L’article n’a pas d’autre prétention que de retracer l’itinéraire d’un nationaliste espagnol valeureux et ainsi lui rendre hommage. Dans le prolongement d’un bref tour d’horizon des différents mouvements nationalistes révolutionnaires d’Europe durant la période de l’entre-deux-guerres, appréhendons cette fois-ci l’exemple espagnol.
L’histoire des fascismes avait été scrupuleusement appréhendée par François Duprat. Celui-ci avait fait paraître à ce propos la Revue d’histoire du fascisme. Les analyses rigoureuses de François Duprat allaient d’ailleurs au-delà du cadre européen car il s’intéressait également à l’Amérique latine entre autres. Nous renvoyons donc à ses multiples analyses comme point de référence essentiel.
Notons aussi que le Cercle franco-hispanique entretient toujours l’histoire et la mémoire de la Phalange espagnole ainsi que celle du général Franco par le biais de nombreuses commémorations. Le Cercle franco-hispanique entretient également la mémoire de Robert Brasillach qui, rappelons-le, avait été témoin, aux côtés de Maurice Bardèche, de la guerre d’Espagne. Ils publièrent alors Histoire de la guerre d’Espagne en 1939. Toutefois, nous nous intéresserons davantage dans cet article au nationalisme révolutionnaire espagnol plutôt qu’à proprement parlé de la guerre d’Espagne.
Quelle a été l’originalité du nationalisme révolutionnaire espagnol par rapport aux différents mouvements européens ayant une ligne politique semblable ?
En quoi se distingue-t-il, ou se rapproche-t-il, du fascisme italien ou du national-socialisme allemand ?
La problématique est délicate à envisager. Cet article s’efforcera, de manière synthétique, de retracer, à l’échelle de l’Espagne, la genèse des nouvelles formes nationalistes qui émergent lors des années 1930. Il ne s’agira pas d’entrer dans des détails fastidieux et parfois peu importants. Nous évoquerons un contexte politique général propre à l’Espagne et envisagerons l’analyse des mouvements alternatifs.
I – Crises politiques et instabilité sociale
Au cours des années 1930, l’instabilité institutionnelle de la Seconde République espagnole, la menace anarcho-communiste grandissante et la profonde crise sociale et morale secouent l’Espagne. La pouvoir madrilène socialiste fait l’objet de critiques tant sur le fond que sur la forme. Il est critiqué fortement par les libéraux, les conservateurs et bien entendu par l’Église. Il est aussi largement vilipendé par les classes populaires lourdement affectées par le chômage de masse. Le socialisme modéré et bourgeois n’est plus estimé par le peuple espagnol.
L’inefficacité des réformes engagées dès 1931, à savoir aux premiers jours de la Seconde République qui ne fut effective qu’après les élections municipales du 14 avril 1931, accentue le mécontentement général. Les réformes agraires ayant été entreprises par le gouvernement se soldent par un échec. Elles suscitent la vive contestation des anarcho-communistes. Les grèves se font toujours plus répétitives et concernent tant le monde rural que les ouvriers. La CNT (Confederación Nacional del Trabajo), syndicat anarchiste, profite de la situation pour recruter dans ses rangs les grévistes et autres mécontents n’ayant pas réellement d’appui politique.
Comment s’organisent les nationalistes espagnols face à cette crise du pouvoir politique ?
Rappelons-le, les idées nationalistes avaient été portées politiquement durant la période d’exercice du pouvoir par Miguel Primo de Rivera, entre 1923 et 1930. Les doctrines nationalistes pouvaient être néanmoins foulées par des militaires peu politisés ou par des monarchistes libéraux proches d’Alphonse XIII.
Depuis août 1930, avec la signature des accords de San Sebastián, une large opposition s’était formée contre le gouvernement essoufflé depuis le trépas de Miguel Primo de Rivera, le 16 mars 1930. Ce gouvernement n’était alors plus au fait de la situation sociale et politique et négligeait les nouvelles approches politiques nationalistes.
Sans abdiquer, le roi Alphonse XIII s’exila. Cela marque pour un temps la fin de la monarchie bourbonne mise entre parenthèse par l’institution de la République. Une coalition antimonarchiste s’implante dans beaucoup de villes espagnoles. Néanmoins, le monde rural demeure quant à lui plus traditionnel et favorable à la monarchie. L’Église joue toujours un rôle social et éducatif dans les campagnes. La situation de l’Espagne en 1931 laisse dès lors entrevoir le déclenchement de la guerre civile à l’été 1936.
