Le don à la postérité de quatre hommes qui ont bravé la colère de Staline pour photographier l’Holodomor
S’il n’avait tenu qu’aux bolcheviks, l’Holodomor aurait parfaitement pu passer dans les oubliettes de l’Histoire.
Cherchant à tout prix à dresser un tableau idéal de l’Union soviétique, aussi bien vis-à-vis de l’étranger que des Russes, l’appareil communiste de l’URSS a tout fait pour ne laisser filtrer aucune information au sujet de la famine monstrueuse organisée par Staline qui a fait quatre millions de victimes en 1932 -1933. Les Soviétiques cherchaient à forcer les paysans à s’intégrer à des fermes collectives en réquisitionnant leur récolte.
Même quand le monde a fini par avoir vent de ce qui se passait, Moscou a continué de nier en bloc, édulcorant la gravité de la situation et faisant tout pour détruire ou faire disparaître les photographies incriminantes.
Pourtant, une poignée de photographes ont réussi à défier les autorités soviétiques en fixant les horreurs de l’Holodomor sur leurs pellicules.
Certaines de ces photos ont été prises subrepticement par des étrangers, principalement par Alexander Wienerberger, James Abbe, et Whiting Williams. Leur travail a ensuite été publié à l’Ouest où il a été considéré comme un important témoignage visuel d’une tragédie humaine sur laquelle certains lanceurs d’alerte comme Gareth Jones et Ewald Ammende avaient déjà tenté d’attirer l’attention.
D’autres clichés des ravages de la famine étant le fait de photographes locaux comme Mykola Bokan et sont restés invisibles pendant des années.
Ces photos interdites peuvent à présent être vues en ligne par tout un chacun grâce à une base de données unique constituée par des chercheurs.
Lana Babij, qui vit actuellement aux États-Unis, et ses collègues à Toronto, Anastasia Leshchyshyn et Daria Glazkova du Consortium sur la Recherche et l’Enseignement de l’Holodomor (Holodomor Research and Education Consortium (HREC), un projet du Canadian Institute of Ukrainian Studies (CIUS) de l’université de l’Alberta, ont créé tout un répertoire d’une centaine d’images sur le sujet.
Présentées ensemble pour la première fois, elles offrent panorama saisissant de l’effroyable famine et de ses innombrables victimes au sein de la population.
Étant donné que les travaux sur l’Holodomor ont souvent été pollués par des photos qui n’avaient rien à voir avec le sujet, les chercheurs ont effectué un gros travail d’authentification des clichés en donnant l’histoire de chacune des images publiées. Si au cours de ce travail certaines photos ont été éliminées, d’autres ont par contre été découvertes et se retrouvent publiées pour la première fois.
Les chercheurs se sont également intéressés aux photographes, retrouvant leurs observations personnelles qui viennent encore renforcer le témoignage des images.
Alexander Wienerberger (1891–1955)
La série de photos faite par Alexander Wienerberger de l’Holodomor est sans doutes celle qui donne la meilleure vision d’ensemble de cette famine que les Soviétiques se sont tant efforcée de cacher.
Wienerberger était un chimiste autrichien qui a passé vingt ans à travailler en URSS, en 1932, il était nommé directeur d’une usine à Kharkov, dans les rues de la ville, les effets de la famine étaient déjà visibles et durement ressentis.
Armé d’un petit Leica II de fabrication allemande, il s’est employé durant des mois à photographier discrètement les victimes de l’Holodomor.
Avec les campagnes dévastées par la collectivisation, nombre d’entre elles était des paysans qui avaient fui en masse pour échouer à Kharkov qui était alors la capitale de l’Ukraine soviétique.
Ils étaient venus là dans l’espoir de trouver du travail et de la nourriture, mais n’ont trouvé que la mort.
Prise dans le centre de Kharkov par Wienerberger en 1933, la photo porte en légende «corps d’une victime de la famine dans la rue».
Même si Wienerberger vivait loin de l’épicentre de la famine qui sévissait dans le cœur rural de l’Ukraine, ses photos donnent une idée de l’échelle apocalyptique de la catastrophe.
Le corps d’un jeune homme étendu dans les rues de Kharkov en 1933
L’une des photos les plus fameuses de Wienerberger de l’Holodomor, elle faisait partie de «l’album Innitzer» du nom du Cardinal de Vienne, Theodor Innitzer , album qui lui avait été remis en reconnaissance de ses efforts – vains au demeurant – pour venir en aide à l’Ukraine.
