concernant l’idée de « Constitution », et ce après un très bref rappel biographique.
Louis, vicomte de Bonald (1754-1840), est originaire du Rouergue. Il est d’une famille dont la noblesse est attestée dès le XIVe siècle et dont les hommes sont le plus souvent officiers de l’armée royale ou magistrats. Louis fut lui-même mousquetaire du roi, avant d’être nommé en 1785 maire de Millau par Louis XVI, puis d’être élu maire par la population en 1790. Mais il finit par choisir l’exil en 1791. C’est en exil qu’il commence à écrire. Revenu en France en 1797, il est entretemps devenu un intellectuel royaliste. Après l’abdication de l’empereur en 1814 Bonald devient, avec Joseph de Maistre, autre intellectuel majeur de la Contre-Révolution, un homme assez apprécié par Louis XVIII et Charles X. Son nom est attaché à une loi abolissant le divorce civil, en 1816. Il fut dans les derniers temps de sa vie un contempteur de la monarchie de Juillet, dans laquelle il ne voit que le triomphe de la bourgeoisie.
Bonald fut en outre l’auteur de la Théorie du pouvoir politique et religieux, sans doute son ouvrage le plus célèbre, ainsi un défenseur de l’Eglise catholique.
L’une des grandes originalités de la pensée de Louis de Bonald est son affirmation selon laquelle :
« Dans tous les temps, l’homme a voulu s’ériger en législateur de la société religieuse et de la société politique, et donner une constitution à l’une et à l’autre ; or je crois possible de démontrer que l’homme ne peut pas plus donner une constitution à la société religieuse ou politique, qu’il ne peut donner la pesanteur aux corps, ou l’étendue à la matière, et que, bien loin de pouvoir constituer la société, l’homme, par son intervention, ne peut qu’empêcher que la société ne se constitue, ou pour parler plus exactement, ne peut que retarder le succès des efforts qu’elle fait pour parvenir à sa constitution naturelle. »
SI l’on en croit Bonald, l’Homme ne pourrait pas modifier la Constitution de son propre pays ou celle des autres selon son bon vouloir. Selon son biographe Flavien Bertran de Balanda, Bonald « y voit un non-sens d’autant plus criminel qui pousse les sociétés à se rapprocher par elles-mêmes, en un continuum ininterrompu, de leur constitution au sens véritable du terme. » Pourquoi ? Parce que comme il le précise lui-même, il existe une « constitution naturelle », un régime politique propre à chaque peuple, correspondant à sa nature et à sa psychologie profonde, et contre laquelle il est vain de lutter. On peut rapprocher cette conception de celle de l’anthropologue Gustave Le Bon, que celui-ci développe dans son ouvrage Lois psychologiques de l’évolution des peuples.
La nature, le temps qui passe, les désirs et les références parfois inavouées des Hommes pousse toujours les sociétés à se rapprocher de cette Constitution naturelle, cela est inévitable, et même souhaitable, affirme Bonald. Une société viable sait reconnaître cela, et s’y conformer. C’est pour Bonald un stade de « civilisation ».
Contre ceux qui imaginent une Constitution parfaite, il rétorque :
« une constitution complète n’est pas celle qui termine à l’avance toutes les difficultés que les passions des hommes et les chances des évènements peuvent faire naître, mais celle qui a le moyen de les déterminer lorsqu’elles se présentent. Comme les bons tempéraments ne sont pas ceux qui empêchent ou préviennent toutes les maladies, mais ceux qui donnent encore la force d’y résister et d’en réparer promptement les ravages. »
Aussi le gouvernement représentatif, comme celui de la France de 2023, ne peut qu’échouer dans sa tentative de « faire société » puisqu’elle divise les pouvoirs (judiciaire, législatif, exécutif) et ainsi « tend à l’anarchie ».
Aussi la vision bonaldienne de la Constitution politique nécessaire des Nations se résume à l’axiome suivant : « volonté générale manifestée par des lois fondamentales, pouvoir général exercé par le monarque, force publique dirigée par le pouvoir général ». Qu’un seul de ces éléments vienne à être modifié et c’est la porte ouverte à la tyrannie.
Pour Bonald, ce qui fait l’Etat, « c’est la royauté, la religion et la justice », et la société française idéale est bien sûre monarchique et catholique. La démocratie est à ses yeux, bien entendu, une chimère, surtout dans sa forme la plus pure, parce que « les volontés de tous les pouvoirs de tous ne peuvent s’exercer ensemble. »
Il faut aussi rappeler que la conception monarchique de Bonald n’a pas de rapport, dans son esprit, avec le despotisme. En effet, le despotisme, volonté d’un seul au nom de la volonté générale, finit toujours par être renversé par celle-ci. La monarchie de Bonald est bien celle morte avec l’Ancien Régime, lorsque le trône était protecteur des anciennes coutumes provinciales, corporatives, des anciennes autonomies comme celles des communes, et de l’Eglise en particulier. Chez Bonald le pouvoir suprême réside en Dieu, dont le roi et les prêtres sont les délégués.
La Constitution politique naturelle à un pays est liée à une autre constitution tout aussi naturelle, religieuse celle-ci. La constitution religieuse est affaire de respect entre Dieu et les hommes, la constitution politique de respect entre les hommes entre eux.
Aussi curieusement que cela puisse paraître, Bonald pense avoir trouvé le modèle valable pour toutes les Nations, et donc de toutes les monarchies, dans l’Egypte ancienne. Il en résume ainsi les points constituants :
« 1. Intervention de la religion dans toutes les actions sociales.
2.Education religieuse et politique, ou éducation publique.
3.Indépendance de la religion et de ses ministres de toutes volontés particulières.
4.Succession héréditaire de l’exercice du pouvoir.
5.Indépendance personnelle du monarque
6.Perpétuité de la profession militaire ou de la force publique assurée par l’hérédité.
7.Indépendance de la force publique de toutes les volontés particulières.
8.Etablissement de tribunaux dépositaires des lois.
9.Indépendance des tribunaux de toutes volontés particulières.
10.Nomination d’agents du pouvoir ou ministres.
11.Responsabilité des ministres aux tribunaux dépositaires des lois.
12.Indépendance de toutes les professions sociales, assurée par l’inamovibilité de leurs membres. »
Bonald n’est donc pas seulement un théoricien des institutions politiques idéales pour la France, mais en quelque sorte un penseur du pouvoir universel.
Si la France devait assumer son héritage civilisationnel, ou plus généralement ce que l’on pourrait appeler sa « Constitution psychologique collective profonde » elle devrait donc, si l’on en croit le vicomte, commencer par se débarrasser de la République et de la laïcité, afin retrouver la symbiose rêvée entre « pays légal et pays réel », si l’on devait traduire cette idée par la formule maurassienne. Et ensuite, (re)trouver le roi et la religion qui conviendrait à sa nature véritable.