L’association (littéraire) des amis de Robert Brasillach a su constituer en son sein, ces dernières années, une remarquable équipe d’érudits, de passionnés, mais aussi de grands professionnels de l’édition (je pense par exemple à David Gattegno). Bien que l’œuvre de Robert Brasillach ait été très régulièrement rééditée, au long des 90 années passées, l’association des AEB a en effet entrepris de republier, elle aussi, certaines de ses œuvres.
Il est vrai que celles-ci sont désormais tombées dans le domaine public puisque nous nous situons plus de soixante-dix années après la mort du poète. Mais il y a plusieurs types de rééditions.
Le plus courant (et le moins coûteux pour l’éditeur), c’est le reprint à l’identique, éventuellement précédé d’une courte préface, comme l’a pratiqué le Livre de poche, ou parfois d’une préface plus riche, comme celles des clubs de livres, qui étaient très populaires dans les années 1960 et 1970. Ainsi l’édition de Comme le temps passe… de la Guilde du Livre tirée à 5000 exemplaires en 1973, comportait-elle une très belle préface de 27 pages, signée de l’historien Benoist-Méchin. Il s’agissait en fait d’un témoignage, pas d’une préface à proprement parler : les deux hommes s’étaient retrouvés dans la même prison, en 1944, et sa « préface » était pour l‘essentiel le récit de leurs rencontres fugitives, entre octobre 1944 et le 6 février 1945.
Ce sinistre matin du 6 février, Benoist-Méchin avait en effet entendu Brasillach faire ses adieux à Béraud, Well (le futur François Brigneau), Combelle. Benoist-Méchin l’avait-t-il aperçu, partant vers le peloton d’exécution ? Les dernières lignes de sa « préface » semblent en témoigner : « La couleur de son foulard rouge dépassant de son pardessus bleu marine, et le filet sanglant qu’il traçait autour de son cou se sont si profondément gravés au fond de ma rétine (…) ».
Beaucoup plus que des rééditions
Les récentes rééditions, réalisées par les Sept Couleurs, sont beaucoup plus que des rééditions, en fait. L’Histoire de la guerre d’Espagne comporte par exemple 300 photos et un index de 600 entrées. Les Lettres à une provinciale est un inédit, du moins sous forme de livre. Et elles sont suivies d’un précieux index aux 450 entrées. Le Corneille, paru l’an dernier, comporte également un index de 450 entrées…
Bien évidemment pour un roman, œuvre de pure imagination, ce qu’est Comme le temps passe…, on imagine bien que photos et index des noms cités n’ont pas vraiment de sens. En revanche une préface signée d’Anne Brassié prend tout son intérêt quand on se souvient que cette grande critique littéraire, alors toute jeune femme, avait crevé l’écran en 1987 chez Bernard Pivot, par sa défense du poète assassiné, et qu’elle est l’auteur d’une biographie intitulée Robert Brasillach ou encore un instant de bonheur. L’évocation de cet « instant de bonheur » renvoie directement au temps qui passe, au climat du roman majeur de Brasillach, et au sort du poète.
La postface de Cécile Dugas est très pertinente, aussi, et fait écho au temps qui s’écoule et qui nous éloigne de l’enfance et de la jeunesse, mais qui offre aussi des haltes « accordées par Dieu », formule figurant dans la conclusion du roman, « et ces haltes sont ce que l’homme appelle le bonheur », écrit Cécile Dugas.
Anne Brassié comme Cécile Dugas énumèrent les figures allégoriques présentes dans la conclusion de Comme le temps passe…, et donc originellement sous la plume de Brasillach : « l’Enfance, l’Aventure, la Volupté, l’Amour, la Guerre, le Souvenir ». Ce roman n’est donc pas ordinaire, ses ambitions étaient extrêmes, ce n’est pas un roman en deux parties comme j’en vais gardé le souvenir, c’est un roman en six séquences, qui retracent la vie d’un homme, d’un couple.
Un autre Robert Brasillach
Un mot sur le contenu même du roman. Je l’ai lu très jeune (trop jeune ?), l’une des premières lectures de cet auteur, alors qu’aujourd’hui je peux soutenir que j’ai lu toute l’œuvre de Brasillach. Sans doute quelques critiques littéraires ou cinématographiques m’ont-elles échappé, mais certainement bien peu de choses.
Parmi les romans, Comme le temps passe… n’est pas celui qui avait eu ma préférence. J’ai eu l’occasion de l’écrire et de le dire plus d’une fois, c’est Six heures à perdre qui m’avait marqué à vie. Pourquoi ? Parce que c’est le premier roman d’adulte que ma mère m’a mis entre les mains, c’est le roman qui m’a fait sortir de mes lectures de jeunesse, les Sylvie hôtesse de l’air de chez Marabout, les Heidi, ou ce Prince Eric dont le récit de la mort, à Dunkerque, m’avait tant fait pleurer.
Ma mère savait très bien qui était Brasillach, moi pas, et je m’en fichais certainement. Six heures à perdre fut donc pour moi Le roman de Brasillach, mais pour des raisons toutes sentimentales et personnelles, vous l’avez bien compris.
Alors que Comme le temps passe…, lu sans doute quelques semaines plus tard, m’avait laissé le souvenir de deux histoires, en fait, dans le même livre, une histoire d’amour, assez euphorisante, commencée à l’enfance des héros (les quatre premiers épisodes), et ensuite une histoire d’hommes, dure et triste, le départ de René, cette affreuse séparation, la guerre, le cinéma ou le théâtre. Il m’en était resté comme un malaise, qui perdurait trente-cinq ans après cette lecture.