Souvent accompagnées de commentaires très évocateurs et édifiants, à la fois sombres et d’une certaine ironie dictée par la révolte, ces clichés disent le chaos de cet afflux massif de paysans à la recherche de nourriture, la désolation de ces bandes d’enfants affamés qui avaient perdu leur foyer et leurs parents et qui erraient livrés à eux-mêmes, l’horreur des corps efflanqués qui jonchaient le sol le long des rues.
Sur cette image présentée par Wienerberger comme dépeignant «tous les stades de la famine», trois hommes sont étendus, morts ou agonisants dans les rues de Kharkov sous le regard presque indifférent des passants.
Wienerberger était profondément affecté, bouleversé, par l’horreur de ce qu’il voyait, cela ressort clairement de ses écrits.
«Le spectacle du ramassage des corps avait de quoi glacer le sang des plus endurcis», disait-il, «des bébés morts étaient arrachés à leur mère hurlante, des bébés encore en vie enlevés au sein desséché de leur mère silencieuse à jamais, des enfants gémissaient à fendre l’âme».
Photo prise par Wienerberger à Kharkiv au printemps ou à l’été 1933. Sa légende manuscrite indique simplement «Une mère et ses enfants affamés».
Les photos de Weinberger avaient aussi le mérite de montrer «noir sur blanc» toute l’absurdité du système communiste, une puissance maléfique, disait-il, capable de provoquer une famine au beau milieu de ce qui est normalement un grenier à blé et en toutes sortes de denrées imaginables, il ne mâchera pas ses mots pour exprimer toute son aversion pour ce régime.
Sobrement intitulée «la demeure d’un travailleur», Weinberger écrit qu’il s’agissait là de l’hébergement typique de nombre d’employés de l’usine qu’il faisait tourner. C’est l’une des photos de Wienerberger sur Holodomor restées inconnues et mise à jour au moment de la constitution du répertoire.
« Ce qui est si bien rendu par Wienerberger — et qui est généralement ignoré même encore aujourd’hui – ce n’est pas seulement l’agonie des victimes mais les conditions de vie cauchemardesques à l’époque» précise Babji, «c’est un univers saturé de morts, de mourants, de sans logement – et même les habitants de Kharkov luttent pour survivre et arriver à s’y retrouver dans tout ce chaos».
Encore une des photos jusqu’ici restée dans l’ombre, sarcastiquement intitulée «plan de retraite alternatif» elle montre un vieil homme en perdition quémandant sur un pont de Kharkov en 1932.
Écœuré et outré par l’indigence obscène de la vie quotidienne à Kharkov, Wienerberger est rentré en Autriche, non sans avoir fait le nécessaire pour que ces photos le suivent à Vienne en toute sécurité par valise diplomatique.
À son retour, il a eu à cœur de se lancer presque aussitôt dans une série de conférences sur ce qui était en train de se passer en Ukraine et en Union soviétique, il présenta ses photos de la famine et autorisa ces images à être réutilisées pour faire de la propagande antibolchévique.
Les photos – à l’époque non certifiées – de Wienerberger ont servi d’illustration à un ouvrage d’Ewald Ammande pour dénoncer la situation en Ukraine. Il a aussi fait cadeau d’un album dédicacé à l’archevêque de Vienne, le cardinal Theodor Innitzer, en remerciement de ses efforts pour apporter une réponse coordonnée à l’Holodomor.
Tous les efforts pour lancer l’alerte sont restés sans écho, face aux dénégations en bloc des Soviétiques, la communauté internationale était réticente à exacerber un climat international déjà lourdement chargé, en conséquence, aucune aide internationale ne fut jamais envoyée à l’Ukraine.
C’est ainsi que les photos de Wienerberger sont progressivement tombées dans l’oubli pour des années avant qu’elles n’éveillent un nouvel intérêt dans les années récentes. Qualifiant les photographies de «don remarquable à la postérité» Babij déclare qu’elle et son équipe sont parvenus à constituer une base complète de ses clichés, «donc beaucoup étaient inédits et inconnus».
James Abbe (1883-1973)
James Abbe était un photographe professionnel qui s’est fait les dents en saisissant au vol des vedettes de la scène théâtrale et du cinéma dans les années vingt.
Il s’est ensuite tourné vers le photojournalisme et s’est fait une réputation en se faisant une spécialité de photographier les dictateurs, Hitler, Mussolini, Franco.
En 1932, il réussissait un coup en décrochant la permission de photographier un Staline souriant à Moscou où il s’était rendu avec sa famille pour effectuer un long reportage.
