DANS QUELQUES JOURS, nous commémorerons le soixantième anniversaire de l’exécution du lieutenant-colonel Jean Bastien-Thiry, le dernier condamné à mort à avoir été fusillé en France le 11 mars 1963 au fort d’Ivry. Ce brillant et courageux ingénieur de l’armée de l’Air avait 35 ans. Il a été jugé par un tribunal d’exception, sans aucune base légale ou constitutionnelle, pour avoir voulu intenter à la vie du chef de l’Etat de l’époque, Charles de Gaulle, coupable de mensonge, de parjure et de forfaiture dans sa politique de liquidation de l’Algérie française.
A première vue, cet épisode peut paraître daté et révolu, appartenir à l’histoire et non à l’actualité, beaucoup de choses ayant changé en soixante ans. Et pourtant, quand on se donne la peine de relire la déclaration du 2 février 1963 de Bastien-Thiry lors de son procès et qui constitue un réquisitoire implacable contre De Gaulle et sa politique criminelle, on se rend compte de son caractère à bien des égards visionnaire. Sur bien des points en effet, cet exposé limpide n’a pas pris une ride et éclaire le temps présent. Bastien-Thiry rappelait en effet fort opportunément, dans ce texte remarquable, tant sur le fond que sur la forme, que les nations, comme les civilisations, sont mortelles et qu’avoir agi en dehors de toute morale, de tout principe, de tout honneur, en trahissant la parole donnée, en agissant par la ruse, la dissimulation et le mensonge, comme l’a fait De Gaulle pour liquider l’Algérie française après avoir promis solennellement à maintes reprises, en juin 1958, de maintenir ce territoire dans l’ensemble français, était créer un redoutable précédent et conduirait à terme à la destruction de notre nation et des valeurs et principes humains, moraux, spirituels et civilisationnels qui la constituent.
Et en effet le mensonge qui a régné en maître au sommet de l’Etat pendant quatre ans, de 1958 à 1962, a eu des conséquences désastreuses sur la nation tout entière. Beaucoup de Français se sont dénationalisés, devenant matérialistes et hédonistes, ce qu’ils n’étaient pas — ou beaucoup moins — auparavant. Lorsqu’un chef de l’Etat trahit à ce point la parole donnée, ses serments les plus solennels, comment imaginer que cela n’ait pas des incidences incommensurables sur le corps social ? S’il est possible de mentir, de tromper, de dissimuler, de dire tout et son contraire pour arriver à ses fins, alors il n’y a plus rien de sacré, de stable, de solide et de pérenne, alors l’existence même de la France, en tant que nation libre, souveraine et homogène, n’est plus assurée. De Gaulle, dénonçait Bastien-Thiry, a procédé à une « savante entreprise de dénationalisation de l’opinion publique », l’armature morale de la nation a été détruite.
Si les Français, expliquait l’organisateur de l’attentat du Petit-Clamart du 22 août 1962, ne sont plus capables désormais de se battre pour la défense de la nation, de l’honneur, ne sont plus sensibles au malheur et à la détresse d’une partie de leurs compatriotes abandonnés, trahis et sacrifiés, alors comment croire que demain ils sauront résister à un péril mortel les menaçant ? « Le résultat (de la politique gaulliste), c’est aussi que le peuple français n’est plus structuré, qu’il y a une véritable pulvérisation, une véritable atomisation de la société française contemporaine. L’homme français contemporain, qui est isolé, désorienté et désemparé, ne sait plus sur quoi et sur qui s’appuyer, et est prêt à se laisser entraîner aux aventures ; on peut craindre que les préoccupations essentiellement matérialistes de beaucoup de nos concitoyens, qui ont en même temps oublié où se trouve leur dignité d’hommes libres et responsables, ne les conduisent à aliéner leurs droits et leurs libertés d’homme ».
LA PERTE de l’Algérie, et surtout la façon dont tout cela s’est fait, a été le début d’un perpétuel renoncement de la France. Car si des évolutions juridiques et politiques étaient certainement nécessaires, cela ne justifiait en rien l’inhumanité et le cynisme gaulliens, ni non plus la renonciation au pétrole et au gaz du Sahara qui auraient assuré à la France une indépendance énergétique ô combien précieuse. Cette abdication a justifié par avance toutes les politiques de lâche abandon de la souveraineté nationale, de l’intégrité territoriale, de la défense du peuple et de la nation. L’abandon sans aucune contrepartie de départements français a été historiquement le prélude à d’autres désertions, à d’autres trahisons, plus dommageables encore : la perte de notre homogénéité corporelle, culturelle et spirituelle avec l’immigration de masse, la submersion migratoire de notre pays et le phénomène dit de Grand Remplacement. Si l’on n’est plus capable de défendre ses possessions, son héritage, ses compatriotes, immanquablement on est conduit soi-même à disparaître. A la mise en danger de l’identité nationale avec l’immigration massive, sorte de colonisation à rebours, se sont ajoutés concomitamment les abandons successifs de souveraineté au nom de l’inféodation à l’Union européenne, de sorte que notre pays a perdu progressivement tous les attributs d’un Etat souverain : le pouvoir de battre monnaie (avec Maastricht), de disposer de véritables frontières (démantelées par Schengen), de mener une politique budgétaire, économique et diplomatique libre et indépendante (ce qu’interdisent la mise en œuvre de la monnaie unique et l’application des divers traités européistes, d’Amsterdam à Lisbonne).