Cécile Dugas, comme le critique Bernard Georges, et comme Brasillach lui-même, évoquent pour leur part un certain manque d’épaisseur des deux héros, de Comme le temps passe…, Florence et René. Mais les figures allégoriques n’ont pas d’épaisseur, par essence même.
Feuilletant cette toute nouvelle édition de Comme le temps passe…, je ne retrouve pas cette segmentation du roman en deux parties presque égales, comme j’en avais gardé le souvenir ; j’avais par exemple totalement oublié qu’après le départ de René, dans le roman, Florence avait continué à vivre sa vie, alors que je me souvenais parfaitement du dernier chapitre, nostalgique et un peu convenu.
La découverte d’un autre livre
Une relecture au moins partielle de ce roman s’imposait. Mais après avoir lu les textes d’accompagnement signés d’Anne Brassié et Cécile Dugas, et découvrant en outre les illustrations d’Emma Maôve, Cyril Flautat, Françoise Dugas, Jack Guzik, et bien entendu Françoise Pichard et David Miège, deux dessinateurs de presse qui font mon admiration depuis tant d’années, j’ai la conviction que la relecture de Comme le temps passe…, dans cette édition là, avec tout ce que je connais, aujourd’hui, de Brasillach, de son passé et de son destin, tout ce que je sais aussi de son père, de ses amis, de la famille Bardèche, va me sembler la découverte d’un autre livre, et peut-être même d’un autre Robert Brasillach.
A 14 ou 15 ans, je croyais lire un roman pour grandes personnes, je vais le relire comme une allégorie en effet, celle d’un temps qui était celui de Robert, et d’un amour, d’une vie, qui étaient sans doute ceux dont il rêvait encore, à Rapallo en juillet 1937, quand il écrivit le mot « fin » au bas de son manuscrit.
Madeleine Cruz
Source : Le Nouveau Présent
Le Cercle Franco-Hispanique et Jeune Nation vous invitent le samedi 8 février 2025 à venir rendre hommage à ROBERT BRASILLACH, MAURICE BARDÈCHE et aux MORTS DU SIX FÉVRIER 1934. Une messe sera célébrée par monsieur l’abbé Philippe TOULZA, suivie d’un repas assis en présence de monsieur Yvan BENEDETTI et de monsieur Alban D’ARGUIN.
Comme le temps passe… par Robert Brasillach, Préface d’Anne Brassié et Postface de Cécile Dugas, Les Sept Couleurs, 314 p., janvier 2025, disponible sur la Boutique des nationalistes
Faut-il célébrer systématiquement Robert Brasillach dans son ensemble ?
Comme dans nombre de cas et d’auteurs, il existe chez lui plusieurs époques, au point qu’on pourrait dire plusieurs locuteurs.
De même qu’à y bien réfléchir, il existe aussi plusieurs étapes évoluant vers plus de maturité chez ses lecteurs. D’où souvent un regard nouveau et parfois plus critique lors de relectures à quelques décennies d’intervalle…
Il existe incontestablement un premier Brasillach qu’on pourrait dire un peu trop « proustien », moins maniéré, certes, mais presque aussi précieux et manquant quelque peu de consistance.
Puis un Brasillach qui s’affirme et chez qui l’action prend progressivement plus de place que le ressenti et dont les textes, moins longuement descriptifs n’en sont que plus signifiants.
Il est donc rationnel d’analyser Brasillach en fonction des époques et surtout des circonstances ayant plus ou moins favorisé une possible osmose entre le lecteur et tel ou tel Brasillach à telle ou telle époque…
« Osmose » est en effet le terme qui me semble exprimer le ressenti de nombre de camarades de détention, alors qu’à vingt ans d’intervalle, les mêmes gaullistes nous avaient enfermés à Fresnes, où l’inoubliable auteur des « Poèmes de Fresnes » avait vécu ses derniers jours.
Pour avoir été, pour certains, enfermés dans les sous-sols disciplinaires, dont les murs laissaient deviner des graffitis désespérés, qui d’entre nous ne restera pas imprégné à vie par l’un des derniers poèmes du recueil LA MORT EN FACE : « Les noms sur les murs »…
« D’autres sont venus par ici
« Dont les noms sur les murs moisis
« Se défont déjà et s’écaillent
« Ils ont souffert et espéré,
« Et parfois l’espoir était vrai
« Parfois il dupait ses murailles
…/…
« Je pense à vous qui souffriez
« Dont aujourd’hui j’ai pris la place
« Si demain la vie est permise…
Mais la vie ne fut pas permise. Le 6 février 1945, le temps s’est arrêté pour l’auteur de « Comme le temps passe » .
Une question s’impose cependant :
Dans quelle mesure le destin de l’auteur des « Sept Couleurs » était-il prédéterminé ?
Comment ne pas s’interroger à la lecture du chapitre V de ce premier roman à succès qui, sous le titre « Les doublures du destin » met en scène le double du héros… visitant avec lui le petit cimetière de Charonne ? Qui aurait supposé que les fidèles du jeune auteur qui venait de manquer le prix Goncourt de quelques voix s’y inclineraient sur sa tombe quelques années plus tard ?
Rituel que j’ai respecté pour ma part pendant de longues années, accompagnant chaque 6 févier la famille de Maurice Bardèche, beau-frère et ami fidèle de Robert Brasillach.