Durant la séance de prise de vues qui s’est éternisée bien au-delà de ce qui était prévu, il semble qu’il ait fait une bonne impression sur le dictateur soviétique.
L’une des photos prises alors, est restée célèbre pour avoir servi à démentir les rumeurs sur la mort de Staline qui circulaient avec insistance à l’époque.
C’est peut-être ce qui lui a valu de se gagner la confiance des autorités et qui lui a permis de faire des photos d’authentiques scènes de la vie en Union soviétique tout ayant l’air de s’en tenir à sa collaboration avec l’agence locale Soyuzfoto.
L’une des photos de Joseph Staline prise par James Abbe qui a passé une demi-heure avec le dictateur lors d’une séance photo qui ne devait initialement durer que cinq minutes.
En tant que photographe étranger travaillant avec l’assentiment des Soviétiques soucieux de soigner leurs relations publiques, Abbe a naturellement dû en passer par la visite de plusieurs projets phares de l’URSS, reconnaissant même avoir été impressionné par certaines prouesses techniques qu’il avait vues.
«D’un côté j’avais envie de me précipiter au premier bureau de poste et d’adresser à Staline un télégramme de félicitation pour avoir réussi l’industrialisation de l’Union soviétique» disait-il après avoir visité le barrage hydroélectrique sur le Dniepr, «mais je remarquais aussi que les hôtels dans lesquels je séjournais n’avaient souvent ni nourriture, ni pain, ni thé ni sucre».
Son œil de photographe averti n’avait pas manqué de remarquer les conditions de vie bestiales des ouvriers chargés d’élever ces grandioses monuments du progrès soviétique et il s’est souvent mis dangereusement en délicatesse avec les autorités pour avoir saisi sur le vif ce qu’il n’était pas censé prendre en photo.
Photographie de James Abbe de 1932, elle montre des petits jeunes de la région de Zaporizhzhya se tenant devant ce qui servait d’hébergement aux travailleurs affectés à la construction du barrage sur le Dniepr. Ce projet titanesque qui a exigé des dizaines de milliers d’ouvriers travaillant dans les conditions les plus insalubres qui soient, était l’un des objectifs du plan quinquennal.
Profitant de sa relative liberté de déplacement pour travailler, Abbe parvenait à prendre à la dérobée de nombreuses photos de scènes interdites comme les queues, les pillages d’église et même les funérailles de la seconde épouse de Staline qui s’était suicidée.
Même si Abbe avait bien conscience que «photographier une queue, en particulier devant un commerce alimentaire était tabou» il a pris ce cliché en 1932 de travailleurs patientant avant l’ouverture devant un centre de distribution alimentaire. À l’arrière-plan, on voit le barrage hydroélectrique du Dniepr
Durant son séjour de sept mois, il a été confronté pour la première fois aux horreurs de l’Holodomor en arrivant à la gare de Kharkov à l’été 1932. Il était abasourdi de voir l’endroit inondé d’une foule d’affamés qui avaient fui la campagne à la recherche de travail et de nourriture. «Et on était en Ukraine» écrivait-il en relatant son expérience, «le territoire le plus fertile de toute l’Union soviétique».
Abbe a fini par se faire prendre peu après avoir photographié ces paysans efflanqués le long des voies ferrées. Ce n’était ni la première fois ni la dernière qu’il avait des ennuis avec des autorités qui voyaient d’un très mauvais œil son intérêt journalistique pour les sujets sensibles.
Des paysans épuisés et affamés attendent le long de la voie de chemin de fer à Kharkov en 1932.
La liberté qu’avait le photographe d’évoluer noyé dans la masse des gens ordinaires tout en en continuant par ailleurs à côtoyer l’élite communiste, fait qu’il était bien placé pour observer le contraste qui existait avec l’image qui était vendue au monde d’une société progressiste sans classe.
Le jour, dans les tristes villes minières, il voyait ces foules de paysans «qui préféraient mourir de faim plutôt que de travailler dans des fermes collectives pour le Parti des travailleurs, des paysans, des soldats et de la patrie».
Le soir il dînait à des réceptions somptueuses «où il était impossible de s’asseoir à une table qui ne croulait pas sous une avalanche de caviar, de dinde rôtie, de poulet, de poisson froid de toute sorte, de pâtisserie, et même, luxe suprême: le steak dans le filet.
