Si l’on voulait se convaincre de l’importance et de l’influence de l’entité sioniste sur la politique mondiale, sur les media, sur les dirigeants de la planète, il suffirait de repasser en boucle les hommages dithyrambiques qui ont suivi l’annonce de la mort à 93 ans de Shimon Peres, l’ancien président israélien. Les éloges ont été planétaires. Les vedettes du cinéma ou de la chanson mondiale se sont dites endeuillées : la chanteuse Madona, convertie à un judaïsme cabalistique non reconnu par le grand-rabbinat d’Israël, a tenu à diffuser une photographie d’elle portant en hommage à Shimon Peres le drapeau sioniste ; or, elle a brandi en fait le drapeau argentin, fort bleu aussi, mais qui diffère par le motif central, un soleil et non l’étoile de David. Pratiquement tous les chefs d’Etat ou anciens chefs d’Etat ont fait part de leur douleur, de Barack Obama à Vladimir Poutine, de François Hollande à Marine Le Pen, de Bill Clinton au prince de Galles en passant par les présidents ukrainien, mexicain et le Premier ministre du Canada. Même le président palestinien Mahmoud Abbas a tenu à présenter ses condoléances et à assister aux funérailles.
Au total, une centaine de dirigeants du monde étaient à Jérusalem le 30 septembre pour assister aux obsèques du prix Nobel de la paix. L’Europe et l’Amérique ont été surreprésentées. Le monde arabe était lui aussi présent, ce qui en dit long sur sa connivence avec l’Etat hébreu. Il y eut en effet une délégation palestinienne, une jordanienne, une égyptienne, menée par le maréchal-président al-Sissi en personne. Quatre-vingt-dix délégations officielles de soixante-dix pays d’Europe, d’Amérique, d’Asie ou d’Afrique se sont recueillies au cimetière national du mont Herzl.
On a salué de manière unanime en Peres un « homme de paix ». Or il s’agit là d’un mensonge éhonté. Dès 1947, il joua en effet un rôle actif dans l’expulsion brutale de près de 750 000 Palestiniens qui étaient pourtant chez eux en Palestine et ne demandaient qu’à vivre libres sur leur terre. Mais cette épuration ethnique, véritable, attestée, incontestable, qui en parle, qui la dénonce ? Dans le monde orwellien dans lequel nous vivons, est matraquée comme slogan cette antiphrase « l’Entité Sioniste, c’est la Paix ». Alors que l’Entité Sioniste, c’est la guerre, et la guerre permanente. Elle a conquis le territoire palestinien, par les armes en 1948 et en 1967 avec l’occupation de Gaza et de la Cisjordanie. Elle a envahi au fil des décennies tous les pays voisins, le dernier étant le Liban en 2006, il y a exactement 10 ans. Elle joue un jeu plus que trouble en Syrie, en soutenant les opposants islamistes dits “modérés”, les approvisionnant en armes, les soignant parfois dans ses hôpitaux, sous prétexte humanitaire ; cette humanité ne va toutefois pas jusqu’à soigner aussi des soldats du gouvernement syrien.
Israël met la région à feu et à sang depuis sa création. L’entité sioniste ne souffrant pas que des Etats forts l’entourent a joué un rôle de pousse au crime dans la guerre contre l’Irak, dans le démantèlement du pays de Saddam Hussein, comme aujourd’hui en Syrie, comme elle le fait aussi en diabolisant l’Iran, en poussant à la guerre contre Téhéran pour son seul profit. Or Shimon Peres, comme ministre des Affaires étrangères, comme Premier ministre, comme Président, a toujours approuvé, soutenu, cautionné cette politique belliciste, guerrière et persécutrice à l’égard des Palestiniens. Dans les années 1950, il a contribué de manière essentielle à l’acquisition par l’Entité Sioniste de la technologie de l’armement nucléaire, en pleine collaboration avec les dirigeants français de la IVème République puis ceux des débuts de la Vème qui avaient déjà les yeux de Chimène pour Tel Aviv (voir l’article de Jean Terrien en page 7). Mais si Israël dispose de l’arme nucléaire, elle ne veut pas que ses voisins l’acquièrent d’où en 1981 le bombardement par Tsahal d’Osirak, un réacteur nucléaire expérimental irakien, dans la plus totale illégalité. D’où la volonté farouche d’Israël d’empêcher Téhéran d’accéder à l’arme nucléaire, même pour un usage exclusivement civil.
