Un double attentat suicide a fait plusieurs dizaines de morts et plusieurs centaines de blessés ce samedi à Ankara – 97 morts et plus de 400 blessés selon des sources médicales samedi soir. Les deux attaques ont été perpétrées au cœur d’une manifestation pour « le travail, la paix et la démocratie », organisée par des organisations politiques et syndicales de gauche, au centre de la capitale.
Cet acte terroriste est le plus meurtrier commis dans l’histoire de la Turquie, qui a pourtant été marquée par de nombreux attentats depuis sa création. Il a été unanimement condamné par les forces politiques turques comme kurdes. Le premier ministre turc a immédiatement annoncé trois jours de deuil dans le pays.
Tentative de déstabilisation à trois semaines des élections
L’attaque a vraisemblablement pour but de déstabiliser la Turquie, confrontée à l’insurrection kurde, à la présence de nombreux combattants de l’État islamique (ÉI), la présence d’innombrables réfugiés, une situation économique difficile et à une instabilité politique depuis plusieurs mois. Les deux tueurs ont perpétré leur crime à trois semaines des élections législatives dont tout indique qu’elles ne régleront rien de la situation.
Le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK, Partiya Karkerên Kurdistan) a annoncé après les faits qu’il suspendait ses opérations contre les forces de sécurité turques. En deux mois et demi de lutte, plus de mille Kurdes ont été tués dans le sud-est de la Turquie et dans le nord de l’Irak et plus de cent membres des forces de l’ordre ont été tués – 1 740 Kurdes et 141 Turcs selon les autorités d’Ankara. Le PKK a expliqué vouloir permettre la bonne tenue des élections législatives, programmées pour le 1er novembre.
Une unité de façade
Mais au-delà de la décision du PKK et du premier ministre de décréter trois jours de deuil national, les tensions n’ont fait qu’augmenter après l’attaque. Le premier ministre turc a évoqué de façon provocante une possible attaque du PKK mais aussi du Front-Parti pour la libération du peuple révolutionnaire (DHKP-C, Devrimci Halk Kurtuluş Partisi-Cephesi). Ce groupe marxiste s’est rendu coupable ces dernières années de nombreux attentats, mais n’a jamais visé ses partenaires de gauche.
Ces derniers ont montré du doigt le Parti pour la justice et le développement (AKP, Adalet ve Kalkınma Partisi) au pouvoir. Les liens dévoilés ces derniers mois entre certains secteurs du pouvoir avec les groupes islamistes ne plaident pas en la faveur du président Recep Tayyip Erdoğan et de son premier ministre Ahmed Davutoglu.
L’Organisation du renseignement national (MIT, Millî İstihbarat Teşkilatı) est également dénoncée comme ayant permis l’attentat : ce dernier a été commis au cœur de la capitale, près de la gare centrale, à proximité de la présidence, mais aussi de bâtiments des services de renseignements et de la police. L’hypothèse que deux terroristes – agissant donc de façon concertée en amont – ayant pu pénétrer sans être repérés au sein d’un rassemblement très surveillé semble improbable à de nombreux Turcs. La faible réactivité des services de secours après les explosions et la dureté de la répression lors des mouvements de foule qui ont suivi n’ont pas aidé à calmer la situation.
De leur côté, des responsables de l’AKP – dont plusieurs ministres ont dû fuir la scène de crime quelques secondes après leur arrivée, hués et dénoncés par les manifestants survivants – ont affirmé que les partis de gauche avaient organisé l’attaque pour s’attirer les suffrages des électeurs turcs.
De nombreuses manifestations se sont déroulées en Turquie samedi pour dénoncer l’attaque, réclamer la paix, mais souvent aussi pour accuser le gouvernement de complicité avec les tueurs. Des rassemblements ont été organisés à travers tout le pays, Constantinople, Izmir, Batman, Ankara, Diyarbakir, etc., conduisant parfois à des affrontements violents avec les forces anti-émeutes.