Les convives de ce dîner fastueux prennent la pose pour cette photo qu’Abbe a, bien entendu, été autorisé à prendre, «Pendant que les paysans meurent de faim, les visiteurs étrangers s’en sortent plutôt pas mal» écrivait-il de cette photo, «surtout s’ils ont eu le bon goût de signer une déclaration sous serment comme quoi ils n’avaient jamais constaté de famine dans le bassin du Don».
Finalement, l’intérêt d’Abbe pour les sujets délicats ne faiblissant pas, il a fini par lasser la patience des Soviétiques et, après qu’il ait été surpris une fois de trop à prendre un cliché non autorisé, on lui a demandé de faire ses bagages .
Il réussit toutefois à passer en douce ses images interdites en cachant les négatifs dans le pantalon de son plus jeune fils.
Ces photographies ont ensuite pu donner un aperçu de ce qui se passait réellement en Union soviétique lorsqu’Abbe les a fait paraître en 1934 dans un livre qui avait pour titre J’ai photographié la Russie.
En dépit de la nature choquante de certaines images, il ne s’agissait que d’instantanés sur le vif d’événements qui ne traduisaient pas l’ampleur de la tragédie. Abbe reconnaissait lui-même qu’il ne lui avait jamais été possible de photographier certaines des plus épouvantables scènes dont il avait été le témoin comme la déportation des paysans vers les camps de travail ou les cadavres dans les rues des villes.
Traduction : Francis Goumain
Source: Le reportage de Radio Free Europe / Radio Liberty | Drmytro Dzhulay Corresondant RFL /RL Ukraine | Coilin O’Connor salle de presse RFL / RL Prague | Radio Free Europe – Radio Liberty | ‘A Gift To Posterity’: Four Men Who Risked The Wrath Of Stalin To Photograph The Holodomor (rferl.org)
Merci pour ce fabuleux document qui nous montre, preuves à l’appui, jusqu’où peuvent se perdre des humains dans le Mal.
On ne le répètera jamais assez : Les Russes ne furent pas les soviétiques ; ils furent seulement les principales victimes de ce système à la fais stupide et inhumain.
Quant à ces famines, l’Holodomor ne fut pas la première organisée de toutes pièces, d’autres furent organisées par Lénine avant celles organisées par Staline et Lazare Kaganovitch.
Lénine était Russe… certes ! Mais lisons ce qu’en dit Soljenitsyne en page 84 de « Juifs et Russes pendant la période soviétique » :
« Y a t-il un exemple de renégat plus frappant que Lénine ? Il abominait, il détestait tout ce qui touchait la Russie et toute l’Histoire Russe. Il n’a jamais manifesté le moindre sentiment pour le fleuve près duquel s’était déroulée son enfance, la Volga. Bien plus : c’est lui qui livra sans pitié toute le région à l’effroyable famine de 1921 !
« Lénine était un métis issu de races différentes : Sa grand-mère, Anna Alekséievna Smirnova, était Kalmouke, son grand père, Israel Davidovitch Blank était juif, son autre grand-mère, Anna Ivanovna Groschopf était la fille d’un Allemand et d’une Suédoise. »
Et c’est un certain D. S. Pasmanik à qui Soljenitsyne donne la parole en page 85 :
« Il n’y a pas de doute, les renégats juifs ont dépassé le pourcentage normal… Ils ont occupé une trop grande place parmi les commissaires Bolcheviques »
Avant de me censurer, considérez que tout cela se lit dans un livre que chacun peut acheter aujourd’hui… et que je ne fais que transcrire.
L’article original en anglais a choisi de mettre l’accent sur la famine et ses effets plutôt que sur ses auteurs et leurs motivations, la traduction respecte le choix de ce travail documentaire remarquable.
Mais on n’en pense pas moins, voir ici:
Holodomor, le génocide indolore (au service de la politique)
https://jeune-nation.com/kultur/culture/la-verite-une-arme-lexemple-par-lholodomor
D’une manière générale, quel que soit le génocide, il est préférable de commencer par la documentation pour ensuite s’intéresser aux auteurs et à leurs motivations plutôt que l’inverse – si vous voyez ce que je veux dire.
Je vois parfaitement ce que vous voulez dire et vos choix sont toujours les meilleurs. Je n’oublie pas que ce sont les frères Sidos qui m’ont formé, il y a bien longtemps… Merci pour votre efficacité.
Et dire que dans des banlieues françaises de 2022 , certains se disent » parqués » , un peu comme dans des prisons à ciel ouvert …
Les Ukrainiens de cette époque aurait sans doute bien voulu être « parqués » comme eux.