Et de même que l’immense majorité des Français se sont résignés, en moins de quatre ans, à la politique de liquidation de De Gaulle en Algérie, voire l’ont applaudie, ils ont pareillement avalisé depuis, au moins passivement, toutes les réformes de destruction de la famille, de la nation et de la morale, de la loi Neuwirth à la loi Veil en passant par la loi Taubira et bien d’autres législations mortifères. Et aujourd’hui, alors que l’Education nationale s’acharne à pourrir l’âme de nos enfants avec la théorie du genre, la promotion de la transsexualité et de toutes les folies LGBTistes, rares sont ceux qui réagissent avec énergie et combativité. Il n’y a plus de limite désormais dans l’acceptation de la trahison, de l’abjection et de la perversion.
C’est que notre peuple a été anesthésié, dépolitisé, dénationalisé, démobilisé et si la politique gaullienne n’est évidemment pas la seule responsable de cette évolution funeste, il est certain que la façon dont le fondateur de la Ve République s’est comporté, au mépris du souci de la justice, du respect de la vérité et de la parole donnée, a joué historiquement un grand rôle dans le bouleversement des mentalités. Tous ceux qui ont connu cette période tragique peuvent témoigner que la perte de l’Algérie et le lâche soulagement qui s’en est suivi se sont accompagnés d’un profond changement de l’état d’esprit de l’opinion publique. De ce point de vue, il y a un avant et un après 1962, année également marquée par le cataclysmique “concile” Vatican II qui fut lui aussi, et bien plus encore, une catastrophe absolue.
L’ABANDON graduel de l’honneur, de la politesse, de la civilité, de la bienséance, la désinvolture vis-à-vis de la parole donnée, le refus de l’engagement, de l’effort, de la discipline, du dévouement et du sacrifice, le débraillé vestimentaire, les familiarités langagières, le primat donné aux appétits égoïstes, aux individualités et aux intérêts catégoriels au détriment du bien commun, l’affaiblissement du sens moral, de la structure familiale et du sentiment national ont été des conséquences directes et quasiment immédiates du lâchage de l’Algérie compte tenu de la façon machiavélique, cynique et amorale dont le Pouvoir avait agi pour imposer sa politique de liquidation, de renonciation et de dépossession. « Il faut peser toutes les conséquences, sur la vie nationale, des conditions dans lesquelles fut réalisé cet abandon » dénonçait Bastien-Thiry qui ajoutait de manière prophétique : « Une opinion publique que le chef de l’Etat a à ce point dénationalisée, à laquelle il a peu à peu enlevé le sens de l’honneur et de la fierté nationale, le sens de la solidarité et de la conservation nationale, ne pourra plus, à propos de n’importe quel autre problème, à propos de n’importe quel autre péril extérieur ou intérieur, retrouver ce sens national qui n’est que la transposition, sur le plan personnel, de l’instinct de conservation. Ayant participé au suicide du patrimoine français en Algérie, on voit mal comment les Français pourraient ne pas se laisser aller, à propos de la première épreuve venue, au suicide national. »
Des propos pessimistes mais ô combien sensés lorsque l’on constate que nos compatriotes, dans leur écrasante majorité, ne réagissent ni à la submersion ni à la subversion, ni aux agressions extérieures ni à la dilution intérieure. « On (De Gaulle) a constamment poussé les Français dans le sens de l’absence d’effort, de l’absence de risque, dans le sens d’un matérialisme petit-bourgeois et exclusif de tout idéal, de toute notion d’honneur, de solidarité et de conservation nationale. Une nation que son responsable suprême laisse aller, et même oriente volontairement vers la décadence morale et spirituelle, vers le matérialisme dans la vie courante et dans les modes de pensée, à laquelle on ne parle plus que de niveau de vie et de faits économiques, devient une proie facile pour la subversion matérialiste » ajoutait Bastien-Thiry.
Soixante ans après, l’analyse claire et lumineuse de notre dernier héros et martyr mérite plus que jamais d’être méditée par cette petite minorité de Français amoureux de la vérité et de la justice. […]
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Source : Éditorial de Rivarol