Le mois de mai est propice à l’évocation de cette ligne de défense : le 10 mai les Allemands passaient au large de cette ligne, même pas pour la contourner, contrairement à ce qu’on dit, puisque même en son absence, c’est quand même à Sedan qu’il fallait percer pour se ruer, non sur Paris, mais vers la mer, pour prendre au piège toutes les forces « occidentales » en Belgique et en Hollande.
Les Allemands réitéreront la manœuvre contre les Russes un an plus tard, en perçant au milieu du dispositif russe pour se ruer vers la mer Noire. Pas de ligne Maginot dans ce cas, mais l’idée était la même, piéger toutes les armées russes dangereusement avancées en vue d’une invasion imminente de la Roumanie et de son pétrole. Cette manœuvre était d’ailleurs aussi conçue comme une défense indirecte de la Roumanie : une défense directe, c’est-à-dire en interposant des armées allemandes entre les champs de pétrole et les armées russes aurait dégarni la protection de Berlin… Et on prétendra ensuite qu’Hitler n’était qu’un petit caporal.
Devant tous ces triomphes de la mobilité en profondeur, la France donne vraiment l’impression de n’avoir rien compris à la guerre moderne. Oui et non. À l’origine, l’idée de la ligne Maginot reflète au contraire une parfaite prise en considération de la mobilité des armées modernes. Le haut-commandement français était persuadé que la prochaine guerre consisterait en une guerre surprise (sans déclaration) et qu’il n’y aurait même pas le temps de mobiliser. En 1914, ce rôle de protection de la mobilisation était dévolu à ce qu’on appelait les « armées de couverture ».
Mais à l’époque de la guerre mécanisée, on estimait qu’il fallait une ligne fortifiée. Tout le monde en avait une, les Allemands avaient leur ligne Siegfried. Les Russes aussi : ils avaient leur ligne Staline, personne n’en a entendu parler, mais elle était très puissante, en matière militaire, les Russes ne font jamais les choses à petite échelle. Simplement, elle a été démantelée sur ordre de Staline : une telle ligne permet de défendre, mais elle empêche aussi d’attaquer.
Quant à la ligne Maginot, elle a bien joué son rôle premier : on a eu le temps de mobiliser et même de s’armer, de septembre 39 à mai 40 pas d’invasion.
Le seul vrai défaut de cette ligne était psychologique : de simple outil, elle était devenue un mythe qui devait nous permettre d’éviter la guerre, c’est-à-dire d’éviter de combattre.
Réfléchissons, un tel mythe existe-t-il aujourd’hui ? Est-ce que la France risque une débâcle comme en 40 ?
La réponse est oui, pire, elle est sous nos yeux.
La ligne Maginot s’appelle aujourd’hui dissuasion nucléaire. Les Français pensent tous qu’elle les met définitivement à l’abri et qu’ils n’auront plus à se battre.
Pensez donc, à quel moment de son histoire, la France et son armée ont disposé d’une telle puissance de feu, d’une telle capacité de destruction, d’une telle allonge ? Jamais.
Maintenant, ouvrons les yeux, regardons sous nos fenêtres : à quel moment de son histoire la France a-t-elle été aussi irrémédiablement submergée sur son sol et dans sa chair : jamais.
Continuez à faire des ronds sous l’Atlantique Messieurs les sous-mariniers. Lorsque vous revenez à la surface, est-ce que vous vous rendez-compte de ce qui s’y passe pendant que vous avez la tête sous l’eau ?
Il est clair qu’aujourd’hui, il faudrait échanger sur le champ nos têtes nucléaires contre 1 million de grognards à baïonnette.