II – L’essor du nationalisme révolutionnaire espagnol
Nous devons l’émergence des doctrines primitives du nationalisme révolutionnaire espagnol, inspiré en grande partie par les Chemises rouges de Garibaldi ayant amené l’unification de l’Italie moderne en 1861, par un jeune protagoniste énigmatique, Ramiro Ledesma Ramos. Celui-ci est un personnage essentiel pour la compréhension du développement d’une nouvelle forme de nationalisme, le national-syndicalisme, une version classique du nationalisme révolutionnaire.
Ledesma Ramos est un jeune espagnol autodidacte particulièrement brillant. Il est un germaniste doué et lit, dans le texte, les œuvres de Goethe et de Nietzsche entre autres. Il traduit un certain nombre d’essais philosophiques et suit par la suite un cursus en philosophie à l’université de Madrid. À cette occasion, Ledesma Ramos s’intéresse au nationalisme d’action. Il apporte au nationalisme espagnol une ligne politique peu commune et aspire à propager le national-syndicalisme à ses compatriotes.
Depuis l’institution de la Seconde République, les nationalistes espagnols ont à cœur la monarchie et/ou la période politique de Miguel Primo de Rivera. Il s’agit alors d’un nationalisme traditionnel ayant une ligne conservatrice, réactionnaire et cléricale. Beaucoup de ces nationalistes ont été influencés par les écrits de Charles Maurras ou plus largement par les auteurs de la contre-révolution[1].
Dans un élan vitaliste, inspiré du premier fascisme italien et de l’existentialisme heideggérien, Ledesma Ramos lance un journal de combat en 1931, La Conquista del Estado. Le journal a une brève existence, moins d’un an (mars-oct. 1931), mais parvient cependant à faire paraître 23 numéros. Le premier numéro de La Conquista del Estado présente un manifeste sur ce qu’est le national-syndicalisme. L’objectif majeur de Ledesma Ramos est de contrebalancer les syndicats d’extrême-gauche voire de siphonner leurs adhérents. Lors d’un congrès de la CNT, un des syndicats les plus influents d’Espagne, les thèses de Ledesma Ramos sont présentées aux cadres du syndicat sans pour autant retenir leur attention.
La Conquista del Estado se constitue dès lors d’une équipe de rédaction dont les membres proviennent d’horizons politiques différents. Juan Aparicio Lopez devient le secrétaire du journal.
Dans le même élan, Ramiro Ledesma Ramos fonde en 1931 les JONS (Juntas de Ofensiva Nacional-Sindicalista), mouvement politique iconoclaste s’appuyant sur les principes nationaux-syndicalistes. Nous pourrions relever ainsi certaines similitudes avec le fascisme d’origine ou les idées syndicalistes révolutionnaires de Georges Sorel et d’Édouard Berth.
Au commencement, les JONS comprennent davantage d’étudiants, dont des communistes désabusés, que d’ouvriers. Mais le mouvement se développe progressivement dans les villes espagnoles. Il fonctionne en structures locales plus ou moins autonomes. Ces structures demeurent cependant attachées aux consignes et à la ligne nationale que forge Ledesma Ramos.
Les militants des JONS doivent prestement faire front devant la vive hostilité des groupes, structurés ou informels, d’extrême-gauche. Les JONS se retrouvent régulièrement au cœur de rixes parfois meurtrières avec l’extrême-gauche qui pratique des formes d’actions terroristes.
III – L’impossible alliance des JONS et de la Phalange
Le 15 février 1934, les JONS fusionnent avec la Phalange de José Antonio Primo de Rivera. La nouvelle organisation de la Phalange se nomme désormais La Falange Espagnola Tradicionalista y de las Juntas de Ofensiva Nacional-Sindicalista (FET y las JONS).
