Jusqu’où ira la stratégie de normalisation de Marine Le Pen ? Même la grande presse et les media audiovisuels ont souligné le recentrage, les revirements de la présidente du Rassemblement national. Alors qu’en 2017 la benjamine de Jean-Marie Le Pen posait encore en candidate du peuple et conspuait le système, les élites, les banquiers, l’euro et l’Union européenne, elle s’affirme aujourd’hui pour le remboursement de la dette et veut défendre une stricte orthodoxie budgétaire que ne renierait pas la Macronie. Une posture étrange de la part d’une personnalité qui a fortement endetté la formation politique qu’elle dirige depuis dix ans (plusieurs dizaines de millions d’euros d’endettement et huit exercices comptables consécutifs déficitaires, de 2012 à aujourd’hui) et qui confiait encore récemment pour justifier cet endettement abyssal qu’un parti politique ne se dirigeait pas comme une entreprise !
Alors que pendant la dernière campagne présidentielle, sous l’influence de son conseiller Florian Philippot, elle militait encore pour la sortie de la France de l’euro et de l’Union européenne, voici qu’aujourd’hui non seulement elle veut rester, en cas d’élection à l’Elysée, dans la zone euro et dans l’UE, mais elle ne dénonce plus, contrairement au discours constant de la droite nationale depuis trente ans, les accords de Schengen sur la libre circulation des hommes, des marchandises et des capitaux au sein de l’UE, elle ne propose même pas d’en suspendre l’application mais entend simplement les “adapter”. Or le rétablissement des frontières nationales, à l’instar de tous les éléments de la souveraineté française, est indispensable si l’on veut développer une politique réellement indépendante. Comment pareillement vouloir rester dans l’UE alors même que tous les pays membres sont tenus de respecter les décisions des tribunaux européistes comme la Cour européenne des droits de l’homme et la Cour de justice des communautés européennes qui imposent l’ouverture des frontières aux migrants, une vision extensive du droit d’asile, le maintien du regroupement familial et ne permettent donc pas la mise en œuvre d’une politique de lutte contre la submersion migratoire ? Mais il est vrai que la réémigration ne figure pas au programme du RN.
Marine Le Pen a également fait savoir, par la voix de son porte-parole Jordan Bardella, qu’elle ne remettrait pas en question le “mariage” homosexuel, contrairement là aussi à ce qu’elle affirmait dans son programme présidentiel de 2017 où elle se contentait alors d’une extension du PACS, ce qui était déjà une concession à l’air du temps et au lobby LGBT. Elle accepte aujourd’hui de pérenniser le “mariage” gay selon le principe du cliquet qui veut qu’une réforme votée par la gauche n’est jamais remise en question par la droite (ou ce qui en tient lieu). Or, comment rétablir la France sans la défense vigoureuse de la morale naturelle et de la famille traditionnelle ? Ce n’est pas en cédant à toutes les revendications, y compris les plus exorbitantes, du lobby LGBT, qu’on œuvre au bien commun. Mais il est vrai que la présidente du RN ne s’est jamais opposée à la théorie du genre, qu’elle avait refusé en 2013 de participer aux actions contre le vote de la loi Taubira sur le “mariage” inverti et qu’elle entend maintenir en tous points la législation actuelle sur l’avortement qui fait disparaître chaque année plus de deux cent mille enfants français dans le ventre de leur mère. Soit exactement le nombre d’immigrés entrant annuellement et légalement dans notre pays, chiffre auquel il faut ajouter les clandestins et les naissances étrangères sur notre sol. Là encore, comment peut-on donner un avenir à notre pays, comment peut-on prétendre à un renouveau national, à un redressement véritable et comment peut-on lutter efficacement contre le Grand Remplacement si l’on ne fait rien contre le meurtre de masse des enfants français avant même leur naissance, et si celui-ci nous est indifférent ? Le Front national proposait naguère dans son programme le salaire maternel ou parental pour permettre de relancer la natalité française. Cette disposition a également disparu des propositions du RN qui s’aligne toujours davantage sur le politiquement correct, ce qui est dramatique.