Le prétendu « homme de paix » Shimon Peres n’a jamais exprimé de regrets sur l’expulsion de 90 % des Palestiniens de leur territoire en 1948, ni sur la destruction méthodique de leurs maisons, de leurs villages, de leurs cimetières, ni sur la volonté d’éradiquer jusqu’aux plans, aux cadastres, aux livres de géographie pour qu’on ne se souvienne plus de ces maisons, de ces villages, qu’on oublie jusqu’à leurs noms. N’est-ce pas là une forme de génocide culturel, n’est-ce pas là une politique d’extermination, d’éradication de la mémoire d’un peuple ? Peres n’a jamais envisagé, et encore moins souhaité, le retour massif des expulsés palestiniens et de leurs descendants. Ce droit au retour est bafoué, nié, interdit.
Shimon Peres a participé à de nombreux gouvernements de gauche ou de coalition, a été de très nombreuses fois ministre et deux fois Premier ministre. On ne sache pas qu’il ait fait preuve d’une modération particulière lorsqu’il a été chef de l’exécutif, donc directement responsable de la politique sioniste et des actions de son armée. C’est sous son gouvernement qu’a eu lieu le Massacre de Cana, le 18 avril 1996 : des bombardements de l’armée sioniste ont tué une centaine de civils au Liban-Sud, dans le cadre d’une énième campagne contre le Hezbollah, le mouvement armé des chiites libanais très présent dans cette région. Il avait voulu faire preuve de virilité guerrière juste avant les élections législatives de l’Entité Sioniste du 29 mai 1996. Verser du sang pour obtenir en masse des bulletins de vote, tel est le jeu cynique et criminel des Premiers ministres israéliens en campagne électorale.
On objectera que Shimon Peres a participé aux accords d’Oslo en 1993 avec Arafat et Rabin. Mais ce « processus de paix » a été suspendu très vite, conduisant à une annulation de fait, dès l’été 1996. Les territoires occupés de Gaza et de Cisjordanie n’ont pas été vraiment évacués, contrairement à la promesse, formulée pour l’essentiel en 1993-1994. Les grandes villes de Cisjordanie ont certes fini par être évacuées, mais pour rester encerclées. Gaza a été évacuée unilatéralement en 2005 par Ariel Sharon, et la Cisjordanie est pour l’essentiel toujours occupée. Les enclaves palestiniennes de Cisjordanie n’occupent que des surfaces réduites, densément occupées, et sont délibérément isolées les unes des autres. La colonisation israélienne y est encouragée par le gouvernement, ce qui crée autant de verrues inacceptables pour les Palestiniens d’autant que les colons sionistes se choisissent bien sûr les meilleures terres. La paix de Peres était une paix victorieuse pour l’entité sioniste mais un marché de dupe pour les Palestiniens. Que penser d’une Cisjordanie sans Jérusalem-Est ni la Vallée du Jourdain ? Serait-ce là une paix juste ? Gaza et la Cisjordanie sont en réalité des camps de concentration à ciel ouvert. Mais personne pour le coup ne se soucie de l’injustice et de l’inhumanité des dirigeants israéliens qui ont un permanent et absolu permis de tuer au nom de la Mémoire, au nom de la sacro-sainte shoah.
Suite de l’éditorial de Jérôme Bourbon dans le Rivarol n° 3252 du 6 octobre 2016.