Cette nouvelle organisation fonctionne à la manière d’un triumvirat. Nous retrouvons, à la tête de ce triumvirat, José Antonio Primo de Rivera qui bénéficie d’une certaine popularité étant donné qu’il est le fils de Miguel Primo de Rivera, Ruiz de Alda considéré comme un élément médiocre et un piètre orateur par les JONS, et Ramiro Ledesma Ramos qu’on ne présente plus. Le nouvel étendard de la FET y las JONS reprend les symboles des JONS originels.
Ledesma Ramos, avec l’appui de José Antonio Primo de Rivera, s’efforce avec peine d’orienter la FET y las JONS vers une ligne idéologique national-syndicaliste. Cette vaine tentative de réorientation déplaît largement à la frange libérale et conservatrice du mouvement.
Au sein même des JONS originels, Ledesma Ramos parvient difficilement à apaiser le mécontentement de ses membres dont quelques-uns sont des communistes repentis. En effet, ils estiment la Phalange trop bourgeoise et réactionnaire. De plus, des membres de la Phalange prétendent absolument imiter le fascisme italien de Benito Mussolini. Pour les JONS intégraux, cela ne témoignage que d’une pantalonnade de bourgeois.
À l’échelle européenne, la Phalange se révèle plutôt originale comme formation politique. Elle parvient à se distinguer d’autres structures en mettant l’accent sur une teinte toute ibérique et traditionnelle. Elle ne souhaite guère s’assimiler à d’autres mouvements uniformes.
Il y eut d’ailleurs des controverses au sein du mouvement. La Fet y las JONS devait-elle participer au Congrès international fasciste organisé à Montreux les 16 et 17 décembre 1934 ? La Phalange envoya tout de même un représentant comme observateur à ce congrès, Gimenez Caballero. Précisons qu’il y eut 13 nations représentées lors de ce Congrès international fasciste dont la France avec le Francisme de Marcel Bucard.
IV – Désaccord & rupture
Les nombreux désaccords et incompréhensions récurrents au sein de la FET y las JONS entrainèrent la rupture définitive de Ledesma Ramos et de José Antonio Primo de Rivera en janvier 1935, soit moins d’un mois après le Congrès international fasciste cité plus haut.
L’alliance de la Phalange et des JONS n’a été efficiente qu’un an. Elle s’est soldée par un échec. Ledesma Ramos se sentait écarté voire discrédité par les éléments bourgeois. Il avait le sentiment d’être dépossédé et de perdre peu à peu l’attention des ouvriers qui est son cœur de cible et sa vocation ultime.
Ledesma Ramos relance, indépendamment de la Phalange, les JONS. Il retrouva ainsi ses anciens membres. Il lança par la suite un journal, La Patrie libre, puis à l’été 1936 Notre Révolution qui n’eut qu’un unique numéro.
Peu avant le soulèvement de Franco, Ledesma Ramos est arrêté par les communistes puis détenu à Madrid. Il fut exécuté le 29 octobre 1936. Son corps fut jeté dans un charnier à Aravaca, dans la banlieue de Madrid.
N’oublions jamais ceux qui se sont sacrifiés pour le salut de leur nation.
Arriba España !
[1] Il existait en Espagne des auteurs très influents au sein de la droite. On ne peut omettre de citer José Ortega y Gasset qui fut autant hostile au communisme qu’au fascisme. Cela ne l’empêcha pas de rejoindre le franquisme. Autre référence de la droite en Espagne, plus ancien cette fois-ci, Juan Donoso Cortés.
Repère bibliographique :
Ramiro Ledesma Ramos, Le Fascisme en Espagne : ses origines, son développement, ses hommes, Nantes, Ars Magna (coll. le devoir de mémoire), (1ère. Ed. 1935), 2017.
« Ramiro Ledesma Ramos et le national syndicalisme » dans Cahier d’Histoire du nationalisme, n°13, Synthèse nationale, 2018.
Ferran Gallego, Ramiro Ledesma Ramos y el fascismo español, Madrid, Editorial Síntesis, 2005.
Pour aller plus loin :
29 octobre 1936 : Ramiro Ledesma Ramos assassiné par les républicains « espagnols »
Le nom original de cette formation était FE de las JONS, le « T » (traditionaliste) sera le résultat de l’unification des phalangistes avec la Communion Traditionaliste (« Requetés ») pendant l’Espagne de Franco. La Communion Traditionaliste était le parti « carliste », partisan d’une autre branche de la famille Bourbon.