Marine s’est naguère prononcée également sur le plateau de Jean-Jacques Bourdin sur BFMTV pour le maintien de la loi Gayssot car elle dit n’avoir aucune indulgence pour l’antisémitisme et le négationnisme. Mais il est coupable des reprendre le vocabulaire de l’ennemi et de lui donner des gages. La persécution des révisionnistes, les atteintes graves à la liberté d’expression, d’opinion et de recherche sont scandaleuses et devraient être dénoncées publiquement par tous les amoureux de la liberté et de la justice. Le Front national canal historique le faisait hier, le Rassemblement national canal cathodique ne le fait plus hélas. De même, dans l’affaire des confinements et des couvre-feux, Marine Le Pen n’a pas été du côté des défenseurs de la liberté de travailler, de circuler et de se rassembler. Au contraire elle en a souvent rajouté dans les demandes de mesures coercitives, appelant dès le printemps dernier à un confinement plus précoce et plus absolu, à la fermeture des écoles, ne manifestant aucune réserve devant l’idéologie du tout vacinal, s’affichant devant la statue de Jeanne d’Arc avec un grand masque sur le visage, là où son père posait naguère sur des affiches avec un bâillon pour protester contre la tyrannie en marche qui veut étouffer la libre parole.
En 2005 Jean-Marie Le Pen disait : « Un FN trop gentil n’intéresse personne ». C’est aujourd’hui la crainte de certains cadres RN : « à force de faire du normal, on va pousser nos électeurs à l’abstention », confie ainsi l’un d’entre eux. Marine Le Pen n’est pas de cet avis : « Quand on a voté RN une fois, on y reste », aurait-elle répondu en privé pour justifier son actuelle stratégie de normalisation. Une assertion bien imprudente et dont le passé électoral ne confirme pas le bien-fondé. En 2007, alors que Jean-Marie Le Pen avait fait une campagne lisse sur les conseils de sa fille Marine qui était sa directrice stratégique, Nicolas Sarkozy, en utilisant les formules et les codes de nature à séduire l’électorat frontiste, avait réussi à siphonner les suffrages lepénistes de sorte que le Menhir qui réunissait 17 % des suffrages au premier tour de la présidentielle de 2002 n’en faisait plus que 10,5 % cinq ans plu tard. Et on pourrait faire la même analyse pour les précédentes campagnes présidentielles de Marine Le Pen : un an avant la présidentielle de 2012, les sondages lui octroyaient autour de 23 % des suffrages, le soir de l’élection elle est à 17,9 %. De même, un an avant la présidentielle de 2017, les enquêtes d’opinion la créditent de 28 à 30 % des voix et la placent largement en tête de tous les candidats au premier tour. Le soir de l’élection, elle est à 21 %, trois points derrière Macron, arrivé premier, avec 24 %, et juste devant Fillon (20 %) et Mélenchon (19,5 %). Que s’est-il passé ? C’est simple. A force de se normaliser, de se banaliser, et aussi de montrer une incompétence crasse dans les différents débats, notamment sur les questions économiques et sociales, mais aussi sur d’autres sujets, institutionnels ou sociétaux, pourvu qu’on les aborde avec un peu de sérieux et de profondeur dans le cadre de formats médiatiques longs où sa gouaille ne peut plus faire illusion, elle a perdu nombre de voix potentielles. Le débat télévisuel qui l’a récemment opposée au ministre de l’Intérieur, le vibrionnant Gérald Darmanin, ne l’a sûrement pas fait gagner en crédibilité tant elle est apparue fade et lisse, au point que son contradicteur a même pointé du doigt sa mollesse, osant affirmer qu’il était plus à droite qu’elle ! Une affirmation particulièrement audacieuse de la part de l’homme qui a officiellement et scandaleusement dissous Génération identitaire le 3 mars en Conseil des ministres à cause de son idéologie dite « de discrimination, de haine et de violence » mais qui en dit long sur l’actuelle stratégie de Marine Le Pen.
L’exemple de Gianfranco en Italie qui a disparu corps et bien, et qui a tué le Mouvement social italien (MSI) après un demi-siècle d’existence, à force de trahisons et de reptations, montre que la stratégie dite de dédiabolisation est une voie mortelle. Moralement abjecte, intellectuellement débile et politiquement insane. Si le RN n’est pas mort pour l’instant, contrairement au MSI, c’est que Marine se nomme Le Pen, un patronyme qui lui assure encore un matelas de voix et qu’elle profite du travail fait par la droite nationale et nationaliste depuis 50 ans pour éveiller les consciences et alerter sur les dangers mortels pesant sur notre pays, notre continent, notre civilisation, puisqu’elle bénéficie d’un monopole médiatique et électoral sur ce terrain. Mais que demain se lève un démagogue, un politicien ou polémiste retors et qu’il adopte un discours résolument populiste et droitier, il n’est pas sûr alors que ses rêves élyséens ne s’envolent pour de bon.
Jérôme BOURBON, RIVAROL